Intervention de Christiane Demontès

Réunion du 29 avril 2009 à 14h30
Politique de défiscalisation des heures supplémentaires — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Christiane DemontèsChristiane Demontès :

J’en viens à ma question.

Voilà bientôt deux ans, le Parlement a adopté la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA ». Il aurait été normal que le Parlement, qui vote les lois, puisse bénéficier du bilan d’application de ces dispositions. Tel n’a pas été le cas. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite vous interroger à ce sujet et vous questionner sur les perspectives de pérennisation de cette politique que le Gouvernement envisage.

En 2007, lors de l’adoption de la loi TEPA, la croissance était là et la majorité évoquait la perspective du plein-emploi. Quant à nous, parlementaires socialistes, nous mettions en garde contre les évidents risques de ce texte. Ainsi, ma collègue Nicole Bricq déclarait : « Avec ce texte, le Gouvernement et sa majorité engagent lourdement les finances de l’État dans la voie de l’exonération des charges fiscales et sociales relatives aux heures supplémentaires, ce qui coûtera très cher sans garantir l’augmentation globale du pouvoir d’achat et de l’emploi. Le but non avoué de ces mesures est de contourner l’horaire légal du temps de travail ». Elle concluait son propos en prédisant que, avec cette loi, « vous aurez plongé la France et les Français dans de grandes difficultés ».

Je rappelle que l’article 1er de la loi TEPA, qui instaure la défiscalisation des heures supplémentaires et leur exonération de cotisations, vise exclusivement les salariés en activité. À ce titre, ni les demandeurs d’emplois ni même les salariés à temps partiel ne sont concernés. Dans les faits, sur une population salariée estimée à 27, 6 millions d’individus, plus de 15 % sont exclus de ce dispositif pourtant pensé et voulu comme fondateur d’une nouvelle politique de l’emploi et du pouvoir d’achat. Avouons-le, cela est surprenant lorsqu’on a pour objectif, au moins dans le discours, de renforcer la valeur travail et le pouvoir d’achat.

Notons d’ailleurs que, au moment du débat parlementaire, nombre d’observateurs avaient mis en garde contre une défiscalisation des heures supplémentaires porteuses d’effets pervers. Ainsi, deux membres du Conseil d’analyse économique, le CAE, estimaient « qu’une fiscalité spécifique sur les heures supplémentaires, quelle que soit sa forme, aurait au mieux un effet incertain sur l’emploi et le revenu, avec un risque exorbitant pour les finances publiques qui se double d’une complexité accrue du système fiscal ». Ils projetaient que la mise en œuvre de cette politique « allait inciter les employeurs à faire faire à leurs salariés des heures supplémentaires, moins chères que les heures normales, plutôt que d’embaucher » et ainsi « substituer des heures de travail aux hommes ». Ils pointaient aussi les risques évidents « d’abaissement du taux de salaire des heures normales » au bénéfice d’une déclaration importante d’heures supplémentaires.

Du point de vue du pouvoir d’achat, cette politique a donc uniquement favorisé ceux qui en avaient déjà, notamment les personnels très qualifiés. Certes, cela n’est pas condamnable en soi, mais cela s’est fait au détriment des CDD et des intérimaires, donc des plus fragiles

En outre, j’observe, tout comme l’a fait notre collègue M. Philippe Marini dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2009, que ces réserves faisaient suite au constat dressé dès 2006 par le Centre d’analyse stratégique, le CAS. Ce dernier, saisi à l’époque par le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, M. Gilles Carrez, constatait que « les marges de manœuvre pour amplifier la politique d’allègement du coût du travail sur les bas salaires [avaient] atteint leurs limites dans la mesure où les cotisations patronales de sécurité sociale au niveau du SMIC avaient presque totalement disparu ».

Ces analyses, nous les partagions à l’époque. Nous les avions portées durant les débats. Depuis, non seulement leur justesse reste de mise, mais elles paraissent d’autant plus pertinentes que les termes du marché de l’emploi se sont considérablement dégradés. La déflagration financière, puis économique et sociale, a mis en exergue l’importance que revêtait une politique dynamique capable à la fois de promouvoir et de créer de l’emploi.

Je formulerai trois observations sur le plan économique.

Ma première observation concerne le contexte économique. Si, en août 2007, celui-ci connaissait une croissance qu’alimentait le capitalisme financier carburant à plein régime, il en va tout autrement depuis plusieurs mois. D’une part, le chômage explose : il connaît une hausse sans précédent depuis 1991. En mars dernier, 64 000 demandeurs d’emploi sont venus grossir les rangs des chômeurs. Ce chiffre, le Gouvernement le présente comme « non catastrophique » … Or, sur les trois derniers mois, le rythme de croissance annuelle du chômage atteint presque un million de personnes. Les demandeurs d’emploi sont au nombre de 2, 270 millions. D’autre part, des entreprises ferment à cause de la crise, alors que d’autres en profitent.

Cette crise présente de nouvelles caractéristiques, qui influent sur la structuration du marché de l’emploi. Il en va ainsi de l’emploi précaire, qui a constitué depuis une décennie la principale forme de création d’emplois. Or, à la différence de la dernière récession, l’emploi précaire se trouve désormais en très grande difficulté. Ces femmes et ces hommes sont devenus la variable d’ajustement des entreprises. Ce sont donc eux qui encaissent toute la flexibilité.

Ma deuxième observation est tirée des chiffres de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS. Ceux du quatrième trimestre de 2008 démontrent que, malgré la crise, le volume d’heures supplémentaires a fort bien résisté. Ainsi, sur cette période, 39, 3 % des entreprises ont déclaré des heures supplémentaires, contre 41, 1 % au troisième trimestre de 2008.

Il est donc établi que les employeurs n’utilisent pas ces heures pour répondre à une demande conjoncturelle. Cet aspect fondamental est corroboré par la note de méthode de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, d’avril 2009, qui observe que « l’entrée en vigueur, à partir du quatrième trimestre 2007, des mesures sur les heures supplémentaires de la loi TEPA [...] a vraisemblablement réduit ce biais de sous-déclaration à l’enquête : les allègements de cotisations qui y sont liés amènent désormais les entreprises à recenser avec plus de précision ces heures supplémentaires. [...] Dans les entreprises à 35 heures, le nombre moyen d’heures supplémentaires déclarées s’établit à 5, 5 heures au troisième trimestre 2008, contre 4, 1 heures au troisième trimestre 2007, soit une progression de 34, 1 % sur un an. » Dès lors, comment ne pas penser que la défiscalisation des heures supplémentaires s’est, au moins en partie, soldée par le blanchiment d’un travail jusqu’alors dissimulé ?

Sur le dernier trimestre de 2008, ce volume d’heures représentait 90 000 équivalents temps plein. Sur l’ensemble de l’année, il s’agit de 750 millions d’heures. Nous percevons donc bien le lien qui affecte défiscalisation des heures supplémentaires et marché de l’emploi.

Dans un contexte où l’activité est en recul, comme le synthétise parfaitement l’économiste Éric Heyer, « la loi TEPA vient juste rajouter du chômage au chômage. Il déclare également : « Inciter les entreprises à faire des heures supplémentaires alors qu’il n’y a plus d’activité est nuisible à l’emploi ». Cette analyse est partagée par l’ensemble des organisations syndicales, qui observent que la création d’un emploi est devenue plus onéreuse que l’utilisation des heures supplémentaires défiscalisées.

Ajoutons que cette mesure freinera « mécaniquement » la création d’emplois lorsque le temps de la reprise économique sera venu. Bref, si ce dispositif fiscal peut à la limite se concevoir dans une situation de plein-emploi, il en va tout autrement aujourd’hui. Le Gouvernement devrait tenir compte de ce changement de donne.

Enfin, troisième observation, si l’objectif avoué de ce dispositif était de redonner du pouvoir d’achat, la réalité économique démontre que cela est bien relatif. Alors que Mme la ministre de l’économie nous indiquait que la défiscalisation devait générer un gain par salarié de 2 500 euros par an, la version plus réaliste fait apparaître, dans les situations les plus favorables, un gain moyen mensuel de 65 euros, soit 780 euros par an.

Au regard de ces éléments, il serait intéressant que le Gouvernement mette en application le pragmatisme dont il ne cesse de se targuer. À défaut, c’est l’emploi qui en souffrira encore, nos concitoyens et leurs familles qui en seront victimes, et je pense tout particulièrement aux plus fragiles.

Je vais maintenant aborder la question du coût de ce dispositif. Cette analyse prendra en compte l’impact à la fois sur la sécurité sociale et sur le budget de l’État.

Entrées en vigueur le 1er octobre 2007, les exonérations de cotisations sociales ont connu une montée en charge durant toute l’année 2008. Pour cette période, l’ACOSS indique que le coût de la défiscalisation a été de 2, 791 milliards d’euros pour un volume de 725 millions d’heures supplémentaires. Il devrait être de 3, 1 milliards d’euros en 2009, alors que le déficit des comptes de la sécurité sociale franchira la barre des 18 milliards d’euros, voire des 20 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année 2009.

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