Intervention de Nicole Bricq

Réunion du 29 avril 2009 à 14h30
Politique de défiscalisation des heures supplémentaires — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Nicole BricqNicole Bricq :

Monsieur le secrétaire d’État, ma collègue Christiane Demontès vous a rappelé des chiffres que vous connaissez fort bien. Le chômage ne cesse d’augmenter depuis le retournement de l’été 2008 et, au train où vont les choses, il dépassera vraisemblablement 10 % ; il se maintiendra à un niveau élevé, reprise ou pas reprise, au moins jusqu’en 2011. En 2009, nous connaîtrons une croissance négative estimée, selon les économistes, à moins 2, 5 %, moins 3, 3 % voire moins 4 %. En tout état de cause, nous savons que l’explosion du chômage ne pourra pas être contenue. L’indicateur du marché du travail que constitue l’intérim est révélateur : il a chuté de 38 % au mois de mars, ce qui correspond à la suppression de 200 000 équivalents temps plein en un an.

Ces chiffres constituent le premier élément de la démonstration à laquelle je veux rapidement me livrer.

En 2007, la loi TEPA instaurait la défiscalisation des heures supplémentaires, mesure phare traduisant le slogan de la campagne présidentielle du candidat UMP : « travailler plus pour gagner plus ». Nous avions à l’époque dénoncé cette mesure et ma collègue a bien voulu rappeler les propos que j’avais tenus, au nom du groupe socialiste, face à Mme Lagarde.

Au début de l’année 2009, le Gouvernement a présenté un bilan du dispositif – il ne disposait pas encore des chiffres du quatrième trimestre – évaluant le volume des heures supplémentaires à 750 millions en 2008. En 2007, la crise des subprimes était pourtant déjà déclarée. Nous avions alerté le Gouvernement sur la nocivité du dispositif au moment de l’examen de la loi TEPA, mais, dans l’euphorie, celui-ci imaginait que la crise nous épargnerait, tel le nuage de Tchernobyl s’arrêtant à nos frontières ! Quoi qu’il en soit, en 2009, on disait encore dans les sphères gouvernementales que le dispositif devait atteindre son plein effet sur l’économie en 2010 ; je n’y reviens pas.

Au quatrième trimestre de l’année 2008, les heures supplémentaires continuaient de croître de 28 %, alors que l’activité économique avait baissé de 1, 2 %. Nous pouvons assez aisément déduire de ce paradoxe que ces heures supplémentaires correspondent non pas à un surplus d’activité, mais au remplacement de salariés, qu’il s’agisse de démissions, de départs à la retraite, de fin de contrat à durée déterminée, voire, dans le pire des cas, de licenciements. Quoi qu’il en soit, l’arbitrage a eu lieu au détriment de l’emploi ; vous aurez du mal à nous démontrer le contraire !

Les heures supplémentaires déclarées au dernier trimestre de l’année 2008 correspondent à 90 000 équivalents temps pleins, que l’on peut assez facilement mettre en corrélation avec les 115 000 pertes d’emplois enregistrées dans le secteur privé.

La démonstration se poursuit avec le coût de ce dispositif pour les finances publiques, estimé par le Gouvernement, au début de l’année 2009, à 4, 4 milliards d’euros en régime de croisière.

La loi de finances initiale pour 2009 prévoyait 3, 1 milliards d’euros d’exonérations sociales compensées par le budget de l’État et 900 millions d’euros d’exonérations fiscales, soit 4 milliards d’euros. L’exécution de la loi de finances pour 2008 comptabilise 230 millions d’euros d’exonérations fiscales et 3, 070 milliards d’euros d’exonérations sociales, c’est-à-dire 3, 3 milliards d’euros.

En tout état de cause, le dispositif est extrêmement onéreux pour les finances publiques. Qui plus est, il a un effet inflationniste sur le nombre d’heures déclarées, qui ne correspond pas forcément à une augmentation de la durée du travail. L’administration fiscale n’a aucun moyen de contrôler ce dispositif, comme nous l’avions souligné au moment de l’examen de la loi TEPA : il peut faire l’objet d’un accord entre l’employeur et le salarié, en particulier dans les très petites entreprises.

Les économistes Cahuc et Zylberberg rapprochent ce mécanisme pervers de l’impôt sur les portes et les fenêtres, provoquant à l’époque la suppression de celles-ci, et qui fit dire à Victor Hugo dans Les Misérables : « Dieu donne l’air aux hommes, la loi le leur vend » ! On assiste aujourd’hui à un phénomène analogue avec la détaxation des heures supplémentaires.

Monsieur le secrétaire d’État, force est de constater que le dispositif de la loi TEPA est contreproductif pour l’emploi, surtout en période de crise, et onéreux pour les finances publiques. Est-il raisonnable de faire payer le contribuable pour supprimer des emplois ? La réponse est non ! J’interpelle à cet égard mes collègues de la majorité, qui sont attachés à nos finances et à l’emploi.

Quant au gain de pouvoir d’achat pour les bénéficiaires des heures supplémentaires, il est bien moindre que ce que prétend dans son rapport le Gouvernement. Le Président de la République avait dit qu’il s’agissait d’une réussite exceptionnelle. Or ce gain se limite, si les chiffres de nos collègues députés sont justes, à 700 euros par an ; Mme Demontès a par ailleurs démontré que les personnes exclues du dispositif étaient nombreuses.

Ce dispositif fonctionne au détriment de ceux qui ont précisément perdu leur emploi à cause des heures supplémentaires. Nous retrouvons là une vieille habitude consistant à diviser les salariés et à faire en sorte que les uns soient finalement traités différemment des autres. Je reconnais bien là un procédé assez caractéristique des gouvernements de droite. Ce n’est pas raisonnable ; il y a mieux à faire !

La gymnastique fiscale à laquelle le Gouvernement s’est livré pour financer le revenu de solidarité active et trouver un milliard d’euros laisse tout de même rêveur !

Monsieur le secrétaire d’État, vous qui êtes attaché à la lutte contre le chômage des jeunes, dont les dernières statistiques nous montrent qu’ils sont les plus pénalisés, vous ne savez pas encore, à l’heure où nous parlons, comment financer le montant de 1, 3 milliard d’euros annoncé tout récemment. Le Gouvernement ne sait pas non plus comment financer les plus de 2 milliards d’euros que coûtera la baisse de la TVA pour les restaurateurs, et nous ignorons quels engagements la profession prendra en contrepartie en termes d’emploi.

Tout cela est déraisonnable ! Il faut renoncer à cette disposition. Il n’y a pas de honte, dans la période de crise profonde et durable que nous traversons, à reconnaître qu’il s’agit d’une erreur. Pour l’emploi, pour nos finances publiques, abandonnons cette mesure : c’est la voix de la raison ! À défaut, vous commettrez une faute ; ce sera non plus une erreur d’appréciation, mais une faute politique, dont vous serez comptable.

En attendant, j’invite ceux de mes collègues qui ne l’auraient pas encore fait à signer la pétition du mensuel Alternatives économiques, qui a beaucoup travaillé sur cette question et qui appelle tous ceux qui trouvent cette mesure déraisonnable à en demander la suppression.

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