Intervention de Annie David

Réunion du 29 avril 2009 à 14h30
Politique de défiscalisation des heures supplémentaires — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Annie DavidAnnie David :

Monsieur le secrétaire d’État, alors que, face à la crise qui s’installe, on aurait pu légitimement s’attendre à un changement de cap dans la politique économique et sociale du Gouvernement, vous persistez dans la même voie.

Pourtant, que constatons-nous aujourd’hui au vu du bilan de la défiscalisation des heures supplémentaires, issue de la loi TEPA ? Que votre politique est néfaste, tant pour l’emploi que pour nos comptes sociaux ! Nous n’avions pourtant pas manqué de vous faire part de nos grandes craintes à ce sujet lors du vote de ce texte.

L’estimation de 2007 de la DARES, antérieure au vote de la TEPA, fait état d’une utilisation de 730 millions d’heures supplémentaires par 5, 5 millions de salariés, ce qui veut dire que si les entreprises ont besoin de recourir aux heures supplémentaires elles le font. Nul besoin d’une loi pour les y inciter !

Les chiffres de la DARES de 2008, postérieurs au vote de la loi TEPA, montrent une augmentation du recours aux heures supplémentaires, à imputer, en partie, au fait que les entreprises se sont mises à « recenser avec plus de précision les heures supplémentaires » à partir du moment où celles-ci se sont accompagnées d’allégements de cotisations sociales.

Toutefois, au quatrième trimestre 2008, en pleine récession économique, les entreprises ont fait effectuer par leurs salariés 184 millions d’heures supplémentaires, soit 40 millions de plus qu’au quatrième trimestre de 2007. Christiane Demontès a longuement évoqué ces chiffres dans son intervention ; je partage le sentiment qu’elle a exprimé à ce propos.

Selon certains économistes, ce chiffre correspond à 90 000 emplois à temps plein, alors même que, pour la même période, l’INSEE annonce un taux de chômage atteignant 7, 8 % de la population active, soit 149 000 chômeurs supplémentaires. La barre des trois millions de chômeurs pourrait être franchie d’ici à la fin de l’année.

Là encore, les faits sont plus éloquents que tous les discours : dans un contexte de récession économique, subventionner les heures supplémentaires revient à mettre en concurrence le temps de travail et l’emploi, au détriment de ce dernier. Autrement dit, le recours aux heures supplémentaires, alors que les carnets de commandes des entreprises sont au plus bas, a servi non pas à faire face à un surplus d’activité, mais à remplacer les salariés remerciés, à savoir les salariés précaires dont les contrats n’ont pas été renouvelés par les entreprises qui, en agents rationnels, préfèrent bénéficier d’exonérations d’heures supplémentaires plutôt que de recourir aux contrats d’intérim ou aux CDD.

En outre, les dispositions de la loi TEPA ont permis aux employeurs de continuer à tirer vers le bas la rémunération réelle des salariés : le salaire moyen de base, c'est-à-dire hors heures supplémentaires, primes et gratifications, a décéléré au deuxième trimestre 2008, enregistrant une croissance de 0, 9 %, après 1, 1% au trimestre précédent. Les prix, eux, ont continué d’augmenter, progressant de 1, 3 % au cours de ce même deuxième trimestre et faisant ainsi s’effondrer le pouvoir d’achat du salaire moyen de base.

Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, la flexibilité du travail à outrance, initiée par vos politiques, n’a fait qu’aggraver la situation, et personne ne croit plus au credo libéral « travailler plus pour gagner plus » ! Aujourd’hui, la préoccupation majeure de millions de nos concitoyens est de conserver leur emploi pour continuer à travailler !

Pour ces millions de femmes et d’hommes privés d’emploi, pour leur famille, la loi TEPA, tout comme le bouclier fiscal, est une véritable offense, indigne de notre République.

Je vous le rappelle, monsieur le secrétaire d’État, l’utilisation des heures supplémentaires au dernier trimestre de l’année 2008 équivaut à 90 000 emplois à temps plein. C’est la raison qui m’a fait dire en introduction que votre politique est nuisible pour l’emploi. Elle est également nuisible pour les comptes de l’État, et je m’en explique.

D’après le dernier rapport de la Cour des comptes, le coût total de l’ensemble des dispositifs d’exonération est estimé, pour 2008, à 32, 3 milliards d’euros, dont plus de 4 milliards au titre des exonérations sur les heures supplémentaires. Cela a de quoi inquiéter le service public de la santé, qui se voit une nouvelle fois fragilisé, d’autant que cette somme aurait pu alimenter un plan de relance ambitieux.

Il n’est donc pas surprenant que la Cour des comptes recommande de revenir sur ces exonérations, dont l’intérêt économique n’est pas avéré. Nous en discuterons prochainement puisque, conformément à l’article 189 de la loi de finances pour 2009, le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport à ce sujet avant le 15 juin 2009.

Les effets pervers de la loi TEPA n’ont cependant pas attendu votre rapport, puisque celle-ci a déjà contribué à l’accroissement du déficit de la protection sociale, directement par la baisse des cotisations versées, mais aussi indirectement, et de façon massive, par les diminutions d’emplois et la pression exercée sur la masse salariale nationale.

Voilà où nous a conduits aujourd’hui votre politique ! Tels sont les faits et rien que les faits, dénués de toute idéologie.

La vérité, dit-on, naît du choc des opinions. Monsieur le secrétaire d’État, j’espère, pour l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens qui souffrent, que vous nous entendrez et que votre gouvernement prendra ses responsabilités en supprimant les dispositions de la loi TEPA.

Aujourd’hui, ce dont notre pays a besoin, c’est d’une politique de relance ambitieuse, axée non pas sur la réduction du coût du travail, mais sur la demande, agissant sur le niveau des salaires, des minima sociaux, des allocations-chômage et des pensions de retraite. Il s’agit aussi de relancer l’investissement en révisant la gouvernance des entreprises, notamment en ce qui concerne le versement des dividendes, qui restent toujours élevés, y compris en période de crise, au détriment des salariés et de l’investissement, comme c’est le cas pour l’entreprise Caterpillar !

Je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, d’intervenir – pourquoi pas avec Mme Lagarde ! – auprès de la direction de cette société afin qu’elle accède à la demande préalable des élus du comité d’entreprise, pour que les négociations démarrent enfin et que, ensemble, les acteurs sociaux aboutissent à un véritable plan social de sauvegarde de l’entreprise.

La gravité de la crise requiert un changement de cap ! Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008, en convient lui aussi et en appelle, pour son pays, à la mise en œuvre d’un plan de relance d’au moins 4 % de son produit intérieur brut et à l’augmentation des indemnités chômage.

Monsieur le secrétaire d’État, l’heure est non plus à la rigueur, mais bel et bien à la relance !

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