Intervention de Alain Anziani

Réunion du 29 avril 2009 à 14h30
Débat sur la politique de lutte contre l'immigration clandestine

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment juger une politique de lutte contre l’immigration clandestine ? Selon moi, trois critères sont incontournables.

Il convient d’abord de poser la question des causes de l’immigration, qui est rarement heureuse. Il s’agit, le plus souvent, d’une immigration de la souffrance, parfois d’une immigration de l’espoir. Une telle question n’est guère populaire, et elle est ardue à résoudre. Pourtant, si nous voulons éviter l’immigration clandestine, plutôt que de construire une illusoire ligne Maginot, l’Europe, dans son ensemble, devra affronter les défis du partage des richesses, de la redistribution au profit des pays les plus pauvres, ou encore de l’éducation. Depuis plusieurs années, malheureusement, la majorité s’évertue à occulter ce point essentiel en opposant, selon la formule consacrée, immigration choisie et immigration subie.

Le deuxième critère, celui de la lutte contre les réseaux, notamment mafieux, implique également l’Union européenne. Ce combat exige une sévérité accrue contre les trafiquants en tous genres, dans les pays d’origine comme en France. Monsieur le ministre, je ne crois pas que votre proposition de délivrer un titre de séjour provisoire aux clandestins qui dénonceraient leur passeur soit pertinente. Vous allez donner au migrant concerné un sauf-conduit valable sur notre territoire, mais comment allez-vous assurer la sécurité de sa famille restée dans le pays d’origine, qui ne manquera pas d’être l’objet de représailles ? La question reste ouverte. Surtout, ce « marchandage » de titres de séjour ne peut nullement constituer la base d’une politique d’envergure contre les trafics.

J’en viens au troisième critère, le plus intéressant à mes yeux : une politique de lutte contre l’immigration clandestine doit respecter les droits fondamentaux des individus.

Les droits de l’homme devraient être au cœur d’une politique de lutte contre l’immigration clandestine, d’abord parce qu’ils interdisent de traiter la personne humaine comme une marchandise, ce qui rejoint la préoccupation précédemment exprimée, ensuite parce qu’ils nous obligent à une vigilance constante pour que les sans-papiers ne soient pas considérés comme des moins que rien, de simples parasites dont il faut se débarrasser sans trop y regarder : je suis entièrement d’accord, à cet égard, avec Mme Escoffier.

Au regard de ce dernier critère, quel est le bilan de la politique gouvernementale ? Constatons-le : notre pays traite l’immigré clandestin davantage comme un coupable, ce qu’il peut d’ailleurs parfois être au sens de nos lois pénales, que comme une victime.

C’est là le résultat de la « politique du chiffre » suivie par le Gouvernement. Comme s’il s’agissait de la rentabilité d’une entreprise, on affiche des objectifs annuels à atteindre : 26 000 reconduites à la frontière pour votre prédécesseur, 27 000 pour vous, monsieur le ministre ; ce chiffre, on peut l’imaginer, augmentera encore l’année prochaine.

Évidemment, une fois que l’on s’est fixé un tel objectif, il faut se donner les moyens de l’atteindre, le plus simple étant de faire la chasse aux sans-papiers. On a fermé le centre d’hébergement et d’accueil d’urgence humanitaire de Sangatte, situé à quelques kilomètres de Calais, où viennent s’échouer les Afghans ou les Kurdes en attente d’un départ pour l’Angleterre. La misère s’est alors déplacée de quelques kilomètres, vers la zone industrielle de Calais, et la fermeture annoncée de la « jungle » ne fera que la repousser encore un peu plus loin… Vous n’aurez, in fine, rien résolu !

Cette politique du chiffre n’est pas compatible avec l’exigence de respect de la dignité. Évoquant la situation française, Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, l’a souligné : « Le quantitatif prime parfois sur la nécessaire obligation de respecter les droits de l’individu. »

Logiquement, les « bavures » se multiplient dans les centres de rétention. La Commission nationale de déontologie de la sécurité, organisme indépendant, relève ainsi que « les manquements observés sont la conséquence d’un exercice routinier de ces missions, de l’insuffisance des contrôles hiérarchiques et juridictionnels, et de la fixation d’objectifs de reconduites effectives à la frontière qui sont sans rapport avec les moyens des services et conduisent à des traitements de masse, au mépris des hommes, de leurs droits fondamentaux et des règles de procédure ».

La lutte contre l’immigration clandestine se confond trop souvent avec un combat contre les immigrés. C’est la voie la plus facile, la plus médiatique, la plus simple à expliquer à l’opinion. C’est d’ailleurs la voie que vous aviez vous-même dénoncée, monsieur le ministre, dans un livre intitulé Les inquiétantes ruptures de M. Sarkozy : « Nicolas Sarkozy fabrique des sans-papiers, lui qui prétend lutter contre l’immigration clandestine. » Monsieur Besson, ne copiez pas M. Sarkozy !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion