Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 29 avril 2009 à 14h30
Débat sur la politique de lutte contre l'immigration clandestine

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos collègues du groupe du RDSE ont demandé un débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine, mais que faut-il entendre par « immigration clandestine » ?

L’immigration clandestine, illégale ou irrégulière, concerne les étrangers qui entrent sur le territoire national sans détenir les documents les y autorisant ou ceux qui demeurent en France une fois la validité desdits documents expirée.

Sont principalement concernés les habitants des pays pauvres, du Sud, qui cherchent un meilleur niveau de vie dans les pays riches, du Nord, ou encore des hommes et des femmes qui, à l’instar des Comoriens, veulent rejoindre un territoire – Mayotte – dont ils considèrent qu’il ne leur est pas étranger.

Toutefois, il faut savoir que, pour l’essentiel, l’immigration clandestine en France concerne les demandeurs d’asile déboutés du statut de réfugié, les personnes devenues sans-papiers à la suite du non-renouvellement de leur titre de séjour, essentiellement en raison du durcissement des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, les jeunes qui, alors qu’ils n’avaient pas besoin de papiers étant mineurs, se retrouvent en situation irrégulière à leur majorité.

Cela étant, n’oublions pas, au cours de ce débat, de souligner que la grande majorité des étrangers présents en France y sont entrés de façon tout à fait légale, leur situation n’étant devenue irrégulière qu’à la suite de l’expiration de la validité de leur titre de séjour, généralement après un refus de la préfecture de renouveler ce dernier. C’est surtout cela, la réalité de l’immigration clandestine contre laquelle le Gouvernement s’acharne !

En effet, la France, contrairement à ce que certains veulent faire croire à l’opinion, n’est plus, depuis au moins vingt-cinq ans, un pays d’immigration et n’est pas soumise à une « pression migratoire ». C’est, en effet, l’un des pays occidentaux où la proportion des migrants a connu la plus faible augmentation dans la période récente. Calais ne constitue souvent qu’une étape dans le parcours de migrants dont le but est non pas de s’installer en France, mais d’atteindre l’Angleterre.

Cela m’amène à dire que, dans notre pays, la politique de lutte contre l’immigration clandestine consiste essentiellement à traquer quotidiennement des personnes sans papiers installées souvent depuis plusieurs années sur notre territoire.

Pour atteindre les objectifs fixés par le Gouvernement en matière d’expulsions du territoire – 27 000 pour l’année 2009 –, une véritable chasse à l’homme est donc pratiquée, avec mise à contribution du personnel de certains services publics en contact avec des sans-papiers, phénomène récent qui tend malheureusement à se développer : de tels cas ont ainsi été signalés à La Poste, dans des caisses d’allocations familiales, des caisses primaires d’assurance maladie, des antennes de l’ANPE ou des ASSEDIC… Cette chasse à l’homme concerne, la plupart du temps, des parents d’enfants nés ou scolarisés en France, des conjoints de Français, des déboutés du droit d’asile, de jeunes majeurs.

Une pression s’exerce donc sur les personnes en situation irrégulière, qui sont susceptibles de se faire contrôler partout – dans les transports, les services publics – et vivent dans la peur. Elles sont traitées comme des délinquants, alors qu’elles n’ont souvent commis aucune atteinte ni aux personnes ni aux biens et sont avant tout des victimes, puisqu’elles n’ont aucun droit faute de papiers.

Les étrangers sans papiers sont donc à la merci des employeurs peu scrupuleux à la recherche d’une main-d’œuvre moins chère, ainsi que des marchands de sommeil. De nombreux cas, notamment dans mon département, la Seine-Saint-Denis, témoignent de la réalité de cette situation.

Les personnes qui, par humanité et de façon désintéressée, aident ces hommes, ces femmes et ces enfants ne sont pas mieux considérées. En effet, les réformes législatives successives qui ont renforcé tous les dispositifs de contrôle et de répression envers les étrangers n’ont pas épargné ceux qui, regroupés ou non en associations, viennent en aide aux étrangers en situation irrégulière.

L’un des symboles de cette tendance répressive est le tristement célèbre « délit de solidarité », qui ne concerne plus seulement les réseaux mafieux tirant parti de la détresse des migrants. En effet, de plus en plus de personnes ont pu se trouver menacées de poursuites pénales, arrêtées, placées en garde à vue, mises en examen, pour avoir aidé des étrangers en situation irrégulière.

À cet égard, monsieur le ministre, je regrette que vous vous obstiniez à mettre en doute la parole d’associations qui, dossiers à l’appui, vous démontrent que des personnes subissent vraiment des tracas judiciaires pour avoir aidé des sans-papiers. Vous n’êtes d’ailleurs pas sans savoir que, pour remédier à cette situation, nous avons déposé une proposition de loi visant à modifier l’article L. 622-1 du CESEDA, qui représente une véritable épée de Damoclès pour les nombreuses personnes agissant dans un dessein altruiste et, tout simplement, humain.

La lutte contre l’immigration clandestine semble ainsi résumer l’ensemble de la politique d’immigration menée tant en France qu’en Europe, entièrement axée sur la répression.

Je pense ici à la honteuse directive « retour », qui permet de placer en rétention des étrangers, y compris des mineurs, pour des durées pouvant aller jusqu’à dix-huit mois et de « bannir » les expulsés pendant cinq ans.

Je pense également au pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne et qui oscille entre instrumentalisation du codéveloppement et répression. Les Vingt-Sept se sont en effet prononcés en faveur d’une législation sur le renvoi des migrants, le renforcement des contrôles aux frontières, la sélection de travailleurs hautement qualifiés, les régularisations en fonction des exigences du marché du travail, l’interdiction des régularisations collectives…

Je pense enfin aux accords dits de gestion concertée sur les flux migratoires que le Gouvernement a fait signer à certains pays africains d’émigration et qui permettent à la France de faire pression sur ces derniers en exerçant une forme de chantage : le Gouvernement leur promet des possibilités de migrations légales – en vérité très limitées – et une aide au développement ; en contrepartie, ils doivent être les « gendarmes » de l’Europe, c’est-à-dire contrôler les flux migratoires à la source et faciliter les réadmissions des personnes expulsées par la France. Désormais, la France et l’Union européenne entendent empêcher les migrants non plus de pénétrer en Europe, mais de quitter leur pays d’origine. Par ailleurs, comment ne pas évoquer ici leur volonté de multiplier les camps de réfugiés à leurs portes, à l’image de ceux de Ceuta, de Melilla ou de Lampedusa ?

Ainsi, le Gouvernement dit vouloir lutter contre l’immigration clandestine, mais en même temps il a besoin de faire venir en France des étrangers triés sur le volet, conformément au concept de l’immigration choisie – choisie en fonction des besoins de l’économie et du patronat, selon le niveau de qualification des étrangers, qui doit être élevé pour intéresser la France : hommes d’affaires, sportifs de haut niveau, artistes, éligibles à la carte « talents et compétences » ou à la « carte bleue » européenne.

Comment peut-on parler, dans ces conditions, de développement solidaire, de codéveloppement, de coopération avec les pays du Sud, quand ceux du Nord, après avoir pillé leurs matières premières, veulent à présent piller leur matière grise ? En effet, cet intérêt pour les professionnels hautement qualifiés contribue à la « fuite des cerveaux » qui caractérise l’émigration du Sud vers le Nord. Cette fuite des cerveaux est totalement contraire aux intérêts des pays d’origine, qui subissent un manque de personnel, ainsi qu’une perte de revenu national au titre de l’impôt.

Pour conclure, j’insisterai sur le fait que la politique de lutte contre l’immigration clandestine menée par le Gouvernement est très coûteuse et inefficace, tout en étant dangereuse puisqu’elle s’attaque à des droits fondamentaux comme le respect de la vie privée, le droit à mener une vie familiale, le respect de la dignité, du droit d’asile et de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Soyons clairs : il ne s’agit pas, monsieur le ministre, de ne rien faire, mais, plutôt que de s’acharner à produire des textes qui n’ont aucun effet sur l’immigration clandestine, puisque celle-ci ne disparaît pas mais se transforme, le Gouvernement devrait enfin s’attaquer aux causes de cette immigration qui trouve toujours ses racines dans la pauvreté, la misère et l’injustice.

Enfin, je tiens à dire que votre politique est également dangereuse d’un point de vue idéologique, car elle est sous-tendue par une thématique populiste et démagogique que le Gouvernement aime à évoquer en période électorale ou en temps de crise !

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