Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 29 avril 2009 à 14h30
Débat sur la politique de lutte contre l'immigration clandestine

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a souhaité que la Haute Assemblée débatte aujourd’hui de la politique de lutte contre l’immigration clandestine. Notre collègue Anne-Marie Escoffier, qui sait cultiver l’excellence en rejetant toute démagogie, a placé ce débat dans le cadre de nos valeurs : la règle de droit est faite par des hommes, pour des hommes ; son application ne doit jamais s’affranchir du respect de la dignité de l’homme. Ceux qui ne veulent ni voir ni entendre, cautionnant des situations non conformes à cette dignité, hypothèquent toujours l’avenir, et l’histoire les rattrape.

Nous savons, monsieur le ministre, la difficulté de votre tâche. C’est un exercice d’équilibre particulièrement délicat, qui suppose responsabilité et humanisme.

Responsabilité d’abord, car il est de notre devoir de représentants de la souveraineté nationale de débattre et de proposer des solutions à une question aujourd’hui cruciale pour notre société.

Humanisme ensuite, car l’immigration clandestine est le fruit de la misère et du désespoir. Entretenue par une exploitation sans scrupule, elle fait des immigrés eux-mêmes les premières victimes de cette forme moderne de traite des êtres humains. Or il appartient à un État de droit comme le nôtre de faire cesser toute atteinte à la dignité humaine, par définition intolérable.

Loin de tout angélisme ou manichéisme, notre groupe refuse le schéma idéologique simpliste qui opposerait les bonnes âmes aidant les clandestins aux moins bonnes, guidées par le seul sentiment du rejet de l’étranger. Une telle posture obère toute approche constructive permettant la compréhension du phénomène.

Comme le rappelait, en 2006, le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’immigration clandestine, présidée par notre ancien collègue du RDSE Georges Othily, « si l’immigration irrégulière demeure fâcheusement “indénombrable”, sa réalité est en revanche perceptible à travers ses conséquences ». On estime que de 200 000 à 400 000 étrangers en situation irrégulière seraient présents sur notre territoire, avec un afflux de 80 000 à 100 000 migrants illégaux supplémentaires chaque année.

Cette situation amène à s’interroger sur le modèle d’intégration que notre société propose aux immigrés. Il est indéniable que le refus de tout contrôle de l’immigration irrégulière fait obstacle à l’intégration des étrangers en situation régulière. En outre, laisser se développer une immigration irrégulière anarchique et déshumanisée ouvre la voie au développement d’une économie souterraine de type mafieux. Force est de constater, toutefois, que ce modèle d’intégration est aujourd’hui contre-productif.

La multiplication récente des lois relatives à l’immigration et à l’intégration a engendré, outre une insécurité juridique croissante rappelée par notre collègue Anne-Marie Escoffier, la prédominance d’une logique répressive au détriment du respect des droits de la personne et, par conséquent, une rupture de l’équilibre que nous avons évoqué. Le droit d’asile est pourtant consacré par l’article 53-1 de la Constitution. Certes, il faut bien distinguer la question du droit d’asile du problème de l’immigration clandestine, mais la réalité des faits nous conduit malheureusement à constater l’existence d’une « passerelle » juridique.

Souveraineté nationale et ordre public sont des valeurs auxquelles nous sommes profondément attachés. Pour nous, elles ne devraient jamais être en opposition avec le respect de la dignité humaine. Cela nécessite une politique équilibrée, une clarification des compétences entre le juge des libertés et le juge administratif, une amélioration des conditions d’accueil et de placement dans des zones d’attente ou en centre de rétention administrative. En outre, on ne peut tolérer l’existence de centres d’accueil sauvages. La situation des centres de rétention administrative est aujourd’hui loin de satisfaire aux conditions élémentaires du respect de la dignité humaine. Monsieur le ministre, l’appel d’offres que votre prédécesseur avait lancé auprès des associations d’aide aux migrants est sous-tendu en réalité, sous couvert d’une mise en concurrence des structures associatives, par une logique de démantèlement d’un dispositif d’entraide indispensable. Je reste circonspect quant à l’efficacité de ce choix politique, que vous assumez.

Plus généralement, nous estimons que le Président de la République vous a mis, monsieur le ministre, dans la même situation difficile que votre prédécesseur, en vous assignant des objectifs chiffrés à atteindre coûte que coûte, quels que soient les dommages collatéraux qui en résulteront.

En y regardant de plus près, on s’aperçoit que la réalité ne correspond guère à l’autosatisfaction proclamée. En comptabilisant les réadmissions sur le territoire d’un État membre de l’espace Schengen ou les reconduites à la frontière des ressortissants bulgares et roumains séjournant au-delà des trois mois réglementaires, vous gonflez aisément le chiffre des reconduites, alors qu’en réalité seules 46 % de celles-ci s’effectuent hors d’une zone de libre circulation vers la France.

Exiger que soit privilégiée, à hauteur de 50 % du total, une immigration de travail au profit des secteurs économiques manquant de main-d’œuvre semble avoir placé votre administration dans l’embarras, en particulier pour ce qui concerne l’utilisation des statistiques : les demandeurs d’asile sont exclus des chiffres de l’immigration, des régularisations relevant de la catégorie « Vie privée et familiale » sont transférées vers la catégorie « Travail »... Enfin, avec la nouvelle procédure de naturalisation, qui déconcentre la décision vers les préfectures, vous vous approchez dangereusement de la rupture d’égalité, en promouvant les différences de traitement des dossiers d’une préfecture à l’autre.

Monsieur le ministre, je conviens tout à fait que l’immigration irrégulière est la source de nombreux dysfonctionnements économiques et sociaux, dans la mesure où elle alimente une forme de délinquance et le sentiment d’insécurité de certains de nos concitoyens. En revanche, nous ne pouvons adhérer à la politique que vous défendez, qui instille incidemment l’idée selon laquelle l’étranger constituerait un danger potentiel. Les sénateurs du RDSE ne peuvent accepter que soient assimilés clandestins et délinquants.

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