Intervention de Claude Lise

Réunion du 22 octobre 2008 à 15h00
Revenu de solidarité active — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Claude LiseClaude Lise :

Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le débat qui se déroule aujourd’hui concerne tout particulièrement les départements d'outre-mer.

Faut-il le rappeler, la situation sociale dans ces départements résulte d’un « mal-développement » qui, même s’il a connu quelques phases d’amélioration, a jusqu’ici résisté à toutes les politiques censées le combattre.

Malgré un incontestable dynamisme des acteurs locaux, qui s’est traduit par des taux de croissance remarquables ces dix dernières années, de l’ordre de 4 %, les quatre départements d’outre-mer connaissent des taux de chômage et d’emplois précaires particulièrement élevés et sont confrontés à des problèmes de pauvreté et d’exclusion sociale on ne peut plus préoccupants.

Ainsi, en Martinique, le taux de chômage est toujours de l’ordre de 22 %, et la proportion de ceux qui perçoivent des bas revenus est bien supérieure à celle de l’Hexagone.

Par ailleurs, au 31 décembre 2007, on dénombrait 31 592 allocataires du RMI, pour une population de 400 000 habitants, soit un taux d’environ 8 %, quatre fois supérieur à celui qui est constaté en métropole. À la fin de 2006, selon les chiffres de l’INSEE, 19, 8 % des ménages martiniquais vivaient au-dessous du seuil de pauvreté, alors même que ce seuil, défini localement – c’est d’ailleurs assez curieux ! –, est nettement inférieur au seuil retenu pour le reste de la France.

Ai-je besoin de vous décrire, dans un tel contexte, les difficultés auxquelles sont confrontés les élus locaux ? Vis-à-vis, notamment, des allocataires du RMI, comment répondre à une demande quantitative d’une telle importance en maintenant un certain niveau d’exigence quant à la qualité des solutions offertes ?

Comment, en particulier, trouver suffisamment d’offres d’emplois dans le secteur marchand ou d’activités réelles valorisantes et formatrices dans le secteur non marchand ?

Pourtant, ce qui a été réalisé en matière d’insertion dans les quatre DOM est, à bien des égards, remarquable. Surtout lorsque l’on tient compte du handicap supplémentaire que l’on a imposé pendant plus de six ans aux élus locaux des DOM, avec la mise en place d’un instrument spécifique, les agences d’insertion qui, dans leur forme juridique initiale, étaient des établissements publics nationaux.

Pendant six ans, les politiques d’insertion ont ainsi été pratiquement pilotées depuis Paris. Dans ce cadre, Bercy – je dis bien Bercy ! – avait largement pris le pas sur la Rue Oudinot ! Ainsi a-t-on pu voir un fonctionnaire décider, depuis son bureau du ministère des finances, de l’implantation d’une commission locale d’insertion, dans telle ou telle commune où il ne s’était jamais rendu et dont il ne connaissait absolument rien !

J’ai dû mobiliser mes trois autres collègues et mener une longue bataille parlementaire pour obtenir enfin, en 2000, la départementalisation des agences d’insertion, départementalisation, qui, d’ailleurs, n’a été définitivement consacrée qu’en 2003.

On a alors assisté à une nette amélioration des résultats. Dans l’agence départementale d’insertion que je préside, en 2007, 64 % des personnes relevant du RMI ont signé un contrat d’insertion, contre 32 % en 2002. Preuve, s’il en était besoin, que, dans un domaine comme celui de l’insertion, la connaissance des réalités du terrain et leur prise en compte effective sont absolument indispensables.

Les résultats que nous avons obtenus n’ont cependant jamais diminué notre détermination à aller plus loin, à fixer des objectifs plus ambitieux. Je peux l’affirmer, nous n’avons jamais cessé de tout faire pour convaincre les allocataires du RMI de refuser de s’installer dans l’assistance et pour les inciter, au contraire, à toujours privilégier la recherche active d’un emploi.

C’est d’ailleurs ce qui m’a amené à signer, en juin 2005, un contrat d’objectifs par lequel le conseil général de la Martinique s’engageait à mettre en œuvre 5 000 contrats d’avenir et 800 CI-RMA.

J’ai eu le temps de signer 2 700 contrats d’avenir, avant de réaliser que l’État interprétait à sa façon la notion d’activation du RMI, laissant à la charge du conseil général plus de 23 millions d’euros !

Cette expérience malheureuse s’ajoute évidemment à celle que nous faisons depuis 2005 dans le cadre du système de remboursement par l’État des allocations RMI versées par le conseil général.

Nous ne sommes bien sûr pas les seuls à nous plaindre de la permanence d’un différentiel entre allocations effectivement versées et remboursement. Mais, dans notre cas, ce différentiel accuse 33 millions d’euros, somme qui s’ajoute à celle que je viens d’évoquer ! Un tel montant est à mettre en regard d’un budget primitif de 476 millions d’euros hors crédits RMI, ces derniers représentant un montant de 159 millions d’euros !

Monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, vous l’aurez compris, si, comme la plupart des élus martiniquais, je partage les objectifs et la logique, pour ne pas dire la philosophie même, qui sous-tendent la mise en place du revenu de solidarité active, je tiens vraiment à éviter de connaître demain de nouvelles et graves déconvenues.

Je ne souhaite évidemment pas que les départements d'outre-mer soient écartés d’un dispositif qui vise à rendre plus attractif l’emploi pour les bénéficiaires de minima sociaux et, notamment, pour les RMIstes, mais je considère que l’application de ce dispositif doit être assortie de très sérieuses précautions.

En l’occurrence, il paraît indispensable de procéder au préalable, et d’urgence, à une concertation approfondie avec les différents acteurs locaux concernés, au premier rang desquels, évidemment, les quatre exécutifs départementaux. Or tel n’est pas encore le cas. Elle devra notamment porter sur l’incidence de la mise en œuvre du RSA sur les budgets des conseils généraux des départements d’outre-mer.

Je considère, pour ma part, que ces budgets supportent déjà un niveau bien trop élevé de transferts de charges, alors même qu’ils doivent permettre de faire face à une demande sociale dont vous devinez l’ampleur, et qui ne cesse de croître et de se complexifier.

Des garanties formelles devront donc nous être données quant à la compensation intégrale des nouvelles dépenses, consécutives notamment au transfert de l’allocation de parent isolé, versée à plus de 5 000 bénéficiaires pour la seule Martinique, dépenses qui viendront aggraver le déficit du budget que je gère.

Je considère que l’octroi de ces garanties devrait s’accompagner d’une proposition d’échéancier pour l’apurement par l’État des dettes considérables contractées à l’égard des départements d’outre-mer en matière de RMI.

La concertation devra par ailleurs porter sur les mesures à prendre pour limiter le risque, encore plus grand et plus dommageable outre-mer que dans l’Hexagone, de voir se développer un effet pervers – les orateurs précédents s’en sont largement fait l’écho – consistant à favoriser les emplois faiblement rémunérés.

La concertation devra également porter sur le devenir de certains dispositifs propres à l’outre-mer.

Quelle sera, ainsi, l’incidence de la réforme sur les fameuses agences départementales d’insertion ?

Va-t-on supprimer le revenu de solidarité destiné aux allocataires de plus de cinquante ans ?

Qu’adviendra-t-il du contrat d’insertion par l’activité, très demandé par les communes et le secteur associatif, et vers lequel s’orientent un très grand nombre de personnes qui ne parviennent pas à trouver un emploi ? Sera-t-il intégré dans le dispositif du contrat unique d’insertion ? Dans ce cas, l’État qui, depuis trois ans, réduit sa participation au financement de ce contrat consentira-t-il l’indispensable effort financier supplémentaire ?

La question revêt toute son importance au moment où se manifestent de plus en plus de craintes sur la portée réelle de la future loi pour le développement économique de l’outre-mer. Je suis, pour ma part, très pessimiste quant aux effets de cette future loi programme.

Enfin, il faudra absolument accorder une attention toute particulière au cas des jeunes âgés de moins de vingt-cinq ans, qui connaissent un taux de chômage bien plus élevé outre-mer que dans l’Hexagone.

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