Intervention de Martin Hirsch

Réunion du 22 octobre 2008 à 15h00
Revenu de solidarité active — Discussion générale

Martin Hirsch, haut-commissaire :

Mais là, avec 95% de chance, nous nous sommes dit que nous pouvions y aller !

Mais j’avais une deuxième raison, et je vais vous la dire en confidence : j’avais le sentiment, presque une obsession, que, si l’on ne présentait pas maintenant un tel projet de loi et si l’on n’inscrivait pas dans le projet le budget pour 2009 la somme de 1, 5 milliard d’euros, l’occasion ne se représenterait peut-être pas. Car, mesdames, messieurs les sénateurs, on n’est jamais sûr que le train repasse...

C’est pour cette raison que nous allons à ce rythme.

La troisième raison tient au ralentissement économique. Vous avez exprimé sans langue de bois vos craintes et nous les partageons ; nous savons que les conséquences peuvent être difficiles pour les plus pauvres. Le soutien du pouvoir d’achat de ceux qui perçoivent de 500 à 1 000 euros de revenus par mois sera plus que jamais nécessaire.

Pour vous donner un ordre d’idées, le revenu de solidarité active va se traduire par une augmentation de pouvoir d’achat de 8 % pour un ménage sur quinze. L’effort est donc bien ciblé et répond à la problématique actuelle.

Tels sont les premiers éléments de réponse que je souhaitais vous apporter au sujet du calendrier retenu pour cette réforme.

Beaucoup d’entre vous ont abordé la question des personnes les plus éloignées de l’emploi. Je suis sensible à l’argument. Nous avons conçu le RSA de façon à inclure dans le dispositif les personnes qui ont les plus grandes difficultés.

Dans les départements qui ont expérimenté le RSA, il a été très frappant de constater que des personnes qui étaient restées très longtemps allocataires du RMI avaient pu retrouver un emploi. Ce résultat n’est pas le fruit d’un miracle, mais bien du dispositif, qui a eu un triple effet, et je tiens beaucoup à le souligner.

Le premier effet est financier. Les personnes qui sont depuis cinq, six, sept ans au RMI ont généralement fait l’expérience d’un retour à l’emploi qui ne s’est pas traduit par une augmentation de revenus. On se fait avoir, alors on retourne dans l’inactivité. Ici, c’est le contraire : on gagne, donc on reste dans l’activité. Le facteur financier a donc une incidence sur des gens très éloignés de l’emploi.

Le deuxième effet est de l’ordre de la déstigmatisation. En vingt ans, les bénéficiaires du RMI ont fini par être considérés par les entreprises comme étant probablement incapables de travailler. Le lancement d’un nouveau dispositif a donné un éclairage plus favorable, qui a joué y compris en faveur des gens qui étaient « enkystés » malgré eux dans le RMI.

Le troisième effet est dû à la mobilisation des conseils généraux. Pour les travailleurs sociaux, pour les différents acteurs de l’emploi, le fait de s’asseoir autour d’une table et de mettre en route des comités de pilotage pour réexaminer toute la population concernée par le dispositif au regard de l’emploi a eu un effet positif. Nous parlons souvent des personnes éloignées de l’emploi, mais c’est à tort, car ce sont souvent et l’emploi et les acteurs de l’emploi qui se sont éloignés d’elles.

Nos dispositifs d’aide étant saturés par l’afflux des allocataires, nous avons tous intérêt à ce que les personnes proches de l’emploi parviennent à trouver une activité. Nous pouvons ainsi recentrer le travail d’accompagnement social sur les personnes les plus en difficultés, qui trouvent donc un intérêt elles aussi à ce que le dispositif remonte vers le haut.

À la demande des associations, nous avons d'ailleurs inscrit dans les indicateurs phare de notre tableau de bord le critère de la grande pauvreté, soit un revenu inférieur à 40 % du revenu médian. Nous disposons donc d’éléments pour vérifier que nous nous occupons aussi des plus éloignés de l’emploi.

Le résultat est là : la proportion de ceux qui reprennent un travail dans le cadre de l’expérimentation du RSA est élevée, et plus élevée que dans les zones hors expérimentation. Mesdames, messieurs les sénateurs, il est en train de se passer quelque chose.

Certains d’entre vous se demandent pourquoi nous n’avons pas choisi d’augmenter directement les minima sociaux. Nous avons débattu de cette question avec les associations et avec les syndicats. Il s’est agi de s’interroger sur les raisons pour lesquelles, dans le système actuel, on était resté si longtemps coincé. C’est que l’absence de perspective de sortie du RMI a produit des hésitations quant à l’augmentation des minima sociaux.

Comme le montre l’étude publiée par les universitaires indépendants du Centre d’études de l’emploi, certains couples, pour commencer à gagner de l’argent en reprenant un travail, devaient travailler plus de cinquante heures par semaine, certains adultes isolés plus de vingt heures par semaine. En deçà, ils ne gagnaient rien par rapport à la situation antérieure !

Dans cette logique, si, toutes choses étant égales par ailleurs, on augmente les minima sociaux, si donc on élève le niveau de départ, alors le retour à l’emploi n’est jamais favorable. Personne ne peut défendre un tel système.

Avec le RSA, qui améliore le taux de retour à l’emploi, nous avons calculé, grâce à des barèmes très précis, que, dès la première heure travaillée dans la plupart des cas, au pire au bout de trois ou quatre heures, une personne commence à gagner de l’argent, y compris en tenant compte des droits connexes.

Dès lors, nous avons « décoincé » le système, ce qui permet de nouveau que la dynamique des minima sociaux suive les salaires.

Nous avons énormément travaillé sur ce point. Je n’ai jamais prétendu que le sujet serait clos avec l’adoption du projet de loi. J’ai simplement voulu montré qu’en remettant les prestations dans l’ordre et en garantissant, à l’article 1er, tout à la fois le revenu minimum et son augmentation en fonction de la quantité de travail, nous ôtions un argument à ceux qui disent que l’on ne peut pas toucher aux minima sociaux.

Le raisonnement est complexe, et j’espère avoir été assez clair, mais, croyez-moi, c’est une dimension essentielle du dispositif et c’est ainsi que nous pourrons avancer.

Au sein de la commission qui a travaillé à l’élaboration du RSA, nous nous sommes posé la question en conscience : si nous disposons de 1, 2 ou 3 milliards d’euros, est-il préférable, pour les personnes concernées, de mettre en œuvre le RSA ou d’augmenter le montant du RMI ? L’ensemble des syndicats et des associations, depuis la CGT jusqu’à ATD Quart Monde et Emmaüs, ont opté pour le RSA. C’est donc au RSA qu’ira l’argent en priorité.

Je voudrais insister sur un point extrêmement important, qui n’est pas sans rapport avec la loyauté due aux conseils généraux.

Dans les départements qui expérimentent le RSA depuis un an, on observe un meilleur taux de retour à l’emploi, ce qui fait baisser les dépenses liées au RMI. De fait, quand un bénéficiaire passe à mi-temps, vous avez à débourser non plus 447 euros, mais 200 euros.

C’est en poursuivant cet effort que nous parviendrons à reconstituer nos marges de manœuvre financières. Cet argument a été fondamental pour convaincre les détracteurs de la réforme.

Vous avez souligné la difficulté qu’il y a à demander de l’argent pour les plus pauvres. Il est vrai que l’on nous réplique toujours, et ce quelle que soit l’appartenance politique de nos interlocuteurs, que les dépenses sociales sont déjà très élevées et qu’il ne faut pas en ajouter. Ce qui nous a fait emporter la décision, c’est que nous avons pu prouver que ces dépenses supplémentaires avaient un effet sur l’emploi, sur les revenus des personnes et, par conséquent, un effet d’économie sur les budgets sociaux.

Si nous poursuivons dans cette voie, les prochaines étapes pourront être franchies. Je vous le dis en toute sincérité.

Vous avez beaucoup insisté, les uns et les autres, sur la pérennité de la compensation financière opérée par l’État à l’égard des départements. J’ai bien compris le sens de votre interrogation : jusqu’ici, pas d’entourloupe, mais est-ce que cela va durer ?

Certains d’entre vous préfèrent la notion de « transfert de compétence » à celle d’« extension de compétence ». Selon nous, cette dernière est plus protectrice pour les départements, car elle peut comporter des clauses de revoyure. Le ministère des finances serait très favorable à un amendement prévoyant un « transfert de compétence » et faisant disparaître les clauses de revoyure, mais vous n’aurez aucune garantie sur les rendez-vous des années suivantes. J’attire votre attention sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs.

Lorsque j’ai conçu ce dispositif, j’avais une certitude : cela ne fonctionnerait que si tout le monde y participait, en confiance. Nous n’avons donc aucun intérêt à mettre en place un système qui posera des problèmes aux conseils généraux dans un an ou dans deux ans.

C’est pour cette raison que nous avons instauré un débat à chaque étape et que nous vous proposons une extension de compétence avec clauses de revoyure. Avec ce système, les gains du retour à l’emploi sont en outre immédiats, beaucoup plus favorables que dans l’actuel dispositif du RMI, où l’on peut constater une diminution du nombre des bénéficiaires sans qu’elle s’accompagne d’une baisse de la dépense.

Je vous le dis en toute transparence, je ne pense pas que les conseils généraux soient gagnants avec un transfert de compétence, alors que nous essayons de construire avec eux un véritable pacte de confiance.

Vous avez beaucoup insisté sur les mesures d’accompagnement.

Nous avons, d’une part, réservé une enveloppe de 150 millions d’euros pour des aides sur mesure – droit de garde, transport, notamment –, sans compter les 500 millions d’euros affectés au fonds départemental et le barème du RSA lui-même. Cette enveloppe supplémentaire sera mise en place dès l’année prochaine et pourra être dépensée avec les conseils généraux, le pôle emploi. Les « coups de pouce » évoqués par le président Arthuis, que les présidents de conseil général connaissent bien, pourront ainsi être prolongés.

D’autre part, le service public de l’emploi aura désormais vocation à accueillir tout le monde, y compris les allocataires du RSA, et ce gratuitement. C’est inscrit pour la première fois dans la loi. Les présidents de conseil général pourront toujours passer des conventions pour des prestations supplémentaires destinées à des publics plus difficiles, mais cette disposition change le curseur en faveur des conseils généraux et institue enfin la vocation universelle du service de l’emploi.

Beaucoup d’entre vous se sont demandé si les attributaires du RSA seraient privés de leurs allocations en étant radiés de l’ANPE. Ce point me tient à cœur.

Au moment de l’instauration du RMI, on a cru bien faire en excluant tout lien avec la recherche d’emploi, et cela s’est retourné contre les allocataires. C’est ainsi que, les deux tiers des RMIstes n’étant pas inscrits à l’ANPE, les entreprises en tirent la conclusion que, s’ils ne sont pas dignes d’être inscrits à l’ANPE, ils ne sont sans doute pas dignes non plus de travailler chez elles ! On voit alors pourquoi les RMIstes n’ont guère de chance de postuler utilement à un emploi.

Les acteurs de l’insertion plaident à l’unanimité pour le maintien du régime de droit commun. Sur le principe, tout le monde est évidemment d’accord. Simplement, en l’occurrence, ce n’est pas applicable à l’allocation elle-même. En effet, lorsqu’une personne perd le bénéfice de l’indemnisation chômage qui lui était versée, elle a toujours la garantie de percevoir un revenu minimal, ce qui ne sera pas le cas avec le RSA.

Dans ces conditions, nous avons décidé un découplage.

Aujourd'hui, le service public de l’emploi peut procéder à des radiations de demandeurs d’emploi lorsque la personne concernée ne s’est pas présentée à des convocations ou a refusé plusieurs offres raisonnables d’emploi. Au demeurant, et j’insiste sur ce point, offre raisonnable d’emploi ne signifie pas pour nous travail à temps partiel ou intérim. Il existe actuellement un certain nombre de garanties, sur lesquelles il me semble inutile de revenir.

Désormais, le service public de l’emploi pourra se tourner vers le conseil général pour lui demander non pas de jouer le rôle du gendarme, mais tout simplement de faire son travail de cocontractant, comme il le fait déjà à l’égard des allocataires du RMI qui ne donnent plus signe de vie.

Comme cela se pratique dans les commissions locales d’insertion, les CLI, l’institution départementale pourra, grâce à son équipe pluridisciplinaire, examiner les causes de telles absences et voir si celles-ci sont liées à un problème de santé ou s’il y a lieu de suspendre le versement de la prestation.

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