Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j’ai l’honneur de présenter avec Nora Berra a été élaboré, vous le savez, à la suite du drame du Mediator. Nous voulons que, dans notre pays, il y ait un avant et un après Mediator.
Ce texte refonde le système de sécurité sanitaire des produits de santé pour concilier à la fois sécurité des patients et accès aux progrès thérapeutiques. Il est l’aboutissement d’importants travaux d’évaluation et de débats avec tous les acteurs des produits de santé, notamment dans le cadre des Assises du médicament. Je tiens aussi à saluer les contributions des missions parlementaires d’information.
Cette réforme doit redonner aux Français confiance dans notre système du médicament. Elle forme un tout. Elle se caractérise à la fois par des mesures législatives ou réglementaires sur lesquelles je reviendrai plus précisément au cours de la discussion et par des dispositions en matière tant d’organisation interne – notamment celle de la future Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé – que de gouvernance. Et je n’oublie pas la dimension européenne, que j’évoquerai lors de l’examen des articles, afin de bien montrer qu’il nous faut œuvrer dans un souci de cohérence.
Si j’insiste sur ce point, c’est que, lors de la présentation de ce texte, d’aucuns ont souligné le silence du projet de loi sur les questions de nature budgétaire. C’est pourtant bien normal, puisque ces dernières relèvent soit du projet de loi de financement de la sécurité sociale, soit du projet de loi de finances. C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l’ensemble des changements engagés par ce texte, je m’attacherai à porter à votre connaissance toutes les informations disponibles, de manière que vous puissiez avoir la vision la plus juste possible.
Sur les mesures qui relèvent du domaine réglementaire, j’ai déjà sollicité les services du ministère. Je veux qu’elles soient concomitantes de la mise en œuvre de ce projet de loi, afin que celles et ceux qui le désirent puissent les consulter avant leur publication.
Les débats à l’Assemblée nationale ont été riches et ont permis de parvenir à un texte équilibré, juste et efficace. Je sais que cela n’est pas forcément l’usage, mais, comme je l’ai fait à l’Assemblée nationale, je vous exprime, du haut de cette tribune, mon souhait que, dans deux ou trois ans au plus tard, il soit procédé à une évaluation de cette nouvelle législation. Vouloir des changements, c’est bien ; s’assurer qu’ils ont tous été opérés, dans l’esprit comme dans la lettre, c’est mieux, surtout dans un domaine aussi sensible.
Mesdames, messieurs les sénateurs, votre commission des affaires sociales a souhaité apporter un certain nombre de modifications. J’aurai l’occasion d’y revenir.
Le premier axe de cette réforme est la lutte contre les conflits d’intérêts et la transparence des décisions. Cela passe par deux voies : l’indépendance des experts et l’organisation d’une procédure d’expertise à la fois transparente et collégiale.
Il faut garantir l’indépendance des experts. À ce titre, la lutte contre les conflits d’intérêts est notre priorité. Elle implique à la fois la systématisation de la déclaration d’intérêts et la mise en place de sanctions adéquates.
Dans un souci de simplicité, de lisibilité, mais aussi afin de permettre des contrôles efficaces, tous les acteurs du domaine de la santé sans exception – experts externes ou internes, associations de patients, etc. – devront remplir un formulaire unique de déclaration publique d’intérêts, un DPI. Je souhaite que ce type de déclaration soit étendu à celles et ceux qui exercent des responsabilités dans le champ de la santé, au ministère, dans les administrations centrales comme dans les services déconcentrés. Pour ma part, avant même l’adoption de ce texte, j’ai rempli une telle déclaration et demandé à l’ensemble des collaborateurs de mon cabinet d’en faire autant.
Ces déclarations seront toutes publiques, ce qui permettra aux divers observateurs, journalistes et experts, de les consulter et de vérifier les situations. J’espère vivement qu’ils le feront dès l’entrée en application de la loi, sans attendre qu’une affaire occupe l’actualité. Je n’ai aucun conseil à donner, mais, puisque ces éléments seront publics, je ne peux qu’inviter les observateurs, jamais avares de commentaires, à les consulter et à exprimer leur avis.
Il me semble primordial que chaque institution puisse assumer ses responsabilités dans la gestion et dans le contrôle des DPI. La commission des affaires sociales du Sénat a supprimé la disposition permettant la création à cet effet, au sein de chaque organisme, d’une cellule de déontologie. Je le regrette, parce que je considère que c’est au sein de chaque structure que l’on peut être le mieux à même de définir et d’identifier les liens d’intérêts en fonction des compétences sollicitées. Je ne voudrais pas que, sous prétexte que cette disposition ne figure plus dans le texte, ces structures se croient exemptées de l’obligation de mettre en place des principes de déontologie, laissant ce travail à d’autres. Il faut que cette responsabilité soit pleinement assumée.
Par ailleurs, la commission des affaires sociales a supprimé le recours à une charte de l’expertise sanitaire. Sa mise en place nous paraît pourtant essentielle pour encadrer la procédure expertale.
Les règles de transparence ne sont pas optionnelles, mais doivent au contraire être strictement appliquées. Lorsqu’un expert présent dans une séance est concerné par un conflit d’intérêt, les décisions et les avis pris lors de cette réunion doivent être nuls et non avenus. Cette obligation sera partie intégrante des règlements intérieurs des commissions. Ainsi la situation sera-t-elle claire et dépourvue de toute ambiguïté.
La transparence totale, c’est la condition de la confiance. C’est aussi l’obligation, pour l’industrie pharmaceutique, de rendre publics non seulement l’existence des conventions conclues avec les parties prenantes, mais également les avantages en nature ou en espèce qu’elle procure. Il s’agit là de la transposition du système américain du Sunshine Act. Je souhaite que cette disposition de nature réglementaire s’applique dès le premier euro, de manière à garantir une transparence totale. La commission des affaires sociales a proposé d’inclure dans les parties prenantes les personnes intervenant dans la formation initiale des professionnels de santé ; cela va dans le bon sens. En revanche, en exclure les étudiants, qui sont les professionnels de demain, est selon moi contraire à notre objectif.
Je sais que plusieurs amendements visent à impliquer les ordres professionnels dans la publication de ces conventions. Il s’agirait alors d’étendre les missions que ceux-ci exercent actuellement au regard de la loi anti-cadeaux ; cela me semble une bonne décision. Je rappelle d’ailleurs que le non-respect de cette obligation de déclaration sera sanctionné pénalement.
Après avoir évoqué la lutte contre les conflits d’intérêts, qu’il ne faut pas confondre avec la question des liens d’intérêts, j’en viens maintenant à la transparence des décisions et à la collégialité des travaux des commissions de l’Agence du médicament.
Le projet de loi oblige à rendre publics les ordres du jour ainsi que les comptes rendus assortis des détails et explications de vote, y compris les opinions minoritaires. Ces informations seront mises à disposition du public.
La composition et le fonctionnement des commissions de l’Agence seront définis par voie réglementaire sur les principes suivants : ouverture à la pluridisciplinarité, limitation du nombre de membres et de la durée des mandats. À l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS, certains semblent membres ad vitam aeternam, ce n’est pas une bonne chose.
Dominique Maraninchi, dont je veux saluer tout particulièrement l’action efficace et la parfaite réactivité sur nombre de dossiers, est en train de refonder l’organisation de l’Agence. Celle-ci voit ses moyens renforcés en projet de loi de financement de la sécurité sociale, afin de pouvoir mieux répondre à ses missions.
La transparence des décisions, c’est aussi un système où chaque institution a sa place, avec des rôles et des missions clairement définis, pour que le public s’y retrouve. C’est pourquoi il est indispensable que l’institution en charge de notre police du médicament soit clairement identifiée et que son nom, je l’assume, n’évoque plus le drame du Mediator. L’AFSSAPS deviendra donc l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM. Il ne s’agit pas seulement d’un changement de nom : cette modification s’impose si l’on veut repartir sur des bases nouvelles.
Le projet de loi dote l’Agence d’un arsenal de sanctions proportionnées, qui, à mon sens, sont réellement dissuasives, par exemple un pouvoir de sanction administrative financière. Je serai particulièrement attentif à la mise en œuvre rapide de ce dispositif.
La transparence totale, c’est aussi faire en sorte que le financement de l’Agence soit désormais directement assuré par les subventions de l’État, plus précisément de l’assurance maladie, qui percevra les taxes et les redevances de l’industrie pharmaceutique. C’est un changement, car ce cloisonnement est la garantie d’une totale étanchéité. Le financement de l’ANSM sera augmenté de 40 millions d’euros ; cette mesure est incluse à la fois dans le projet de loi de finances pour 2012 et dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale.
Le deuxième axe de cette réforme fait suite à une remarque que j’ai lue dans le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, qui m’a été remis à la mi-janvier et qui m’a alors profondément marquée : dans le dossier du Mediator, le doute a bénéficié systématiquement aux laboratoires Servier. Ce n’est pas tout à fait ma conception du principe de précaution, ni la vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs : le doute doit bénéficier systématiquement au patient !
Ce principe vaut dès l’autorisation de mise sur le marché, l’AMM, du médicament et tout au long de sa vie. Le médicament ne doit pas juste être un peu mieux que rien, il faut aussi que le patient en tire un réel bénéfice.
C’est pourquoi j’ai présenté à l’Assemblée nationale un amendement tendant à permettre à l’Agence de demander que les essais cliniques soient effectués contre comparateurs. Si l’entreprise s’y oppose, elle devra alors le justifier.
Disposer, dès l’AMM, de données comparatives avec le médicament de référence – quand celui-ci existe –, c’est aussi un combat européen. J’ai déjà évoqué à plusieurs reprises ce sujet avec le commissaire européen John Dalli, afin que la réflexion sur la prise en compte du critère de la valeur ajoutée thérapeutique pour l’octroi d’une AMM soit engagée à l’échelon européen. À ce stade, soyons clairs, nous en sommes loin : le commissaire européen et moi-même ne sommes pas sur la même longueur d’onde ! Je n’abandonnerai pas ce combat, même si je sais pertinemment que convaincre prend du temps …
En attendant l’évolution de la législation européenne, nous allons modifier les règles de remboursement en France. L’Assemblée nationale a donc introduit un article pour que l’inscription au remboursement soit désormais soumise à la réalisation d’essais cliniques versus stratégies thérapeutiques de référence, lorsque ces dernières existent. En d’autres termes, à défaut de pouvoir empêcher l’AMM, on empêchera le remboursement.
L’idéal serait bien évidemment un changement à l’échelon européen, mais, ayant un peu d’expérience en la matière, je sais que cela demande de la patience. C’est pourquoi nous commencerons par modifier les règles nationales, puisque cela dépend de nous seuls.
Enfin, pour les médicaments présentant un service médical rendu insuffisant, ou SMRI, de nouvelles règles doivent être applicables : aucune prise en charge par la collectivité, donc pas de remboursement, sauf avis contraire – et motivé – du ministre. La question est avant tout celle de l’efficacité et non celle du rendement.
Je ne vous le cache pas, mesdames, messieurs les sénateurs, quand j’étais jeune ministre, on m’avait suggéré de « dérembourser » des médicaments pour réaliser des économies. Avec le recul, je me rends compte que ces économies sont nulles, en raison des reports de prescriptions. Le nouveau dispositif s’appuie donc sur un principe de bon sens : il est préférable de placer son argent sur un médicament efficace. Pour autant, il est difficile de changer les habitudes – les patients sont habitués à un médicament, les médecins à le prescrire –, si bien que, lorsque ce médicament est retiré du marché parce qu’il est inefficace, il n’est pas simple de le faire comprendre et accepter.
L’enjeu n’est pas financier, d’autant que des reports de prescriptions sur des médicaments peuvent même se révéler plus coûteux ! Si ceux-ci sont efficaces, je n’y vois personnellement aucun inconvénient. En revanche, jamais je ne dirai qu’un déremboursement vise à réaliser une économie : je n’y crois pas. Je le répète, c’est une question d’efficacité et de bon sens. Nous aurons la responsabilité d’accompagner les professionnels de santé et les patients dans cette évolution de la prise en charge thérapeutique.
Par ailleurs, l’AMM ne sera plus scellée dans le marbre. Avec ce projet de loi, des études complémentaires d’efficacité et de sécurité pourront à tout moment être exigées par les autorités sanitaires, en cas de suspicion de modification du rapport bénéfice-risque. En cas de non-réalisation de ces études, l’AMM pourra être suspendue ou retirée et le titulaire de l’AMM sera susceptible de se voir infliger une sanction financière par l’Agence. Cette question a donné lieu à un grand débat à l’Assemblée nationale : le renouvellement illimité des AMM a été supprimé au profit d’un renouvellement quinquennal.
Pour garantir efficacement la sécurité sanitaire, il faut pouvoir disposer de l’ensemble des informations relatives à la sécurité des produits. C’est pourquoi le projet de loi oblige les exploitants à informer l’Agence de toute mesure d’interdiction, de restriction ou de modification du rapport bénéfice-risque d’un médicament commercialisé dans un pays tiers.
Sur ce point, l’Union européenne nous suit. La Commission européenne propose de réviser la directive relative à la pharmacovigilance en ce sens, avec obligation d’information à l’échelon européen.