Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis ici afin d’examiner le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
Ce texte, que vous avez déposé cet été, monsieur le ministre, a un objectif : « qu’il n’y ait pas demain de nouveau Mediator » ; je reprends vos propres termes.
L’examen de ce projet de loi est l’occasion de rappeler certains principes fondamentaux de l’éthique médicale, notamment le fameux précepte latin que l’on traduit communément ainsi : d’abord ne pas nuire, ensuite soigner.
Ce principe figure dans le traité d’Hippocrate sur lequel les médecins en Occident prêtaient traditionnellement serment et qui leur a longtemps fait déclarer : « Dans toute la mesure de mes forces et de mes connaissances, je conseillerai aux malades le régime de vie capable de les soulager et j’écarterai d’eux tout ce qui peut leur être contraire ou nuisible. »
Que la santé ne nuise pas au patient, quelle évidence a priori ! Pourtant, ce précepte est encore quotidiennement bafoué, au mépris des principes élémentaires.
Le phtalate, substance classée cancérogène, mutagène et reprotoxique de catégorie 2 par l’Union européenne, au point qu’il est interdit depuis quelques années dans les jouets destinés aux enfants de moins de trois ans, entre pour plus de 50 % dans la composition des plastiques à usage médical.
La concentration de résidus de médicaments, notamment des antibiotiques, antidépresseurs et pilules contraceptives, est de plus en plus importante dans nos rivières et l’eau du robinet. Elle est même devenue une cause majeure de pollution de l’eau.
Les traitements médicaux entraînent de nombreux effets dits « iatrogènes », allant du simple effet secondaire bénin à la maladie nosocomiale létale. L’affaire du Mediator en est un exemple terrifiant, qui vient s’ajouter à la liste noire et bien trop longue des affaires du Distilbène, des hormones de croissance, du Vioxx, de l’Isoméride et d’autres qui ont déjà été citées par mes collègues.
Évidemment, il ne faut pas être de mauvaise foi : les effets iatrogènes ne pourront jamais être totalement éradiqués et le système français de pharmacovigilance n’est pas responsable de chacun d’entre eux. Cela dit, ne les considérons sûrement pas comme une fatalité statistique : ne nous résignons pas ! Nous ne pouvons pas accepter une situation dans laquelle les patients sont parfois mis en danger, alors que nous pouvons éviter nombre de ces drames par une amélioration de la gouvernance du système de santé.
De ce point de vue, ce projet de loi paraît salutaire, bien que nous en déplorions l’arrivée tardive. En effet, lorsque l’on alerte sans relâche sur les dangers de telle ou telle pratique, sur les dérives de tel ou tel système, il est quelque peu déprimant d’en être réduit à attendre une catastrophe pour constater enfin l’amorce d’un changement !
Selon les études commandées par l’AFSSAPS, ce sont environ 5 millions de personnes qui ont été traitées avec le principe actif du Mediator, le benfluorex, entre 1976 et 2009. Si la succession de défaillances de la chaîne du médicament avait été évitée, ce sont plusieurs centaines de vies qui auraient pu être sauvées. Hélas ! Même si les chiffres sont encore très provisoires, le Mediator aurait provoqué le décès de 500 à 2 000 personnes !
Monsieur le ministre, vous avez pris l’initiative heureuse de ce projet de loi, même si l’on peut déplorer que son dépôt soit intervenu quelques jours avant la publication des conclusions de la mission commune d’information sur le Mediator. Nous regrettons ce manque de considération pour le travail de longue haleine mené par les parlementaires.
Ce texte paraît tout de même aller dans le bon sens, puisque, comme il est précisé dans la présentation du rapport, « trop longtemps différée, une grande réforme de ce système est désormais incontournable ».
Dans sa version initiale, le projet de loi était toutefois très loin de répondre au besoin de changements que l’affaire du Mediator a mis en lumière. Il était plus que timoré ; d’aucuns l’ont à juste titre souligné avant moi.
Par exemple, il ne faut pas vouloir nous faire croire que rebaptiser l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé en Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé suffirait à garantir la sécurité sanitaire ! On resterait dans l’effet d’annonce, alors qu’il est clair que seule une réforme de la gouvernance de l’agence permettra une telle avancée.
L’objectif que vous avez annoncé et qui consiste à restaurer la confiance des Français dans notre système du médicament après l’affaire Mediator est louable. Mais vouloir rassurer les Français en proposant, une fois de plus, une loi alibi dictée par l’actualité ne suffit pas.
Restaurer la confiance de l’opinion publique est une bonne chose, mais le véritable but que nous devons nous fixer, celui qui dépasse toute stratégie politicienne et se fonde sur l’intérêt général, doit être de garantir réellement la sécurité sanitaire. Encore faut-il s’en donner les moyens en n’ayant pas peur de dénoncer les travers de la chaîne du médicament telle qu’elle fonctionne aujourd’hui. Encore faut-il oser dénoncer le fait que certaines décisions publiques se prennent sous influence et que cela n’est pas acceptable. Encore faut-il oser entreprendre de construire un mur parfaitement étanche entre la décision publique, qui ne peut être fondée que sur l’intérêt général, et les intérêts privés.
C’est justement dans cette optique que les socialistes et les écologistes ont, en partenariat avec les communistes, œuvré à renforcer certaines dispositions de ce texte et à en combler les nombreuses lacunes.
À l’Assemblée nationale, tout d’abord, les députés sont parvenus à apporter des améliorations sensibles, notamment sur trois points : la question de la protection des lanceurs d’alerte, d’abord, l’obligation pour les membres de groupes de travail ayant pour objet l’avenir des médicaments de faire, eux aussi, une déclaration d’intérêts, ensuite, la suppression dans la composition du conseil d’administration de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé des membres des entreprises qui produisent et commercialisent des médicaments et des produits de santé, enfin.
Malgré les efforts de nos collègues députés socialistes, écologistes et communistes et les quelques avancées obtenues, les mesures introduites par le texte restaient cependant très insuffisantes.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’avez bien compris, tel qu’il était arrivé au Sénat, ce projet de loi n’était pas acceptable.
Je tiens à remercier M. le rapporteur, Bernard Cazeau, du travail très important qu’il a fourni. Je veux également saluer l’œuvre collective de grande qualité réalisée par mes collègues membres de la commission des affaires sociales, malgré le rythme extrêmement rapide imposé par le Gouvernement, lequel nous a obligés à travailler dans la précipitation, avec un calendrier peu favorable, puisque l’examen de ce projet de loi intervient immédiatement après le renouvellement partiel du Sénat, et donc en pleine période d’installation des nouveaux sénateurs, dont je fais partie.
Toutefois, grâce à la réflexion et aux amendements de qualité adoptés par la commission, de nombreuses améliorations ont été intégrées au texte qu’il nous est aujourd’hui donné d’examiner. Je ne les citerai pas toutes, elles l’ont déjà été. Je tiens cependant à rappeler quatre d’entre elles : la consultation par le public des déclarations publiques d’intérêts, qui seront accessibles gratuitement, se trouvera facilitée, ce qui permettra une plus grande transparence ; la publicité des séances des commissions, conseils et instances collégiales d’expertise sera effective ; les étudiants en médecine seront davantage protégés de l’influence de l’industrie pharmaceutique ; le Gouvernement remettra un rapport au Parlement sur l’avenir des visiteurs médicaux.
Très clairement, notre volonté a été de ne pas nous contenter d’adopter un projet de loi se satisfaisant d’un discours, certes intéressant, mais très général.
Nous ne le savons que trop bien : le diable se cache souvent dans les détails et apparaît lors de la mise en œuvre des mesures adoptées. Aussi l’examen de ce texte en séance publique aujourd’hui et demain doit-il être l’occasion de perfectionner certains dispositifs.
Pour commencer, il convient de s’assurer que les liens d’intérêts entre la décision publique et l’industrie pharmaceutique sont, une fois pour toutes, jugulés. Il s’agit notamment – j’ai cru comprendre, monsieur le ministre, que vous étiez favorable à une telle mesure – d’ajouter à la liste des personnes soumises à l’obligation de déclaration publique d’intérêts les membres des cabinets des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, …