Intervention de Chantal Jouanno

Réunion du 26 octobre 2011 à 14h30
Sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Chantal JouannoChantal Jouanno :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi défendu devant nous par M. le ministre marquera un grand pas pour la sécurité sanitaire, si nous le préservons des clivages politiques que certains veulent introduire à son sujet.

Il est fondé en effet sur une inversion de la charge de la preuve : ce n’est plus aux autorités de sécurité sanitaire de démontrer la nécessité d’un médicament, mais à ses concepteurs d’apporter la preuve de ses bienfaits ; ce n’est plus aux patients, mais aux industriels, de faire valoir leurs droits. Inverser la charge de la preuve permet tout simplement de faire prévaloir la quête de la sécurité sur celle du profit.

Je trouve intéressant qu’en plus de ce principe fondateur d’autres principes soient inscrits dans la loi, comme ceux de l’indépendance de l’expertise, de la transparence ou encore de l’évaluation permanente.

Que ces principes y figurent montrent, s’il en était besoin, que ce projet de loi n’est pas une adaptation marginale ; il est une réponse systémique à une crise elle-même systémique.

Cette réponse était indispensable. Rien ne serait pire en effet que la défiance de nos concitoyens à l’égard du système sanitaire. Or, malheureusement, nous apercevons les prémices d’une telle défiance dans certains domaines, notamment celui de la vaccination – à tel point qu’on voit réapparaître des cas de rougeole…

Espérons aussi que notre discussion irriguera le débat européen. On nous dit que ce projet de loi est regardé en Europe, qu’il est précurseur. Vous-même avez dit, monsieur le ministre, que « disposer, dès l’AMM, de données comparatives avec le médicament de référence s’il existe, c’est un combat qui doit se mener au niveau européen. » Il est temps de le faire ; mais, dans votre discours, j’ai perçu un certain scepticisme…

Aussi serait-il intéressant de savoir où en est notre système de sécurité sanitaire par rapport à celui de nos voisins européens, et où il en sera lorsque nous aurons adopté ce projet de loi – légèrement modifié, je l’espère, par rapport au texte de la commission.

Je veux maintenant évoquer certaines dispositions, en commençant par celles qui concernent les conflits d’intérêts. Sur cette question passionnante, j’ai particulièrement apprécié le rapport Sauvé qui, comme le fait celui de l’Inspection générale des affaires sociales consacré à l’expertise sanitaire, souligne qu’un lien d’intérêts ne constitue pas en soi un conflit d’intérêts.

Si donc c’est une bonne chose que l’obligation de déclaration des liens d’intérêts soit extensive, que les experts en situation de conflit d’intérêts ne puissent plus participer aux décisions – principes dont on peut seulement souhaiter qu’ils s’appliquent aussi à d’autres domaines –, il faut garder à l’esprit qu’un lien d’intérêts n’équivaut pas nécessairement à un conflit d’intérêts.

Vous avez proposé, monsieur le rapporteur, d’interdire à tout responsable d’agence sanitaire d’avoir entretenu un lien d’intérêts pendant les trois ans précédant sa nomination. En commençant l’étude de ce projet de loi, je pensais moi-aussi que c’était la meilleure solution.

Mais le système sanitaire est très spécifique. On peut avoir mené de grandes recherches pour le compte de laboratoires sans être pour cela un chercheur ou un expert corrompu ! D’ailleurs, ne pas avoir mené de recherches ne me semble pas être une preuve de reconnaissance, donc de compétence… Cette fois encore, il serait très utile à nos débats de savoir quelle est la situation dans d’autres pays : les experts des agences publiques y sont-ils totalement dépourvus de liens d’intérêts avec les industriels ?

Dans ces conditions, il me semble beaucoup plus pertinent de laisser les commissions parlementaires apprécier, lors de la nomination du responsable d’une agence sanitaire, si un lien d’intérêts constitue un conflit d’intérêts et s’il est opportun de retenir la candidature proposée.

Cependant le projet de loi, dans sa version actuelle, ne prévoit pas clairement que les commissions du Parlement auront à se prononcer sur ces futures nominations, en particulier celle du directeur de l’ancienne AFSSAPS – puisqu’il est question de changer son nom. Qu’en est-il, monsieur le ministre ?

S’agissant maintenant de la déontologie, je ne pense pas que nous devions attendre, pour voter les dispositions de ce projet de loi, qu’une haute autorité de déontologie soit créée. Ne cherchons pas d’excuse pour reporter encore ce débat ! Franchissons la première étape : si une telle autorité doit ensuite être créée, elle sera nécessairement compétente.

Comme d’autres, j’aurais aimé avoir plus de précisions sur la suite qui sera donnée au rapport Sauvé ; mais je comprends, monsieur le ministre, que vous ne puissiez pas nous les apporter.

De toute façon, je suis convaincue que la transparence et l’attention des associations suffiront à garantir le respect des règles. À cet égard, je ne comprends pas que la commission des affaires sociales ait adopté des dispositions qui font peser un doute, une suspicion même, sur l’indépendance des associations de patients, au point de les écarter de fait du système d’expertise. Veillons à ce que l’idéologie ne nous éloigne pas du bon sens et de l’intérêt général !

L’obligation de transparence sur les avantages consentis constitue un autre grand progrès. Comme vous, monsieur le ministre, je trouve bon que, dans ce projet de loi, il ne soit pas question de seuil. La simplicité a le mérite de la clarté.

À propos de la transparence et de la charte de l’expertise – sujets dont nous allons débattre –, je veux rappeler d’abord que notre premier objectif est de garantir l’indépendance et l’impartialité de l’expertise et de la décision publique. Or l’indépendance ne repose pas uniquement sur la transparence et l’absence de conflits d’intérêts avec les industriels.

Nous avions longuement discuté de cette question dans le cadre du Grenelle de l’environnement et le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales est parvenu à la même conclusion : au-delà de la transparence, l’indépendance repose sur la pluralité des expertises et le principe du contradictoire. Cela suppose de faire une plus grande place aux experts extérieurs et aux associations.

Je rappelle ensuite que M. le rapporteur a soutenu la suppression de la charte de l’expertise, au motif qu’elle ne serait pas suffisamment normative et qu’il appartiendrait au législateur de prendre des dispositions – aucune, d’ailleurs, ne figure dans le texte de la commission… Mais le législateur ne peut ni ne doit entrer dans le détail de chaque situation où un lien d’intérêts devient un conflit d’intérêts !

Il lui appartient en revanche de fixer des principes pour encadrer l’expertise. C’est pourquoi nous présenterons un amendement visant à rétablir la charte et à poser les principes qui devront s’appliquer à l’expertise : transparence, pluralité, principe du contradictoire et bien sûr impartialité.

Ce projet de loi introduit d’immenses progrès dans le domaine de la pharmacovigilance. Permettez-moi de décerner un satisfecit particulier s’agissant de la protection du statut des lanceurs d’alerte. Il s’agit d’un sujet sensible, dont il avait beaucoup été question dans le domaine de l’environnement, sans que nous puissions avancer ; tant mieux si nous le pouvons dans le domaine de la sécurité sanitaire.

Nous présenterons néanmoins certains amendements pour nous assurer qu’à côté du lanceur d’alerte le fait d’alerter sera lui-même protégé.

Espérons, monsieur le ministre, que ces dispositions pourront s’appliquer à d’autres domaines, notamment celui de la santé environnemental.

Permettez-moi enfin de dire un mot des sanctions. Le dispositif qui avait été envisagé instaurait un véritable arsenal juridique. Nous savons que seule une sanction financière majeure pourra être audible, compte tenu des sommes en jeu. Je doute vraiment que la baisse du prix du médicament, en revanche, puisse constituer une sanction audible.

Je sais qu’il s’agit d’un sujet trop complexe pour être traité dans le cadre du présent projet de loi, si important soit-il. Pour ma part, je serais très favorable à l’ouverture d’une réflexion sur les class actions – même si je n’aime pas employer cet anglicisme.

En effet, la procédure prévue pour l’indemnisation des victimes, dans le système français, est perçue par les associations de patients comme trop restreinte. Aux États-Unis, au contraire, son champ d’application est extrêmement large, puisqu’il peut s’étendre aux droits civiques, au droit de la consommation, au droit de l’environnement et, bien entendu, au droit de la santé ; il s’agit, dans ce pays, d’un véritable système de régulation sociale.

Nos amis députés ont déposé une proposition de loi ; je pense qu’à un moment ou à un autre il nous faudra reparler de ce sujet dans cet hémicycle.

Naturellement, le présent projet de loi ne règle pas tous les problèmes – il faudrait plus de prévention et moins de médicaments ; naturellement, l’opposition au Gouvernement dira qu’il ne va pas assez loin, qu’il est en retrait. Une opposition, finalement, est là pour s’opposer !

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