Intervention de Ronan Kerdraon

Réunion du 26 octobre 2011 à 14h30
Sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Ronan KerdraonRonan Kerdraon :

Revenons au texte.

Mes chers collègues, chacun d’entre nous est conscient qu’il est temps de doter la France d’une politique du médicament qui soit enfin tournée vers la santé publique, et uniquement vers elle, car le médicament n’est définitivement pas une marchandise comme les autres. Aussi, il convient en priorité de renforcer notre système de pharmacovigilance.

Quel bilan dresser de la situation actuelle ?

Notre système est en décalage avec les exigences contemporaines : cela fait trop longtemps que la culture du juridisme s’impose face à la culture du risque.

Par exemple, lors des travaux menés sur le Mediator, on a trop souvent entendu la phrase suivante : « on ne retire pas une autorisation de mise sur le marché comme cela ! »...

Observons toutefois qu’un changement culturel semble s’être amorcé : ces derniers mois ont été prononcées des suspensions de médicaments dont le rapport bénéfice–risque était mis en cause depuis des années... Il était temps !

Mais le système de notification français reste complexe et peu incitatif pour les professionnels de santé. Les méthodes de recensement utilisées aujourd’hui entraînent clairement une sous-estimation des risques.

Il est donc primordial d’encourager davantage les acteurs de la pharmacovigilance en simplifiant les procédures de déclaration de tout effet indésirable suspecté.

Qui sont aujourd’hui ces acteurs ?

À l’échelon national, il s’agit du département de pharmacovigilance de l’AFSSAPS, de la Commission nationale de pharmacovigilance et du comité technique de cette dernière.

À l’échelon régional, il s’agit des centres régionaux de pharmacovigilance, les CRPV, des professionnels de santé, des patients et associations de patients ainsi que des entreprises du médicament.

Si je me félicite de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement d’origine socialiste créant un statut de lanceur d’alerte en matière de pharmacovigilance et protégeant les salariés signalant les cas de corruption dans leur entreprise, il n’en demeure pas moins qu’une réforme de fond de la pharmacovigilance est nécessaire. Les bases en sont désormais posées par le rapport de notre collègue Bernard Cazeau.

Venons-en justement à l’AFSSAPS.

En théorie, tous les experts de l’AFSSAPS doivent, depuis 1993, déclarer leurs liens, en particulier financiers, avec les laboratoires. Or force est de reconnaître qu’ils ne le font pas systématiquement.

C'est la raison pour laquelle nous proposons un renforcement de cette transparence par une déclaration des liens non seulement personnels, mais aussi familiaux que les experts entretiennent avec les laboratoires et l’industrie pharmaceutique. Il s’agit là d’une question de déontologie.

En ce qui concerne le fonctionnement de l’Agence, le constat est sans appel. Je cite le rapport d’enquête sur le Mediator de l’IGAS de janvier 2011 : « surchargée de travail, empêtrée dans des procédures juridiques lourdes et complexes, […] bridée par la crainte des contentieux avec les firmes », l’Agence est apparue, dans l’affaire du Mediator, comme « une structure lourde, lente, peu réactive, figée, malgré la bonne volonté et le travail acharné de la plupart de ses agents, dans une sorte de bureaucratie sanitaire ».

Son activité aboutit, selon le rapport, « à une forme de coproduction [avec les firmes] des expertises et des décisions qui en découlent ». C’est intolérable !

Suffira-t-il alors de modifier le nom de l’Agence pour en changer la gouvernance et les pratiques ? Je crains au contraire que nous ne nous situions là davantage sur le plan du symbole que sur celui des actes.

C’est pourquoi je me félicite de l’exclusion des laboratoires du conseil d’administration de l’Agence.

Mais qu’en est-il du département interne de pharmacovigilance, situé dans la même direction que le département chargé de délivrer les autorisations de mise sur le marché ?

Le texte modifie les prérogatives de l’Agence en matière de diffusion de message sanitaire ou d’avis de rappel : elle a désormais la possibilité d’alerter, outre l’opinion publique, les professionnels de santé. C’est très bien.

L’Agence pourra également désormais prononcer des sanctions administratives et financières accompagnées d’une astreinte journalière. Ce matin, la commission a émis un avis favorable sur un amendement portant le montant de cette astreinte à 2 500 euros par jour : pour les industriels du médicament qui, au titre de leurs profits, engrangent des millions, cette sanction est soutenable ! On est encore un peu loin de la préconisation de l’IGAS, consistant à imposer des sanctions proportionnées aux enjeux en cas de non-respect des engagements par les laboratoires pharmaceutiques.

Alors que les patients bénéficient aujourd’hui de l’autorisation de déclarer les effets indésirables susceptibles d’être liés aux médicaments, il aurait fallu soumettre l’ensemble des professionnels de santé, et non pas seulement certaines catégories de médecins, à l’obligation de notifier de tels effets.

Il convient de réformer l’ensemble des modalités de notification. Élargir le champ des notificateurs ne suffit pas, il faut aussi favoriser la notification en l’explicitant et en simplifiant les modalités de déclaration.

La pharmacovigilance doit devenir une habitude.

Cela passe bien évidemment par la formation initiale et continue des professionnels de santé : pourquoi ne pas ainsi intégrer la pharmacologie, la pharmacovigilance, la thérapeutique et l’économie de santé dans le cursus universitaire des étudiants en médecine ? Quant à la formation continue, il devient unanimement admis qu’elle doit être indépendante des laboratoires.

Cela pose naturellement la délicate question du rôle des visiteurs médicaux.

Dans son « rapport sur la pharmacovigilance et gouvernance de la chaîne du médicament », remis en juin dernier au ministre de la santé, l’IGAS a préconisé de mettre fin à la visite médicale.

Comment savoir toutefois si la suppression des visiteurs médicaux est la bonne solution ? Certes, la profession est sur le gril depuis déjà quelques années : de 24 000 en 2004, le nombre de visiteurs médicaux a chuté à 18 000, sous l’effet conjoint de la réforme de l’assurance maladie et des mesures prises pour baisser le coût des médicaments ; je pense notamment à la montée en puissance des génériques.

Quelle est la mission des visiteurs médicaux ? Ils font connaître aux praticiens libéraux et hospitaliers ainsi qu’aux pharmaciens les médicaments produits par leur employeur. L’objectif est évidemment de les inciter à les prescrire ou à les proposer.

On le voit bien : les risques de dérives existent.

C’est pourquoi une charte de la visite médicale avait été mise en place en 2004. Aux termes de ce document, « le délégué médical ne doit pas utiliser d’incitations pour obtenir un droit de visite ni offrir, à cette fin, aucune rémunération ou dédommagement ».

En 2009, un rapport de la Haute Autorité de santé notait toutefois que, si « les cadeaux remis aux médecins par des délégués médicaux ont été totalement interdits, même ceux de valeur négligeable », « lors des audits par les organismes certificateurs, l’accès aux informations a parfois suscité des difficultés, pour des documents non mentionnés dans le référentiel et que des auditeurs souhaitaient consulter ».

Un autre rapport de l’IGAS a épinglé des méthodes « visant notamment à circonvenir les capacités de réactions critiques des médecins ».

Certains pays européens, comme la Suède, en sont arrivés à la conclusion qu’il n’existe aucune solution alternative à la suppression de la visite médicale, qu’ils ont donc supprimée.

Faut-il aller si loin ?

Sur un tel sujet, il nous faut éviter d’agir dans la précipitation, sous l’effet de l’émotion et dans la stigmatisation. C’est de réflexion que nous avons besoin.

Notre rapporteur a fait sur ce sujet une proposition particulièrement importante. Je vous invite, mes chers collègues, à aller dans son sens.

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