Intervention de Jacky Le Menn

Réunion du 26 octobre 2011 à 14h30
Sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé — Article 1er

Photo de Jacky Le MennJacky Le Menn :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je rappelle que, contrairement à ce que l’on pourrait croire ou nous faire accroire, il n’y a pas en France de chaîne du médicament. Tel est le constat, sans appel, que faisaient en juin dernier les inspecteurs de l’Inspection générale des affaires sociales. L’IGAS évoque les trois maillons que sont la sécurité sanitaire, l’évaluation médico-économique et la décision du remboursement par la collectivité. Le projet de loi, monsieur le ministre, est-il de nature à créer une telle chaîne ? Je ne le pense pas.

Ce projet de loi ne fonde pas une nouvelle politique du médicament. Il vise avant tout, on l’aura compris, à restaurer la confiance de l’opinion dans le médicament – les optimistes diront que ce n’est déjà pas si mal ! Certes… C’est à la fois sa force et sa faiblesse dans la mesure où la politique du médicament restera largement aux mains des laboratoires et de leur stratégie industrielle, comme en témoigne l’affaire des pénuries de certaines spécialités.

La FDA américaine, la Food and drug administration, a plus ou moins servi de modèle à ce projet. Cette influence venue d’outre-Atlantique se retrouve dans la volonté du Gouvernement de mettre en place un embryon d’expertise interne, avec l’annonce du recrutement d’une vingtaine d’experts, tels que des pharmacologues, des épidémiologistes, etc.

Nous sommes bien évidemment très loin des effectifs de la FDA, lesquels se comptent en centaines de personnes. L’expertise externe a donc encore de beaux jours devant elle ! C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le plan prévoit des dispositions pour lutter contre les conflits d’intérêts – c’est l’objet principal de l’article 1er –, conflits que, bien évidemment, monsieur le ministre, nous ne confondons pas avec les liens d’intérêts. Nous verrons à l’usage, mais il aurait été plus simple de couper le cordon ombilical économico-financier qui relie les laboratoires au monde sanitaire.

Si le projet de loi initial vise à rétablir la sécurité sanitaire des médicaments, cela ne suffit pas pour autant à faire une politique du médicament. Selon le rapport de l’IGAS de juin 2011, la chaîne du médicament comprend trois maillons, dont j’ai fait état. Mais, en France, ils ne sont pas reliés entre eux, comme l’ont noté les inspecteurs des affaires sociales. Les mesures proposées n’y changeront rien, car elles sont très timides, notamment en matière d’évaluation médico-économique, de fixation des prix et de critères de remboursement.

Ainsi, rien n’est prévu, ou pas grand-chose, pour redonner du pouvoir à l’Agence nationale de sécurité du médicament par rapport à l’Autorité européenne. Demain, comme aujourd’hui, l’ANSM risque de n’être qu’une chambre d’enregistrement des décisions prises à Londres, où 90 % des médicaments reçoivent leur autorisation de mise sur le marché de l’Agence européenne des médicaments, comme le soulignait en juin 2011 le rapport de l’IGAS.

Ainsi demain, comme aujourd’hui, les observations de l’lGAS resteront vraies. La Commission de la transparence, qui accorde les autorisations de remboursement, « ne disposera ni des règles précises ni des moyens de pratiquer une véritable évaluation médico-économique ». Elle se contentera « de reprendre les données issues de la commission d’AMM », lesquelles calculent la balance entre les bénéfices et les risques d’un médicament, mais non le rapport entre le coût et l’efficacité.

En outre, le Comité économique des produits de santé, le CEPS, qui négocie les prix des médicaments avec les industriels, continuera d’agir, selon le rapport de l’IGAS, « de façon isolée, sans contact réel et formalisé avec la Commission de la transparence », en fixant « les prix des médicaments sur des fondements discutables ».

Voilà pourquoi je regrette, par exemple, le fait qu’aucune réforme du remboursement et du prix n’ait été proposée, comme le souligne du reste fort justement dans son excellent rapport notre collègue Bernard Cazeau.

Enfin, il est à noter que le projet de loi initial ne prévoit pas une implication beaucoup plus importante des professionnels de santé dans la gouvernance du système, ce qui constitue un manque important. Il prévoit simplement « l’institution d’échanges privilégiés entre l’Agence nationale de sécurité du médicament – agence dont il faudra d’ailleurs que nous modifions le nom – et les professionnels de santé, dans le cas de signaux mettant en jeux la sécurité sanitaire ». C’est pourtant la moindre des choses, me semble-t-il, que de s’adresser en priorité aux personnes qui prescrivent les médicaments s’ils s’avèrent dangereux.

L’un des enseignements qui avait été tiré d’une autre crise sanitaire, celle de la grippe H1N1 en 2009, avait justement été que le manque d’implication des professionnels de santé avait nui au relais de la campagne de santé publique.

La commission des affaires sociales et son rapporteur ont pu remédier à certaines insuffisances du projet de loi initial, et c’est heureux. Mais, hélas ! nous sommes encore très loin des nombreuses préconisations – au nombre de soixante-cinq – formulées dans l’excellent rapport de la mission commune d’information sur le Mediator – rapport intitulé, je le rappelle à toutes fins utiles, « La réforme du médicament, enfin » , mission présidée par notre ancien collègue François Autain. Ce rapport avait été adopté à l’unanimité des membres de la commission, toutes sensibilités politiques confondues.

Il s’agit donc d’une réforme a minima, ce qui est fort regrettable, compte tenu, d’une part, de l’attente de l’immense majorité de nos concitoyens et, d’autre part, du fait que le médicament, ainsi que l’a rappelé notre collègue migraineuse Virginie Klès, n’est pas un produit de consommation courante, banal, sans effets secondaires.

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