Vous avez oublié, monsieur le ministre, de nous donner publiquement ce que je vous avais demandé en commission, c'est-à-dire des chiffres. Heureusement, nous pouvons les trouver dans le rapport de la commission, mais il aurait été plus honnête de les tenir à la disposition de tous.
Ainsi, on sait que le regroupement familial stricto sensu concerne, depuis 2000, environ 20 000 à 25 000 personnes, 18 000 en 2006, dont 6 000 à 8 000 enfants. Ce chiffre est donc relativement modeste si on le rapporte à une population de près de 65 millions d'habitants.
Les réformes présentées depuis 2003 en matière d'immigration et d'asile sont de plus en plus restrictives au regard de l'immigration légale et du droit d'asile. D'ailleurs, contrairement aux affirmations de M. le ministre, ces deux problématiques ont toujours été liées dans les projets votés par la majorité.
Sous couvert de mettre fin à l'immigration clandestine, ces lois n'ont bien sûr que contribué à la favoriser. Nous sommes donc en plein délire : nous évoquons l'immigration clandestine dans le but de réduire le chiffre de l'immigration légale !
Le reste de l'immigration familiale, qui a effectivement augmenté - le chiffre maximum était de 59 000 personnes en 2003 -, concerne les mariages mixtes. Votre inflation législative repose sur l'idée, distillée à l'envi, que des hordes étrangères sont aux portes de notre pays. Vous manipulez ainsi l'opinion ! Mais, à l'heure de la mondialisation, des échanges, des voyages, pensez-vous vraiment réussir à empêcher les mariages mixtes ? Franchement, cela me paraît douteux !
Vu les chiffres que je viens de citer, vous ne faites aujourd'hui qu'en rajouter sans autre raison qu'un simple effet d'affichage. Mais, ce faisant, vous portez de plus en plus atteinte aux droits fondamentaux de la personne reconnus - ne vous en déplaise ! - par la Constitution, par nos principes à valeur constitutionnelle, par le droit international - Déclaration universelle des droits de l'homme, Convention des droits de l'enfant et Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vous étiez parvenus jusqu'ici à écarter la question dans les précédentes lois, mais la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme le 26 avril dernier, dans l'arrêt Gebremedhin, vous a obligés à changer quelque peu votre point de vue sur le droit au recours suspensif. Vous le voyez, il faut toujours se méfier ! En affirmant être dans son bon droit, on ne l'est quelquefois plus !
Avant d'aborder le problème soulevé par les dispositions du texte en matière d'asile, je voudrais tout d'abord évoquer celles qui sont relatives à l'immigration.
Plusieurs articles du chapitre 1er, relatif à l'immigration pour des motifs de vie privée et familiale, portent malheureusement atteinte à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale, reconnu tant par les principes à valeur constitutionnelle qui nous régissent que par la Convention européenne des droits de l'homme et les conventions internationales.
Le regroupement familial, pourtant déjà fortement encadré par la loi du 24 juillet 2006, fait l'objet, un an plus tard, de nouvelles restrictions.
L'article 1er prévoit que l'étranger voulant rejoindre son conjoint en France ainsi que les enfants de seize à dix-huit ans devront connaître la langue française et les valeurs de la République. Une évaluation devra donc être organisée dans leur pays d'origine ; elle conditionnera leur possibilité de rejoindre leur famille.
Ce dispositif est contestable : il paraît exorbitant des conditions normalement requises pour se marier ou pour mener une vie de famille. Je suis certaine que vous connaissez tous des couples dont l'un des conjoints ne maîtrise pas parfaitement la langue française. Je doute d'ailleurs qu'une telle obligation soit exigée dans d'autres pays. Toute autre est l'obligation d'apprendre la langue une fois dans le pays d'accueil !
Tout cela est en pleine contradiction avec le contrat d'accueil et d'intégration que l'étranger devra obligatoirement signé et qui a précisément pour objectif de lui assurer une formation linguistique et civique. Alors, décidez-vous ! S'il faut connaître la langue et les valeurs de notre pays avant d'y être admis, qu'en est-il du contrat d'intégration que vous avez voté, mes chers collègues ?
De toute façon, cette exigence implique que les étrangers auront la possibilité de suivre une telle formation dans tous les pays et qu'ils auront les moyens de le faire. Tout cela a déjà été amplement souligné, je m'en tiendrai donc au droit.
En fait, les délais de formation prévus - deux mois, auxquels s'ajoutent les mois d'attente de la réponse - rallongeront encore un peu plus la procédure de regroupement familial. Je rappelle que le délai d'attente nécessaire pour demander à bénéficier du regroupement familial a été porté d'un an à dix-huit mois. Combien d'années les étrangers devront-ils attendre avant de pouvoir rejoindre leur conjoint en France ?
Ces contraintes semblent totalement disproportionnées, d'autant qu'une lourde sanction est prévue : le fait de ne pas suivre la formation, que ce soit pour des raisons de coût ou d'éloignement, pourra motiver un refus de visa.
Par ailleurs, dans le but de renforcer un peu plus les restrictions au regroupement familial, l'article 2 augmente le plancher de ressources exigé. Cet article durcit une condition déjà existante puisqu'il module ce plafond en fonction de la taille de la famille. Non seulement l'article 2 instaure une mesure discriminatoire, mais, de surcroît, il ajoute un obstacle supplémentaire dans la procédure de regroupement familial.
Enfin, l'article 4, relatif aux conjoints de Français, durcit, lui aussi, les conditions d'obtention d'un visa de long séjour. Un conjoint de Français sera désormais soumis à une évaluation de ses connaissances de la langue française et des valeurs de la République. Il sera lui aussi soumis à la condition de formation si des insuffisances linguistiques et civiques sont constatées à cette occasion. Gare aux étudiants français qui, en balade à l'étranger - votre gouvernement aimerait pourtant les y voir plus nombreux -, s'aviseraient d'aimer quelqu'un et de vouloir l'épouser !