Intervention de Louis Mermaz

Réunion du 2 octobre 2007 à 22h15
Immigration intégration et asile — Question préalable

Photo de Louis MermazLouis Mermaz :

Ce projet de loi aurait été conçu pour le bonheur des immigrés et des demandeurs d'asile !

Certes, la commission des lois du Sénat a voté l'annulation de certains articles ou dispositions qui nous inquiétaient gravement. Je pense à l'obligation pour l'étranger - ou l'étrangère - qui est marié et qui séjourne en France de retourner dans son pays d'origine pour suivre une formation linguistique et pour obtenir un visa de long séjour ; je pense à l'utilisation de tests génétiques, à laquelle le Gouvernement se cramponne, d'où les contorsions auxquelles il s'est vainement livré ce matin, devant la commission des lois, en vue d'entraîner sa majorité ; il n'a pas renoncé : le voici qui cible à présent les mères de famille ! La commission des lois a également adopté l'annulation du délai insuffisant consenti pour déposer un recours suspensif contre une décision de refus d'entrée sur le territoire au titre de l'asile, mais aussi l'annulation de la réduction d'un mois à quinze jours pour déposer un recours devant la Commission des recours des réfugiés.

Si le débat devait se poursuivre, souhaitons que notre assemblée confirme les votes intervenus en commission des lois et que la commission mixte paritaire appelée à se réunir en tienne compte. Rien n'est acquis pour l'instant.

Au demeurant, même dépouillé de ses articles les plus dangereux - les réponses de M. le ministre à l'issue de la discussion générale nous confortent dans cette idée - le projet de loi comprend encore trop d'éléments nuisibles pour que nous puissions ainsi délibérer dans l'urgence.

Comme cela a été souligné, c'est le quatrième du genre et l'on nous en annonce un cinquième, qui serait destiné à instituer des quotas d'immigrés. Pourtant, il est grand temps de se calmer et de réfléchir à ce que devrait être une politique de l'immigration digne de ce nom !

Or, en dépit de quelques avancées de la commission des lois, avancées qui restent d'ailleurs à confirmer, le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale nous amène à nous poser de nombreuses questions.

D'abord, qu'en est-il du respect des droits de l'homme ?

Pouvoir vivre en famille est un droit élémentaire. Or le projet de loi accumule les obstacles, en droit comme en fait, au regroupement familial ; c'est d'ailleurs sa raison d'être. Dès l'âge de seize ans, le ressortissant étranger, qu'il soit adolescent, mère ou, parfois, père de famille, « bénéficie » - quel euphémisme ! - d'un parcours kafkaïen pour tenter de rejoindre les siens en France. De la convocation par le consulat du pays de résidence jusqu'à l'attestation du suivi de la formation, quel parcours !

Mais comment cela se passera-t-il dans les faits ? Ce sont des décrets en Conseil d'État qui nous l'apprendront. Autant dire que vous nous demandez un blanc-seing, alors que nous connaissons l'embouteillage dont souffrent nos consulats, l'état d'esprit qui est parfois celui de certains agents, les distances que le candidat au regroupement familial devra souvent parcourir et les frais de séjour qu'il aura à acquitter pendant la durée du stage.

Le montant des ressources exigées, sans tenir compte d'ailleurs des allocations familiales, est parfaitement discriminatoire, donc contraire au droit des gens. Il constituera un empêchement supplémentaire au regroupement, au cas où la première série d'obstacles aurait, par miracle, été franchie.

Quant au conjoint de Français, il devra se soumettre, pardon, il « bénéficiera » dans son pays d'origine du même parcours semé d'embûches. Le Gouvernement a même songé à l'obliger à quitter la France s'il y habite déjà. Ainsi, si le vote de la commission des lois du Sénat contre une telle disposition n'était pas confirmé, serait créé un nouveau type de couple, le couple à distance.

Et ce n'est pas tout ! Ceux qui auront réussi à faire venir leurs enfants en France devront suivre une formation sur les droits et les devoirs des parents avec au-dessus d'eux la menace d'une suspension des allocations familiales, ce qui n'est pas la meilleure façon de contribuer à leur intégration. Est-ce vraiment là respecter les droits de l'homme ?

Le projet de loi est-il conforme aux engagements internationaux de la France ?

Pour commencer, rappelons que le droit de vivre en famille est garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950, à laquelle notre pays adhère.

En outre, la vérification des liens de filiation par ADN viole la Convention internationale des droits de l'enfant, que la France a ratifiée en 1990. Le Sénat s'honorerait en confirmant la position de sa commission des lois, et ce nonobstant les manoeuvres de dernière heure auxquelles nous sommes en train d'assister.

De plus, au mois d'avril dernier, la Cour européenne des droits de l'homme a sanctionné le refus d'un recours juridictionnel suspensif qui avait été opposé à la frontière à un demandeur d'asile. Elle a jugé qu'il y avait eu violation de la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, faute de pouvoir se dérober à ce jugement, le Gouvernement a proposé que le recours intervienne dans un délai de vingt-quatre heures suivant la notification du refus d'asile, ce qui rendrait le dispositif matériellement inopérant dans la plupart des cas.

D'ailleurs, en ne vous rangeant pas à la décision de la commission des lois du Sénat, qui a porté le délai de vingt-quatre heures à quarante-huit heures - pour ma part, j'estime qu'un délai de deux jours ouvrés serait préférable -, vous prendriez le risque d'une nouvelle saisine de la Cour européenne des droits de l'homme.

D'une manière plus générale, qu'attend le Gouvernement pour engager la procédure d'adhésion de la France à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, qui a été adoptée voilà longtemps par l'ONU et qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2003 ? Cette convention est aujourd'hui ratifiée par trente-sept États, dont l'Algérie, le Maroc ou le Sénégal.

Le projet prend-il en compte l'état du monde ?

Les conflits au Proche-Orient, au Moyen-Orient, en Afrique et dans certaines zones d'Asie ou d'Amérique latine, ainsi que les persécutions qui s'ensuivent, devraient vous obliger à tenir le plus grand compte de la spécificité des demandes d'asile.

Pourtant, c'est le contraire qui se produit, puisque le ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement verrait ses attributions s'étendre à l'asile. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, passerait ainsi sous sa tutelle, et ce au détriment du ministère des affaires étrangères, qui en avait pourtant la charge. Il en résulterait une grande confusion entre asile et immigration, ainsi que l'aggravation du traitement du droit d'asile, au respect duquel la France est pourtant tenue depuis 1951, date de son adhésion à la Convention de Genève.

Quant à l'immigration proprement dite, comment ne pas voir qu'elle a pour cause la situation faite aux pays du Sud par l'ordre mondial ?

Le présent projet de loi sert-il les intérêts de la société française ? En fait, il cherche à atteindre plusieurs objectifs.

D'abord, le projet de loi vise à entretenir les fantasmes d'une partie de l'opinion, en lui faisant croire à une prétendue invasion des immigrés, d'où la dénomination plus ou moins étrange du ministère concerné.

Ensuite, il tend à achever le recyclage des voix du Front national, largement engagé lors de la dernière campagne présidentielle, en stigmatisant les immigrés.

Il a également pour objet de détourner l'attention de l'opinion des difficultés économiques et sociales qui s'amoncellent à l'horizon et que la politique du Gouvernement aggrave.

Mais à quel prix ? En acceptant le risque de provoquer une nouvelle montée de la xénophobie et du racisme, en créant les conditions d'un développement de l'immigration clandestine, puisque l'immigration légale devient de plus en plus difficile, et en réduisant à la précarité des hommes et des femmes exclus des droits sociaux, notamment du droit à la santé, et auxquels la majorité présidentielle de l'Assemblée nationale voudrait à présent - honte suprême ! - refuser le droit d'accès à un hébergement d'urgence !

Saluons le travail des associations et des organisations non gouvernementales, les ONG, qui sont l'honneur de notre pays et qui apportent, jusque dans les zones d'attente et les centres de rétention administrative, aide et soutien à des femmes et des hommes en détresse !

Depuis que ce gouvernement est en place, la traque des clandestins tend à devenir la règle. Plusieurs préfets ne sont pas fiers du travail que vous leur demandez : « faire du chiffre », en prenant de moins en moins en compte les drames humains qui en résultent.

De nombreux magistrats font part de leur émotion. Un malaise commence aussi à poindre chez les policiers, qui pensent qu'il serait urgent de se consacrer aux vraies tâches.

Ainsi le recours à une répression dure et cruelle comme seule réponse aux problèmes de l'immigration est-il en train d'accroître les tensions dans notre société, même si, hélas ! vous avez l'assentiment d'une partie de l'opinion.

Plutôt que de se plier à de telles pulsions, le rôle d'un gouvernement devrait être d'abord d'expliquer, de faire comprendre, d'oser s'opposer et de proposer une politique.

Enfin, ce projet est-il bon pour notre réputation à travers le monde ?

L'amendement voté par les députés de la majorité présidentielle sur les tests génétiques, contraire à l'éthique et au droit - amendement dont nous sommes encore loin d'être débarrassés à ce stade de nos travaux - a produit un sale effet dans les pays du Sud. Une délégation du Sénat reçue récemment par les autorités algériennes a pu mesurer les dégâts causés par cette proposition extrémiste.

D'autre part, les difficultés de toutes sortes rencontrées par les étudiants et les chercheurs, quoi qu'on nous dise, pour venir en France les détournent de plus en plus de notre pays et ils vont maintenant aux États-Unis, au Canada, où le Québec défend, lui, vaillamment la francophonie.

Avant de passer à la discussion des articles d'un texte bâclé et soumis à la procédure d'urgence, ne faudrait-il pas au préalable, mes chers collègues, s'interroger sur ce que devrait être notre politique d'immigration compte tenu de notre histoire et de ce qui a souvent - pas toujours, hélas ! - constitué notre tradition ?

Le ministère dit de l'immigration, etc. a compétence en matière de codéveloppement. Il serait utile de prendre la mesure des projets réellement engagés et de ceux pour lesquels des moyens seront inscrits au prochain budget, en vue de leur réalisation au cours de l'exercice 2008. Vous nous avez parlé de 60 millions d'euros d'autorisations de programme et de 29 millions d'euros de crédits de paiement ; c'est vraiment peu par rapport aux ressources que les salariés immigrés envoient dans leur pays et qui permettent à ces pays de survivre à des situations particulièrement difficiles.

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