Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 2 octobre 2007 à 22h15
Immigration intégration et asile — Demande de renvoi à la commission

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cela a été dit et redit, pour la quatrième fois en cinq ans, le Gouvernement demande au Parlement de légiférer sur l'immigration et l'asile.

L'examen de ce texte vous semblait suffisamment urgent pour justifier la convocation d'une session extraordinaire et déclarer l'urgence.

En réalité, ce gouvernement entend une nouvelle fois, dans la précipitation, limiter l'exercice des libertés fondamentales que sont le regroupement familial et l'asile, sans laisser au Parlement et à ses commissions permanentes le temps nécessaire à une information exhaustive et éclairée.

Entre le projet initial présenté par le Gouvernement et le texte adopté par l'Assemblée nationale, ce ne sont plus dix-huit mais quarante-sept articles que nous avons à examiner. Le temps laissé au Sénat a été beaucoup trop court, d'autant que certaines dispositions introduites par l'Assemblée nationale méritaient de toute évidence une ample réflexion.

En brusquant l'ordre du jour, vous avez privé notre assemblée du temps et de la sérénité nécessaires à l'examen de dispositions qui modifient profondément notre droit, comme celles des articles 5 bis sur l'utilisation de tests ADN pour prouver la filiation et 14 quater créant un livret d'épargne pour le codéveloppement, ou de l'article 20 modifiant la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés pour faciliter le recueil de données sensibles.

Cette précipitation reflète, quoi que vous en disiez, une certaine condescendance à l'égard du travail parlementaire.

De même, la commission des affaires étrangères aurait dû en toute logique être saisie pour avis, comme elle l'a été à l'Assemblée nationale.

De plus, de trop nombreuses dispositions renvoient, de façon floue, à d'hypothétiques décrets d'application. En l'état actuel du texte, il est impossible de dire que le Parlement sait précisément ce qu'il vote.

Pour le Gouvernement, l'immigration n'est pas une question, c'est un filon. Depuis cinq ans, vous ne cessez de cristalliser les peurs de nos concitoyens. Vous avez alimenté les amalgames les plus intolérables, pour des motifs électoraux - cela a été fort bien dit par Charles Josselin - ou, plus prosaïquement, pour tenter de dissimuler l'échec de votre « choc de confiance ».

Alors, pourquoi délibérer une nouvelle fois aujourd'hui ? Pourquoi une telle urgence ? Évidemment, les élections municipales sont proches...Vous nous demandez d'examiner ce texte alors même que la loi du 24 juillet 2006, que vous aviez elle aussi fait voter dans l'urgence, n'est pas encore appliquée dans son intégralité.

Le Président de la République a prétendu faire de l'évaluation des politiques publiques une de ses priorités. Il a même nommé un secrétaire d'État pour cela ! Étrangement, il n'existe à l'heure actuelle aucune évaluation réelle de vos réformes passées. Il n'existe pas plus d'étude d'impact des dispositions que vous nous proposez aujourd'hui. Dans ces conditions, la commission saisie au fond n'est pas suffisamment éclairée pour délibérer une nouvelle fois.

Ces évaluations et études d'impact auraient pourtant été intéressantes à bien des égards. Elles auraient montré que les lois passées n'ont répondu à aucun des enjeux qui se posent en matière d'immigration et que, sur ce sujet, vous avez sans cesse mené la même politique, en rendant ineffectives des libertés fondamentales et en criminalisant les étrangers, faisant peser sur eux toujours plus de suspicion...

Après ces remarques de forme, il convient d'examiner ce texte au fond. Là encore, il nous semble impossible de délibérer en l'état. Votre projet va en effet à l'encontre de plusieurs des principes fondamentaux qui régissent les libertés publiques.

Certes, l'expression de « regroupement familial » existe toujours. Mais, dans les faits, vous en avez progressivement rendu l'exercice impossible.

Non contents de restreindre les libertés fondamentales des étrangers, vous portez atteinte aux principes les plus fondamentaux d'organisation de la justice. En prévoyant, à l'article 12 quater, que l'obligation de quitter le territoire français n'est qu'une modalité d'exécution de la décision de refus de délivrance du titre de séjour et qu'elle ne fait pas l'objet d'une motivation particulière, vous interdisez de fait aux juges de se prononcer sur la régularité de la mesure d'éloignement.

D'une façon plus générale, toute la philosophie de ce texte repose une opposition dangereuse entre immigration subie et immigration choisie.

Vous avez rappelé, monsieur le ministre, que ce texte était directement issu d'une lettre de mission de M. le Président de la République qui fixe les nouveaux caps de la politique d'immigration. La France devrait ainsi réduire l'immigration familiale et favoriser le développement de l'immigration de travail.

Cette opposition est simpliste, « stigmatisante » et vexatoire pour tous les bénéficiaires du regroupement familial qui, eux aussi, au même titre que les autres travailleurs de ce pays, font partie de cette « France qui se lève tôt ».

Cette opposition ne peut que nuire à la sérénité des débats. Le groupe socialiste estime qu'il s'agit d'un argument supplémentaire pour justifier sa demande de renvoi à la commission.

En effet, cette formulation, puissamment relayée dans les médias, sous-entend que l'immigration familiale est une immigration subie, inactive, et pesant de manière négative dans nos comptes sociaux.

Elle assimile l'étranger arrivé en France au titre du regroupement familial à un parasite, un indésirable, un chômeur.

Elle passe sous silence le fait que le demandeur d'un regroupement a un travail stable, rémunéré au SMIC, et que, en moyenne, un an après l'arrivée sur le territoire français, 70 % des conjoints travaillent.

Il faut savoir qu'une grande partie des services à la personne, secteur économique tant vanté par ce gouvernement, est assurée par des étrangers ou des immigrés arrivés en France au titre du regroupement familial.

Selon vous, cette immigration de droit, protégée par la Constitution et par la convention européenne des droits de l'homme, serait une immigration subie. Il faudrait alors lui préférer une immigration choisie en fonction des besoins de main-d'oeuvre de la France. Ainsi, chaque année, le Parlement serait amené à fixer un quota d'étrangers par profession et par zone géographique.

Or les secteurs sous tension ne sont pas réputés à forte valeur ajoutée. Il s'agit, entre autres, du bâtiment et de l'hôtellerie-restauration.

Un amendement déposé à l'Assemblée nationale concernant l'assouplissement des conditions de séjour des travailleurs saisonniers agricoles illustre parfaitement les contours de votre fameuse « immigration choisie ».

Certains de nos concitoyens imaginent que l'immigration choisie consiste à accueillir à bras ouverts certaines catégories, les médecins étrangers par exemple. Rien n'est plus faux. Près de 5 000 praticiens de santé titulaires d'un diplôme étranger travaillent aujourd'hui dans nos hôpitaux dans des conditions très précaires, marquées par l'instabilité de leur poste, la sous- rémunération et l'absence de perspectives. Si votre gouvernement était cohérent avec les objectifs qu'il s'est assignés, notamment en termes d'intégration, il déciderait qu'il est temps de clarifier la situation des praticiens de santé en allant dans le sens d'une égalité de traitement.

L'opposition entre immigration de travail et immigration familiale est fallacieuse et populiste. Les personnes qui viennent en France au titre de l'immigration familiale ont vocation à travailler et l'immigration de travail est à l'origine de l'immigration familiale de demain.

Vous avez eu recours à un autre amalgame. En insistant sur le fait que le taux de chômage des étrangers est jusqu'à quatre fois supérieur à celui des Français, vous omettez de dire qu'en France près d'un emploi sur trois est interdit aux étrangers. Aucun poste de la fonction publique n'est accessible à un non-Européen. Il en va de même pour un nombre impressionnant d'emplois du secteur privé, dits « emplois fermés ».

S'il est légitime de réserver les emplois régaliens aux Français, aucun motif ne s'oppose aujourd'hui à ce que les étrangers aient le droit de se présenter à certains concours. La méritocratie doit valoir pour tous.

Les fondements de ces restrictions législatives et réglementaires sont historiquement datés et connotés, économiquement obsolètes et moralement condamnables. Personne en France ne pourra sérieusement prétendre lutter contre les discriminations et en faveur de l'intégration tant que subsisteront ces discriminations légales qui, par effet de système, légitiment les discriminations illégales.

S'agissant de la promotion de la diversité et de la lutte contre les discriminations, je ne vois rien, absolument rien de concret dans ce texte. C'est sans doute par ironie, monsieur le ministre, que vous avez cru bon d'ajouter le terme « intégration » à l'intitulé du présent projet de loi. En fait d'intégration, les mesures que vous proposez sont autant de nouvelles contraintes imposées aux étrangers. Vous ne faites que stigmatiser les populations qui sont déjà les plus touchées par des discriminations de toutes sortes : dans la formation, dans l'accès à l'emploi, au logement, aux loisirs.

À plusieurs reprises, monsieur le ministre, vous avez évoqué le taux de chômage des enfants d'immigrés diplômés de l'enseignement supérieur. Selon vous, il s'agirait d'une conséquence de l'immigration, alors que c'est le fruit de votre indifférence aux discriminations.

La lutte contre les discriminations dans l'emploi passe par la mise en oeuvre d'outils innovants tels que le CV anonyme, qui permet, au moins à l'étape du recrutement, de gommer les différences tant raciales que sociales, ne laissant la place qu'à des données objectives d'expérience et de formation.

Cette mesure, adoptée à une large majorité par cette assemblée, reste aujourd'hui lettre morte faute de décrets d'application.

Dans un autre domaine, comme l'a rappelé Mme Dini, le Sénat a montré la voie de la lutte contre les discriminations en adoptant, le 1er février 2007, l'article 7 du projet de loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale. Cet article visait à mettre fin à l'assignation à résidence des chibani, ces vieux travailleurs migrants qui ne peuvent rentrer dans leur pays d'origine sans perdre le bénéfice de leurs droits sociaux. Or cette situation indigne de notre République perdure elle aussi faute de décrets d'application.

L'état d'une démocratie se mesure certes à la mise en place de contre-pouvoirs, mais également au sort qu'elle réserve à sa jeunesse et à ses vieux travailleurs.

Comment ne pas constater que, lorsque ces jeunes et ces vieux travailleurs sont étrangers, issus de l'immigration ou de couleur, leur sort ne vous préoccupe guère ?

Face aux enjeux réels de l'intégration, de la diversité et de la lutte contre les discriminations, vous présentez une seule proposition : faciliter et généraliser les statistiques ethniques. L'article 20 vise en effet à faciliter le recueil de données sensibles, portant notamment sur les origines ethniques, raciales ou sur la religion.

Vous prétendez que cette disposition n'est que la traduction d'une recommandation de la CNIL. Certes ! Mais alors, pourquoi ne mettez-vous pas en oeuvre, par voie réglementaire, les autres recommandations de la CNIL qui sont bien plus importantes ?

Non, vous n'avez pas la volonté réelle de résoudre cette supposée cécité statistique. Selon vos aveux, monsieur le ministre, cette disposition ne sera qu'un avant-goût de la réforme constitutionnelle que vous envisagez pour instaurer une politique de quotas. En fait, vous voulez « ethniciser » la question sociale !

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