La commission des affaires sociales proposera ultérieurement un amendement n° 115 dont l'objet est presque identique, puisqu'il s'agit d'interdire la dévolution des mesures de protection juridique à un préposé d'établissement social ou médico-social. Nous en avions fait une affaire de principe.
Nous partageons donc entièrement la philosophie de ces amendements. Nous avons en effet considéré qu'il existe un conflit d'intérêts objectif qui s'oppose à la désignation d'un préposé d'établissement médico-social comme tuteur d'une personne hébergée dans cet établissement. Il est en effet impossible de garantir l'impartialité du préposé pour tout ce qui touche aux relations de la personne protégée avec l'établissement.
Ce conflit d'intérêts n'a d'ailleurs pas échappé au Gouvernement, qui a dû prévoir des règles extrêmement dérogatoires en matière de respect des droits des usagers dans ces situations particulières. Ainsi, la personne devra négocier et signer seule son contrat de séjour avec le directeur de l'établissement, là où toute autre personne pourrait être assistée par son représentant légal. Il existe donc un vrai paradoxe, puisque la personne sous tutelle qui se trouve dans cette situation - c'est notamment le cas si le directeur de l'établissement est le tuteur - sera dans une situation différente de celle qui est assistée par un représentant extérieur.
D'une façon plus générale, il importe de préserver un regard extérieur sur la prise en charge accordée par l'établissement à la personne protégée. C'était d'ailleurs l'une des conclusions fortes de la commission d'enquête sur la maltraitance des personnes handicapées accueillies en établissement. Cette commission soulignait en effet le rôle primordial des tuteurs en matière de vigilance contre la maltraitance institutionnelle - nous sommes obligés de reconnaître qu'elle existe, même si elle n'est pas volontaire -, mais elle soulignait en même temps que ces tuteurs ne pouvaient convenablement remplir ce rôle qu'en étant indépendants de l'établissement.
La suppression de la possibilité de désigner comme tuteur un préposé d'établissement médico-social s'inscrit également dans le combat que la commission des affaires sociales mène depuis plusieurs années pour une véritable séparation des rôles de gestionnaire d'établissement et de représentation des personnes handicapées. Sa position n'est donc pas dictée par une volonté de défendre telle ou telle catégorie de tuteur mais elle est nourrie par une réflexion approfondie et de longue haleine sur la façon la plus respectueuse d'assurer la protection des majeurs vulnérables en établissement.
Au-delà de ces questions de principe, la désignation d'un préposé d'établissement soulève des difficultés pratiques importantes : une personne handicapée, je vous le disais tout à l'heure, peut en effet être amenée à changer d'établissement au cours de sa vie. Faudra-t-il donc qu'à chaque fois elle change également de tuteur ? De même, le tuteur peut passer d'un établissement à l'autre, et la personne protégée risque d'en subir les conséquences.
Par ailleurs, les préposés d'établissement sont soumis à des contrôles nettement allégés par rapport aux autres catégories de mandataires judiciaires : ainsi, ils seront inscrits sur la liste départementale sur la base d'une simple déclaration, là où les autres tuteurs devront préalablement être autorisés ou agréés.
La commission des affaires sociales est toutefois consciente que 28 000 mesures sont aujourd'hui confiées à des préposés d'établissements médico-sociaux. Il ne saurait naturellement être question de mettre un terme du jour au lendemain à leurs missions. Les personnes qu'elles protègent en seraient les premières victimes.
Toutefois, ces contraintes matérielles et d'organisation ne doivent pas nous conduire à transiger avec un principe fondamental, celui de la nécessaire indépendance des tuteurs. C'est la raison pour laquelle nous proposons de prévoir un délai de cinq ans pour que le juge réaffecte les mesures aujourd'hui confiées à un préposé d'établissement à d'autres catégories de mandataires.
La commission des affaires sociales reconnaît également que, dans certains départements, la suppression des préposés d'établissement pourrait conduire à des situations de monopole au profit de certaines associations tutélaires. Cependant, le projet de loi prévoit d'ores et déjà les outils nécessaires pour remédier à ces situations : les mandataires judiciaires feront désormais l'objet d'un volet spécifique du schéma régional de l'organisation sociale et médico-sociale, qui vise à planifier la création des nouveaux services. Dans le délai de cinq ans prévu par notre commission, ces schémas permettront d'organiser le recrutement des mandataires nécessaires.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales est favorable à tous les amendements traitant du sujet, qui nous tient particulièrement à coeur.