Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 25 septembre 2007 à 16h00
Accords avec les émirats arabes unis relatifs au musée universel d'abou dabi — Adoption d'un projet de loi

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l'autorisation d'approbation des accords conclus entre la France et les Émirats Arabes Unis relatifs au musée universel d'Abou Dabi aujourd'hui demandée au Sénat fait écho à l'intense polémique qui a agité le milieu culturel au début de l'année.

Si la commission des affaires culturelles a elle-même procédé à des auditions pour entendre les opinions divergentes et connaître les tenants et les aboutissants de cette négociation, ainsi que le contenu des accords - je tiens d'ailleurs à saluer l'initiative de son président, M. Jacques Valade -, je trouve regrettable que nous débattions du projet de musée Louvre Abou Dabi une fois les accords conclus.

En effet, la polémique aurait pu être largement atténuée, me semble-t-il, si le ministère de la culture de l'époque avait pris le temps d'informer de ce projet, avant la conclusion des accords, la représentation nationale et l'ensemble des acteurs culturels, notamment les conservateurs de musée.

Le ministère aurait pu saisir cette occasion pour engager une véritable concertation et évoquer la politique des musées, les projets de coopération internationale, la question des financements et les conditions de circulation des oeuvres.

Aujourd'hui, il nous est demandé d'approuver ces accords a posteriori, d'où un sentiment quelque peu étrange parmi les membres de la commission, car le projet du musée universel à Abou Dabi se trouve déjà engagé.

Au demeurant, ce projet mérite toute notre attention. Comme d'autres, il marque un changement d'échelle dans la politique de coopération internationale des musées. En effet, il ne s'agit pas seulement d'expositions majeures organisées à l'étranger, comme le font couramment les grands musées ; il s'agit d'un projet de coopération globale conçu au niveau international.

Ce qui change, c'est bien sûr l'échelle des opérations, mais aussi la durée des coopérations et l'ampleur politique, économique et culturelle des accords. Or, je le répète, dans ce contexte de mondialisation des musées, où les modes d'accessibilité des oeuvres évoluent, c'est l'absence de débat et de réflexion sur cette mutation qui a conduit à la polémique et fait naître les inquiétudes légitimes des acteurs du monde de l'art quant au devenir des chefs-d'oeuvre de notre patrimoine national.

Ce genre d'opérations pose la question des conditions nécessaires à un travail de coopération culturelle et scientifique de qualité. C'est en ce sens, me semble-t-il, qu'il faut comprendre l'opposition d'une partie des conservateurs de musées à ce projet. Leur réaction traduit d'ailleurs la haute conscience qu'ils ont de leurs missions de conservation, d'étude et de mise en valeur des oeuvres, auxquelles nous ne pouvons que rendre hommage.

Cela dit, comme le note notre collègue Philippe Nachbar dans son rapport, les accords relatifs à Abou Dabi, lorsqu'on les examine, apportent des garanties juridiques fortes, s'agissant du projet culturel et scientifique du musée, de la conservation des collections, de la qualité et de la sécurité des oeuvres ou encore de l'utilisation du nom « Louvre », toutes questions qui ont été au coeur de la polémique.

Comme l'a souligné Philippe Nachbar, les accords se révèlent intéressants également pour le musée du Louvre, puisqu'ils donnent lieu à des contreparties financières d'un montant sans précédent, ce qui est loin d'être négligeable si l'on pense aux projets que le musée du Louvre pourra engager ou poursuivre avec ces financements.

Toutefois, encore faut-il, et cela constitue un motif d'inquiétude, que ces sommes aient vocation non pas à se substituer aux financements de l'État, mais à compléter les efforts que celui-ci consent. II faudra veiller à ce que le Louvre, à côté de l'agence créée à cet effet, soit doté des moyens humains suffisants pour remplir ces nouvelles missions.

En outre, la coopération avec le musée d'Abou Dabi est susceptible d'apporter une contribution significative au financement de l'ensemble des musées français qui accepteraient de s'engager dans le projet, et pas seulement aux grandes institutions parisiennes, via l'Agence internationale des musées de France ; reste que les collectivités locales, qui assurent souvent la tutelle de ces établissements, n'ont pas été réellement informées de ce projet.

On peut regretter d'ailleurs qu'au sein de l'agence aucune place ne soit faite aux musées régionaux ou à un représentant de ces établissements, qui n'ont pas été associés à ces accords et qui ne sont pas non plus impliqués dans le fonctionnement et les décisions de l'agence, alors même que celle-ci pourra leur demander de prêter leurs collections.

Nous ne pouvons contester l'intérêt de ce projet pour le rayonnement culturel de la France. Cet accord constitue d'ailleurs également une reconnaissance internationale du savoir-faire et des collections de notre pays. Il est tout à fait légitime de répondre à une demande d'expertise et d'ingénierie culturelles pour la conception globale d'un musée, et ce genre d'action est même à encourager.

Restent toutefois quelques questions. La première porte sur la localisation choisie pour le musée universel. La décision d'implanter le Louvre sur une « île des Musées », créée pour l'occasion à Abou Dabi, pose problème.

En effet, le site de l'île du Bonheur d'Abou Dabi semble dédié au tourisme culturel haut de gamme, puisque quatre musées, vingt-neuf hôtels, un parc d'attraction, trois marinas et deux terrains de golf y seront implantés, ce qui pose la question des publics susceptibles de profiter de ces oeuvres.

Est-ce que seuls les riches touristes fréquentant ces lieux de loisirs auront accès à ces collections et pourront en profiter ? Quid des populations locales ?

Madame la secrétaire d'État, je note que vous avez évoqué ce problème dans votre propos introductif, puisque vous avez souligné que le projet était destiné à un public international et régional. Toutefois, nous souhaiterions avoir quelques précisions sur ce point.

Le ministère de la culture, quant à lui, insiste sur le sérieux du projet de « district culturel d'envergure mondiale » prévu sur l'île de Saadiyat, qui fera de cette dernière un lieu de rencontres et d'échanges entre les civilisations, la Sorbonne ayant déjà ouvert une antenne à Abou Dabi.

Néanmoins, les accords ne nous disent rien de la politique des publics qui sera menée, alors que le rôle des musées, je le rappelle, est selon nous de faire accéder aux oeuvres de l'esprit le plus grand nombre de citoyens.

Si le dialogue entre les cultures constitue l'une des raisons d'être du musée universel d'Abou Dabi, l'accord aurait pu prévoir la mise en oeuvre d'une politique d'éducation des publics, sous la conduite de l'Agence France Museums, en s'appuyant sur l'expérience accumulée par les musées français en ce domaine.

Nous devons également nous assurer que nos musées, qui font beaucoup pour le rayonnement culturel de notre pays - le Louvre attire chaque année plus de sept millions de visiteurs -, ne se voient dépossédés des oeuvres majeures de leurs collections parce que celles-ci auraient été prêtées et délocalisées pour plusieurs mois au musée universel d'Abou Dabi. On sait que plusieurs chefs-d'oeuvre déposés au High Museum of art d'Atlanta sont restés absents des collections françaises pendant de longs mois.

Le public français se sentirait lésé, tout comme les touristes étrangers, qui s'attendent, en venant visiter le Louvre, à admirer la Joconde, le Radeau de la Méduse ou la Vénus de Milo. Quelle serait leur déception s'ils ne trouvaient pas au musée d'Orsay le Déjeuner sur l'herbe de Manet ou encore la Chambre de Van Gogh à Arles ! Le Louvre et les autres grands musées français perdraient leur réputation et un nombre considérable de visiteurs. Or ce sont trois cents oeuvres émanant des collections publiques françaises - dont une « part raisonnable » est issue de celles du Louvre - qui seront prêtées au cours des trois premières années par les musées français.

À la lecture de ces conditions, nous avons besoin d'avoir des garanties quant à la présence des oeuvres qui font l'originalité, la notoriété et la cohérence des collections des grands musées français.

D'ailleurs, face aux inquiétudes exprimées par certains de nos collègues de la commission des affaires culturelles au mois de janvier dernier et parce que les échanges internationaux d'oeuvres d'art entre les grands musées se multiplieront dans les années à venir, la commission avait évoqué la nécessité de créer une charte déontologique sur les pratiques admises en matière de gestion et d'entretien des collections, en s'inspirant des principes posés par l'UNESCO et le Conseil international des musées, l'ICOM.

Madame la ministre, je souhaiterais savoir si cette charte de bonne conduite a été élaborée ou si elle est en cours de rédaction. En fixant des règles claires, nous rassurerons l'ensemble des acteurs intéressés à la politique des musées. En outre, cette initiative permettrait à la France d'anticiper un phénomène qui, à n'en pas douter, s'amplifiera.

Le monde évolue, les échanges se développent. Il ne s'agit aucunement de se replier sur soi. À n'en pas douter, les partenariats avec les institutions étrangères doivent se diversifier et les coopérations se renforcer. Ce n'est pas moi qui vous dirais le contraire, madame la ministre, et Mme la directrice des musées de France le sait, puisque la ville de Rouen est très active au sein du réseau des musées franco-américains, FRAME. Elle inaugurera d'ailleurs dans deux jours une magnifique exposition intitulée la mythologie de l'Ouest dans l'art américain, 1830-1940, et soutenue par le ministère de la culture, que les villes de Rennes et de Marseille accueilleront ensuite. Mais il faut que ce développement international soit maîtrisé et reste respectueux de l'esprit des Lumières qui a influencé la vocation de nos musées.

Madame la ministre, vous héritez d'un dossier sensible mais passionnant. Nous savons que votre parcours personnel et professionnel vous rend particulièrement attentive à ces enjeux. Je ne doute pas que vous saurez répondre à nos interrogations et rassurer les professionnels des musées, en apportant les garanties culturelles et scientifiques nécessaires à ce projet.

Le groupe de l'Union centriste-UDF souhaite l'adoption de ce projet de loi, parce qu'il confirme l'ouverture de notre politique culturelle sur le monde.

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