Intervention de Jack Ralite

Réunion du 25 septembre 2007 à 16h00
Accords avec les émirats arabes unis relatifs au musée universel d'abou dabi — Adoption d'un projet de loi

Photo de Jack RaliteJack Ralite :

Certes, mais il s'agissait non pas d'un artiste, mais d'un inspecteur des finances !

Toute la stratégie de l'accord signé le 6 mars est déjà développée dans ledit rapport : on y parle « d'amortissement du capital humain » et de « mettre les acquis immatériels au service de l'économie ». Les musées y sont traités par le menu et en parfaite contradiction avec le code de déontologie de l'ICOM, l'organisation internationale non gouvernementale des musées et des professionnels de musée, code adopté à l'unanimité de ses 21 000 membres présents dans 146 pays.

On lit dans le rapport Lévy-Jouyet, sous l'intitulé « Saisir l'importance de l'image de la ?marque France? pour notre croissance économique », page 123 : « Recommandation n° 10 : [...] autoriser les musées à louer et à vendre certaines de leurs oeuvres [...] Les oeuvres des établissements devraient être classées en deux catégories (les trésors nationaux et les oeuvres libres d'utilisation). Les oeuvres libres d'utilisation devraient être inscrites à l'actif des établissements et être reconnues aliénables. » Je trouve que c'est une magnifique définition de l'entreprise, comme vient de le dire si justement Catherine Tasca. C'est la chosification des oeuvres d'art et leur transformation en produits.

Je fais cette citation pour une raison qui devrait nous « enrager », je n'hésite pas à utiliser ce mot. Ainsi, le 5 mars, j'ai assisté au ministère de la culture à la remise d'une décoration à l'un de mes amis par l'ancien ministre M. Donnedieu de Vabres. Alors que je saluais ce dernier qui allait signer les trois accords précités le lendemain, je lui ai fait la remarque suivante : « Monsieur le ministre, puissiez-vous ne jamais regretter votre signature du 6 mars. » Il m'a répondu ne pas partager le même point de vue et que j'avais sans doute noté que dans le contrat ne figurait pas l'application du passage relatif à la vente des oeuvres que je viens de vous lire. « Pour combien de temps ? » lui ai-je alors demandé, propos que j'ai repris dans un article le lendemain.

Eh bien ! nous y sommes et, de surcroît, devant le Sénat, où la question du patrimoine et des musées est toujours suivie avec une attention scrupuleuse. Je veux, en cet instant, mes chers collègues, simplement vous lire un extrait de la lettre de mission adressée par M. le Président de la République à Mme la ministre de la culture et de la communication, Mme Christine Albanel, dont je me félicite de la présence : « Vous [...] engagerez une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner des oeuvres de leurs collections ».

Alors que nous allons être appelés à voter ce projet de loi, vous constatez que des idées, qui, je suis certain, choquent nombre d'entre vous, sont en train de cheminer dans des courriers qui sont essentiels pour la culture.

Et le signataire poursuit, pour garantir son propos à Mme la ministre, « vous nous proposerez des indicateurs de résultat dont le suivi sera conjoint. » Élysée, Matignon, Bercy, ministère de la culture : c'est une première ! C'est une manière de tenter de supprimer le ministère de la culture dont les artistes ont imposé le maintien au printemps.

Il faut savoir que l'idée d'inaliénabilité des oeuvres a été imposée au xiie siècle, à l'époque des rois de France qui rêvaient de devenir absolus - ce qui fut le cas plus tard -, par les juristes royaux. Cet acquis historique marque toute notre tradition.

Par le passé, des choses heureuses ont été créées. Pourquoi vouloir les remettre en cause ?

Le patrimoine, c'est-à-dire la création de l'histoire, est en danger, tout comme la création contemporaine, dont la lettre présidentielle indique qu'elle doit « favoriser une offre répondant à l'attente du public » avec « obligation de résultat et non-reconduction automatique des aides et des subventions ».

J'étais à Avignon, samedi soir, pour fêter, avec cette ville et la Maison Jean Vilar, le soixantième anniversaire de la « Semaine d'art en Avignon », créée en 1947 par cet homme de théâtre, avec la coopération de peintres et de poètes ; je pense notamment à René Char. Jean Vilar avait bien raison d'évoquer dans un écrit à André Malraux, le 17 mai 1971, le « mariage cruel » entre le pouvoir et l'artiste.

Les artistes se sont exprimés sur cette question. Jean Vilar disait : « Il s'agit aussi de savoir si nous aurons assez de clairvoyance et d'opiniâtreté pour imposer au public ce qu'il désire obscurément ; ce sera là notre combat. » René Char, quant à lui, déclarait : « Comment vivre sans inconnu devant soi ? » Braque indiquait : « L'art est une blessure qui devient une lumière. » Apollinaire, enfin, écrivait : « Quand l'homme a voulu imiter la marche, il a inventé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. » C'est cela la création !

Lundi, Le Parisien titrait : « Comment les musées ont appris à gagner de l'argent ». On ne peut pas leur en faire le reproche. Mais ils doivent surtout avoir la possibilité d'acheter, de montrer et de provoquer la rencontre la plus massive possible.

Le même quotidien évoquait « 90, 3 millions de chiffre d'affaires » et au-dessus d'une photo d'un haut responsable du Patrimoine figurait le titre Celui qui a redressé la maison ; et le journaliste écrivait : la culture est sa passion, mais une forte dose de technique financière lui permet de garder la raison. (M. Gérard Le Cam applaudit.)

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