Mme Morin-Desailly s'est également interrogée à propos de la charte déontologique élaborée par la Direction des musées de France. Cette charte est disponible sur Internet. Elle a été transmise à toutes les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, ainsi qu'aux conservateurs de musées.
Mme Tasca a tenu des propos très sévères et je ne partage pas sa vision quelque peu caricaturale : les motivations du projet sont exclusivement financières ; il s'agit, en fait, de faire payer une marque ; les établissements et les conservateurs perdront de leur pouvoir et nous allons assister au départ des meilleurs talents et des oeuvres les plus importantes, sans que personne ne puisse s'y opposer. Ces propos sont très exagérés et, si tel était le cas, ce serait très grave. Mais c'est inexact.
Je rappelle les chiffres : environ 30 000 oeuvres sont prêtées par an par les musées français. S'agissant du seul projet Louvre Abou Dabi, 300 oeuvres, puis 200, seront prêtées. On voit bien dans quelle proportion nous nous situons ! Par ailleurs, il est précisé expressément dans l'accord que les oeuvres les plus emblématiques, les plus identitaires ou les plus fragiles de nos collections ne seront pas prêtées. Enfin, le comité scientifique et les conservateurs veilleront, en tout état de cause, à la préservation des oeuvres, comme ils l'ont toujours fait, me semble-t-il.
Nous ne vivons pas un changement d'époque aussi radical. Certains principes demeurent, en particulier, bien entendu, celui du prêt gratuit de tableaux à des expositions, règle qui s'applique, et c'est normal, dans 90 % des cas.
En revanche, sont présentées, depuis assez longtemps déjà, des expositions livrées « clés en main », expositions qui mobilisent des savoir-faire, une expertise scientifique, une muséographie, et qui donnent lieu à des contreparties.
Jack Lang rappelait, dans un article de Libération paru en janvier dernier, que les travaux de l'Orangerie avaient été partiellement « payés » - à hauteur de 7 millions d'euros - par les collections qui avaient voyagé en Australie et en Extrême-Orient.
De même, l'exposition « Mélancolie », dont le commissaire était Jean Clair, a bénéficié d'une dotation d'environ 700 000 euros à la suite du prêt d'oeuvres de Picasso au musée de Berlin.
J'ajoute d'ailleurs que, lorsque j'étais présidente du château de Versailles, nous avons organisé à Tokyo des expositions, « Les fastes de Versailles » puis « Napoléon », en échange de contreparties qui nous ont permis de restaurer des pièces, de procéder à des acquisitions, d'enrichir nos collections.
Le dispositif mis en place avec le musée universel d'Abou Dabi ne constitue donc pas, en réalité, une telle nouveauté et je ne crois pas du tout qu'il soit la marque d'un changement d'époque ou d'un changement de nature de la pratique des prêts d'oeuvres.
Nous serons du reste très attentifs à ce qu'il n'y ait aucune dérive.
Je rappelle en outre que nous restons dans des durées brèves puisque les prêts ne pourront excéder deux ans, alors que les dépôts entre musées portent souvent sur des périodes allant jusqu'à cinq ans.
M. Ralite a regretté, de manière générale, la place de l'argent dans notre économie culturelle. Pour ma part, je considère comme normal que les ressources privées et les ressources publiques se conjuguent. Il ne faudrait pas, en effet, qu'il y ait un désengagement complet de l'État, mais j'estime que l'engagement de l'État peut être utilement complété par le mécénat et des soutiens privés.
M. Ralite a par ailleurs fait allusion à ma lettre de mission, qui n'a pas directement trait au musée d'Abou Dabi : elle traduit surtout l'exigence de mener une politique en direction du public et de s'engager dans des démarches de contractualisation avec des objectifs clairs, en prévoyant pour la suite des « rendez-vous » qui permettront de faire le point sur ce qui a été réalisé et de procéder à des échanges.
Je me réjouis que M. Ralite ait cité Jean Vilar, car j'adhère évidemment à son grand rêve, qui était de rendre les oeuvres et les théâtres « populaires », mot que, comme lui, je ne considère pas comme un mot vulgaire.
M. de Broissia a rappelé le beau rêve de Malraux - rendre les oeuvres accessibles à tous - et il est vrai que les projets au long cours tournés vers l'étranger comme celui d'Abou Dabi sont aussi une façon d'aller au-devant de publics nouveaux.
M. de Broissia a parlé de « diplomatie culturelle », notion qui me paraît aussi extrêmement importante et très prometteuse.
Enfin, M. Dauge a regretté que le débat n'ait pas eu lieu plus tôt, mais il a aussi souligné - et, en cela, il a tout à fait raison - qu'il s'agissait d'un projet en devenir : nous sommes au début de l'aventure. Je rappelle à ce titre que l'accord était applicable dès sa signature.
L'agence chargée de mettre ce projet en oeuvre a changé de statut juridique : c'est maintenant une société anonyme simplifiée, ...