Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en 1977, alors jeune vice-président du conseil général des Alpes-Maritimes et maire de Tende, j'écrivais dans la revue les Dossiers de l' archéologie un long article sur l'histoire du canton de Tende-La-Brigue à travers les âges, consacrant une partie de mes recherches à la route du col de Tende, ce col qui fut, à travers l'histoire, l'un des portiers des Alpes-Maritimes, sur la ligne de crête, à une altitude de 1871 mètres.
C'est une autre étape de la vie du col de Tende qui nous est proposée aujourd'hui avec l'approbation de ce projet de loi autorisant la ratification de l'accord franco-italien signé à Paris le 12 mars 2007 relatif au tunnel routier de Tende et faisant suite à un premier accord signé à Lucques par Jacques Chirac et Romano Prodi, le 24 novembre 2006, lequel n'est pas soumis à ratification.
Le présent accord, composé de trente-quatre articles, prévoit la création de deux tubes unidirectionnels à une voie, obtenu par le réalésage du tunnel existant, après la réalisation d'un nouveau tunnel à 30 mètres de distance et à la même hauteur, chacun ayant une largeur totale de 6, 50 mètres.
Cet accord détermine également que la CIG, c'est-à-dire la conférence intergouvernementale des Alpes du Sud, devient l'autorité administrative unique chargée de superviser la conception technique du tunnel, le dossier d'appel d'offres, ainsi que les principes et conditions d'exploitation, d'entretien et de sécurité, et que c'est à l'Italie qu'est déléguée la maîtrise d'ouvrage de la totalité des travaux.
C'est donc une étape supplémentaire de l'histoire du col de Tende que nous écrivons dans cet hémicycle aujourd'hui.
Mes chers collègues, dès avant l'époque romaine, des sentiers parcourus par les troupeaux en transhumance reliaient la Ligurie maritime aux alpages de la haute Roya.
Au Moyen Âge, cette route, qui prendra l'appellation de « route du sel », sera une préoccupation des comtes de Provence puis, à partir de 1388, des comtes et ducs de Savoie, le comté de Nice étant passé de la Provence à la Savoie. Cette voie sera le passage obligé et très lucratif entre le port de Nice, où débarquent les bateaux en provenance des salines provençales et languedociennes, et les éleveurs piémontais, qui consomment des tonnes de sel pour l'alimentation humaine et animale, les salaisons et le traitement des peaux.
Lorsque le comté de Tende passe sous la domination de la Maison de Savoie en 1581, une campagne de travaux lancée par Charles-Emmanuel Ier en 1592 permet de libérer les passages difficiles entre le col de Tende et le col de Brouis. C'est à cette époque, en 1614, qu'est d'ailleurs envisagée la première tentative de percement d'un tunnel sous le col de Tende ; d'autres tentatives se succéderont en 1624 et 1672.
Au cours du XVIIIe siècle, la circulation entre Nice et Turin, devenue la capitale du royaume de Piémont-Sardaigne, augmente et le gouvernement savoyard ordonne l'aménagement d'une route carrossable ainsi que le percement du tunnel du col de Tende. Ces travaux seront bien commencés en 1784, mais interrompus peu de temps après.
Ainsi, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le trafic sur cette voie ne sera que muletier. Un mémoire de 1780 précise que, chaque année, 16 000 mulets chargés de marchandises diverses partaient de Nice, outre 30 000 mulets - ce qui fait tout de même 46 000 mulets ! - transportant 5 535 tonnes de sel.
À la suite de la réunion du comté de Nice à la France, entre 1792 et 1794 - dont Tende et la Brigue font d'ailleurs partie -, la route de Tende perd temporairement son caractère spécial de trait d'union entre Turin, capitale du royaume, et Nice.
Ce n'est qu'après de nombreuses études et pétitions qu'en 1872, l'unité italienne étant réalisée grâce à Napoléon III et à l'armée française, est lancé le percement du tunnel routier sous le col de Tende, finalement livré à la circulation en 1882.
À l'époque, ce sont des diligences tirées par des chevaux qui l'empruntent. Or, nous circulons toujours aujourd'hui dans ce même tunnel bidirectionnel qui, comme le précise le rapport de notre commission des affaires étrangères, est le plus ancien tunnel routier d'Europe puisqu'il a 125 ans ; sa longueur est de 3 200 mètres, dont 1 500 en territoire français, sa hauteur de 4, 30 mètres et sa largeur de 4, 90 mètres.
Bien évidemment, il ne correspond plus du tout à nos modes de transports modernes ni au trafic qui en découle, notamment des poids lourds et des cars de tourisme. Pourtant, le passage de 3 700 véhicules par jour en moyenne - chiffre qui double durant la période estivale et triple les week-ends - place ce tunnel, en termes de volume de trafic, en troisième position, comme l'a souligné notre rapporteur M. Pasqua, derrière les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus.
Il faut également signaler que, comme l'indique le rapport de la CIG, ce tunnel ne répond pas aux exigences de sécurité minimale dans les tunnels du réseau routier transeuropéen, dont fait état la directive européenne 2004/54/CE du 29 avril 2004, et ce, bien qu'il ne soit pas inclus dans le réseau transeuropéen.
Étant conseiller général du canton, je l'emprunte fréquemment, mais beaucoup le font avec quelques appréhensions, surtout depuis le sinistre du tunnel du Mont-Blanc. Les recommandations de la CIG de novembre 2005 et l'avis du comité de sécurité franco-italien du tunnel des 20 et 21 mars 2006 ont imposé des restrictions de circulation, ainsi que différents travaux de mise en sécurité et d'amélioration qui ont été réalisés depuis 2006 pour un montant de 19, 8 millions d'euros du côté français. Cela entraîne des fermetures presque quotidiennes et la mise en place d'alternats pour les poids lourds. Qui plus est, la communication fait bien souvent défaut entre les autorités françaises et les autorités italiennes s'agissant des travaux à réaliser, et elles ont quelquefois du mal à se mettre d'accord pour les faire en même temps !
C'est pourquoi, très tôt, je me suis engagé activement, afin d'obtenir le percement d'un nouveau tunnel, auprès tant de nos différents ministres de l'équipement et des transports que des autorités italiennes, et même de Bruxelles.
Aussi, ma satisfaction est grande aujourd'hui de voir présenté à notre Haute Assemblée cet accord, qui a reçu un avis favorable de notre commission des affaires étrangères et de son rapporteur, Jacques Peyrat, rapport exposé ici, en séance, par l'ancien ministre Charles Pasqua qui connaît bien les lieux.
Cet accord est le fruit d'un travail de coopération mené dès 1993 avec nos amis italiens. Il a permis d'aboutir, le 18 avril 2005, au choix de la solution haute, qui avait à l'origine la préférence du Gouvernement français et de la direction départementale de l'équipement, la DDE, mais point de l'Italie et des services de l'ANAS, la DDE italienne.
Aussi, je salue l'aide que nous a apportée mon ami Raffaele Costa, président de la province italienne de Cuneo, afin d'aboutir au consensus de la CIG et de nos deux gouvernements sur ce choix, avec l'appui déterminant du président du conseil général des Alpes-Maritimes et secrétaire d'État à l'outre-mer, Christian Estrosi, pour qui la réalisation rapide de cet ouvrage est un objectif majeur.
Je souhaite également que les travaux, dont le montant est évalué à 141, 2 millions d'euros hors taxes, dont 41, 65 % à la charge de la France et 58, 35 % à celle de l'Italie, puissent démarrer dès le premier semestre 2008. Le financement côté français est assuré, puisque répondant à la règle des trois tiers, État-région-conseil général, et la déclaration d'utilité publique, la DUP, doit intervenir avant la fin de l'année 2007.
Je n'ambitionne cependant pas que ce tunnel devienne, madame la secrétaire d'État, un axe privilégié pour les poids lourds et je serai attentif à l'action de la CIG, puisque l'article 3 du traité la confirme dans son rôle d'autorité administrative unique, chargée du contrôle tant de la conception technique du tunnel que de ses règles d'exploitation, d'entretien et de sécurité. Ne faudra-t-il pas instituer un péage pour les poids lourds venant d'autres régions que celles qui jouxtent l'ouvrage ? La question méritera d'être examinée.
Je vous rappelle, en effet, que la vallée de la Roya est un axe hautement touristique grâce à la présence sur les cimes de Tende, entre 2 000 et 3 000 mètres d'altitude, du site archéologique de la Vallée des Merveilles, classé monument historique, et dont la procédure de classement au patrimoine mondial de l'UNESCO est en cours.
Il est évident que cette vallée n'est pas adaptée à un accroissement important du nombre de poids lourds, qui dégraderait la qualité environnementale de ce secteur préservé, traversé par la RN 204, désormais RD 6204, où Tende et Breil-sur-Roya comptent chacune des populations permanentes dépassant les 2 000 habitants et triplant durant la période estivale.
En revanche, un développement du transport de marchandises par fer serait tout à fait envisageable, puisque, quelques années après la construction du tunnel routier sous le col de Tende, fut percé en 1889, à 1 040 mètres d'altitude, soit à 260 mètres au-dessous du routier, le tunnel ferroviaire du col de Tende. Long de 8 099 mètres, large de 7, 80 mètres et haut de 6, 10 mètres, ce tunnel, où deux trains peuvent se croiser, permet aujourd'hui une liaison par rail entre Turin, Cuneo, Tende, Breil-sur-Roya, Vintimille, Menton, Monaco ou Nice.
Cependant, le développement de cette voie est aujourd'hui limité à vingt-trois trains par jour du fait qu'une partie n'est plus électrifiée sur 42 kilomètres du côté français, et ce depuis 1944, suite à des destructions de l'armée allemande.
Sur ce point, comme sur celui de la création d'un épi ferroviaire à Vintimille permettant la suppression d'une rupture de charge, mes appels aux différents ministres de l'équipement sont nombreux et je ne désespère pas de voir mes demandes aboutir.
L'amélioration des liaisons routières et ferroviaires entre le Piémont, région industrielle parmi les plus dynamiques d'Europe, et la Côte d'Azur, tout aussi active, permettra d'accentuer les échanges économiques entre nos régions, favorisant les partenariats.
Je conclurai par un mot de félicitations de nos amis italiens, qui m'ont chargé de remercier M. le président du Sénat, M. le ministre des affaires étrangères, et vous-même, madame la secrétaire d'État, pour la rapidité et l'efficacité avec lesquelles la France conduit la ratification de cet accord, signé le 13 mars 2007 entre Dominique Perben, ministre de l'équipement et des transports d'alors, et Antonio Di Pietro, ministre des infrastructures italiennes, grâce à ce projet de loi, que, je l'espère, mes chers collègues, vous voterez à l'unanimité.
Ce texte, du côté italien, attend pour l'instant de recevoir un dernier accord, celui du ministère de l'économie, pour être présenté en conseil des ministres, puis soumis à l'approbation du Parlement.
Si l'Assemblée nationale l'approuve aussi rapidement que s'apprête à le faire notre Haute Assemblée, ce dont je ne doute point, le rapporteur étant Jean-Claude Guibal, député des Alpes-Maritimes, cela incitera nos amis italiens à faire de même.
Toutefois, il me paraît important, madame la secrétaire d'État, que vous interveniez auprès de votre homologue italien, M. Massimo d'Alema, afin que nous puissions lancer les travaux dès le premier semestre 2008, ce que souhaitent, comme moi, le président du conseil général des Alpes-Maritimes mais également les populations et les élus des régions Piémont et Provence-Alpes-Côte d'Azur.