Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 25 septembre 2007 à 16h00
Amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme — Adoption d'un projet de loi

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, peu de sénateurs doivent prendre la parole sur ce texte. Je le ferai néanmoins, parce que le terrorisme est, malheureusement, toujours d'actualité et n'est pas près de disparaître

Avec l'horreur des attentats du 11 septembre 2001, notre siècle s'est ouvert sur une inhumanité rarement atteinte en la matière.

Ce n'est pas la première fois que je le souligne ici, le monde devrait enfin s'interroger sur son état, sur la gravité de ses dysfonctionnements, sur les causes profondes du terrorisme. Nous continuons à ne pas le faire et à « courir » derrière lui, comme vous l'avez dit, mon cher collègue, à travers la complexification des réseaux, des méthodes et des moyens. Or, force est de constater que, malgré la multiplication des législations pour essayer de juguler ce phénomène, le terrorisme persiste.

Ce n'est pas la première fois non plus que je dénonce l'instrumentalisation dont les actes terroristes sont l'objet, au service d'un nouvel ordre international répressif et régressif, au service d'une Europe et d'une France de plus en plus sécuritaires, nourrissant les peurs et les suspicions. Le monde est de plus en plus pensé à travers le prisme de la lutte contre le terrorisme, aux dépens d'une analyse plus approfondie de ses causes.

Certains pays, les États-Unis en tête, théorisent la nécessité de subordonner les droits et les libertés à la lutte contre le terrorisme. Nous avons eu droit au Patriot Act, aux tribunaux militaires d'exception, à la limitation des libertés civiles, à la réduction des garanties contre les atteintes aux droits fondamentaux. L'état d'exception devient la règle. En agissant de la sorte, en faisant de la lutte contre le terrorisme une croisade du Bien contre le Mal, les règles du droit international et les droits fondamentaux se trouvent inéluctablement bafoués.

L'Europe n'est pas en reste, malgré ce qui vient d'être dit sur le protocole et la convention qu'il modifie : je pense aux « sites noirs » et aux avions de la CIA, ainsi qu'à l'accord récent des Vingt-Sept sur le transfert des données des dossiers passagers, les fameux fichiers PNR, par les compagnies aériennes.

Quant à la France, on voit bien qu'elle a accumulé ces cinq dernières années, au nom de la lutte contre le terrorisme, toute une série de dispositions et de pratiques qui n'ont rien à voir avec celle-ci : diminution des droits de la défense, facilitation des perquisitions, fichage généralisé...

Je n'oublie pas, en outre, que des pays européens ont longtemps abrité des terroristes. Il convient donc d'avoir une vision plus lucide de ce qui nourrit le terrorisme et de ceux qui nourrissent des terroristes.

Dans ce contexte, il ne serait pas acceptable, à mon sens, que le protocole portant amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme du 27 janvier 1977 s'inscrive dans ce mouvement pernicieux et dangereux.

Aussi voudrais-je attirer l'attention sur un certain nombre de problèmes que me pose ce texte.

Le protocole complète le mécanisme mis en place par la convention, qui vise à faciliter l'extradition par la « dépolitisation » des infractions terroristes, en indiquant quelles infractions ne doivent pas être considérées comme politiques.

La convention supprime donc ou limite le recours à la possibilité, pour l'État requis, d'opposer le caractère politique d'une infraction pour refuser une extradition. Comme nous l'avons dit, nous n'y sommes pas opposés, mais il faut savoir de quoi l'on parle avant d'élargir, ainsi que le prévoit le protocole, le champ d'application de la convention. En effet, je persiste à penser que la définition même du terrorisme reste floue et peut être interprétée de diverses manières selon les États.

Le protocole étend la règle obligatoire énoncée à l'article 1er de la convention, à savoir qu'un certain nombre de faits délictueux ne doivent pas être considérés comme des infractions politiques.

À cet égard, deux points suscitent mon inquiétude.

D'une part, ce mécanisme de « dépolitisation » permet de se soustraire aux dispositions du 2° de l'article 696-4 du code de procédure pénale, selon lequel l'extradition n'est pas accordée pour les infractions à caractère politique. Certes, il est précisé que les États peuvent émettre des réserves au regard de l'application du droit d'asile, mais ledit mécanisme ne pourrait-il pas justifier une remise en cause de ce dernier ?

D'autre part, qu'entend-on par « infraction politique » ? Par conséquent, quelles sont les infractions qui échappent à la « dépolitisation » ?

Par exemple, s'agissant de manifestations comme celles que les altermondialistes organisent régulièrement, y compris à l'occasion des forums sociaux, et qui réunissent des citoyens du monde entier, les dispositions de la convention devraient-elles s'appliquer aux organisateurs et aux participants en cas de débordements dont ils ne seraient pas responsables ? Eu égard à la violence de la répression ayant prévalu lors des manifestations contre le G 8 à Gênes en 2001, il y a tout lieu de réfléchir à cette question. Je pense aussi, à cet instant, aux motifs de détention de certaines personnes à Guantanamo : s'agit-il de membres de réseaux terroristes ou de complices ? Les choses demeurent assez floues.

Force est donc de constater que le protocole portant amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme soulève d'indéniables problèmes de sécurité juridique.

Une autre difficulté tient à l'ouverture de l'adhésion à la convention à des États non membres du Conseil de l'Europe. Cela est susceptible de poser problème quand il s'agira d'États ne reconnaissant pas la prééminence du droit et de la protection des droits de l'homme conformément à l'article 3 du statut du Conseil de l'Europe, rappelée explicitement par le paragraphe 29 du rapport explicatif de la convention pour la répression du terrorisme.

Par ailleurs, rien n'est prévu pour garantir le droit à un recours judiciaire afin de contester la légalité de toute mesure de privation de liberté, toute atteinte aux droits de l'homme, pour garantir le droit à un jugement par un tribunal indépendant et impartial, à la présomption d'innocence et aux garanties judiciaires.

En revanche, il est en effet positif que la clause de non-discrimination de la convention soit complétée par le protocole, qui prévoit la possibilité de refuser l'extradition vers des pays où les personnes risquent la peine de mort, la torture ou un emprisonnement à vie sans remise de peine.

Toutefois, cela ne saurait suffire à lever les inquiétudes que j'ai exprimées. Au total, le protocole réduit le champ d'application de l'interdiction d'extrader, en ne conservant plus qu'un « noyau dur » de protection. Si Europe judiciaire il doit y avoir, il est plus que jamais nécessaire que sa construction se réalise dans le respect des libertés et des droits.

Pour l'heure, il n'y a pas d'harmonisation judiciaire. Son préalable serait, me semble-t-il, une harmonisation des législations pénales des différents États membres, respectueuse des traditions juridiques de chacun d'entre eux et entreprise avant même de réfléchir à la définition d'un droit pénal communautaire, peu compatible avec le principe de subsidiarité.

Comme je le disais au début de cette intervention, l'utilisation du concept de terrorisme pour justifier le durcissement de l'arsenal répressif n'est pas la solution, ni en France ni en Europe. Les Européens savent que la lutte contre le terrorisme ne sera ni facilement ni rapidement gagnée, mais la place du droit dans cette lutte doit être prééminente.

Ne perdons pas de vue que la réponse au terrorisme réside, à long terme, dans des remèdes aux insupportables déséquilibres sociaux, économiques et politiques qui enfoncent les quatre cinquièmes de l'humanité dans la pauvreté. Je tiens beaucoup à ce que ce point ne soit pas perdu de vue quand on se propose de restreindre encore l'application de droits élémentaires, tels que les droits politiques.

Pour ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra sur ce texte.

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