Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, force est de constater que, pendant longtemps, on a reproché à la France d'avoir une des législations les plus sévères en matière de lutte contre le dopage. C'est vrai, et nous n'avons pas en rougir. Bien au contraire, sans faire preuve de chauvinisme, nous ne pouvons que nous féliciter de notre démarche avant-gardiste, anticipant le fléau mondial du dopage, et qui me conduit à penser que la France est belle et bien pionnière en matière de lutte contre le dopage.
M. le rapporteur a rappelé la loi Herzog de 1965, la loi Bambuck de 1989 et la loi Buffet de 1999.
Cette dernière fut adoptée avant même la création de l'Agence mondiale antidopage - en novembre 1999 - et l'élaboration du code mondial antidopage.
C'est cette même loi Buffet qui institua un dispositif complet et assez efficace de lutte contre le dopage pour répondre au double problème de santé et de tricherie. C'est elle qui créa le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage et le dota de prérogatives importantes, notamment en matière de sanctions.
Aujourd'hui, pour tenir compte des modifications intervenues au niveau international, avec la création de l'AMA et l'élaboration du code mondial antidopage, décidée par la déclaration de Copenhague et ratifiée par plus de 160 pays, dont la France, il nous faut adapter notre législation, si possible avant le 1er février 2006, c'est-à-dire avant l'ouverture des jeux Olympiques d'hiver de Turin.
Ainsi, ce projet de loi doit répondre aux engagements internationaux de la France en matière de lutte contre le dopage. Il doit, de plus, répondre aux souhaits du mouvement sportif français. L'harmonisation, nous direz-vous, est donc nécessaire. Soit !
Toutefois, il me semble que la ratification de la déclaration de Copenhague n'emporte aucun lien juridique, mais témoigne uniquement de la volonté des Etats signataires d'oeuvrer dans le sens des recommandations de l'AMA.
Et cette volonté existe en France depuis près de quarante ans. Dès lors, et notamment après que Paris n'a pas été retenu pour les jeux Olympiques de 2012, je tente de comprendre les éventuels intérêts d'une transposition en droit interne français des dispositions du code mondial antidopage.
Peut-être me direz-vous, monsieur le ministre, qu'il n'existe aucune relation entre l'adoption préalable de ce projet de loi, à l'unanimité, par l'Assemblée nationale et le choix de la ville olympique, choix que nous espérions tous, à l'époque, en faveur de Paris ?
Ayant effectué des recherches, j'ai constaté que notre législation antidopage est plus dure que celle de nombreux autres Etats signataires de la déclaration de Copenhague. Ce constat m'amène à formuler un voeu.
Je souhaite, monsieur le ministre, que vous nous assuriez que, avec cette harmonisation, cette mise en cohérence, la lutte contre le dopage sera menée sans relâchement en France. C'est plus qu'un voeu, c'est une exigence, car, au regard du projet de loi qui nous est soumis, et qui a été, il est vrai, adopté d'une façon assez consensuelle à l'Assemblée nationale, les craintes sont nombreuses.
Permettez-moi d'en citer quelques unes.
Tout d'abord, ce projet de loi n'apporte aucun crédit supplémentaire à la lutte contre le dopage : cette année, par rapport à 2002, les crédits sont même en diminution. Il semble qu'ils connaîtront le même sort en 2006 par rapport à 2005, puisqu'ils devraient atteindre 15 millions d'euros alors que, cette année, ils s'élèvent à 19, 3 millions d'euros. J'observe, par conséquent, une baisse des moyens, alors que le Gouvernement annonce une augmentation de 5 % des crédits affectés à la lutte contre le dopage. Mais vous allez sans doute encore me répondre que cela relève d'une « mauvaise interprétation » de la part de l'opposition socialiste...
Je reconnais d'ailleurs que cette crainte pourrait être injustifiée si je m'en tenais au rapport général n°74 que mon ami Michel Sergent a fait, au nom de la commission des finances du Sénat, lors de l'examen de la loi de finances de 2005.
En effet, dans ce rapport, il affirmait que les moyens budgétaires liés à la lutte contre le dopage augmenteraient de 7 % en 2005, au profit notamment des contrôles inopinés et du rôle exercé par le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, Conseil mieux reconnu aujourd'hui, disait-il, au-delà de nos frontières.
Cela m'amène à formuler ma deuxième crainte : le transfert des responsabilités de l'Etat à une agence indépendante, l'AFLD, est discutable et peut s'inscrire dans une logique de démembrement du service public et de désengagement de l'Etat.
En effet, cette agence, qui est appelée à se substituer au CPLD, va être dotée de la plupart des pouvoirs en matière de prévention et de lutte contre le dopage, pouvoirs qui étaient jusqu'ici partagés entre le ministère, les fédérations et le Laboratoire national de dépistage du dopage de Châtenay-Malabry.
On assiste à une véritable concentration des pouvoirs entre les mains de cette agence, qui dès lors va diligenter les contrôles, analyser les prélèvements et prononcer les sanctions.
Certes, me direz-vous, monsieur le ministre, la structure de cette agence apporte plus de souplesse en termes de financement public. Mais cette souplesse ne saurait prévaloir sur le principe juridique qui interdit que l'on soit juge et partie. Or, de fait, par les compétences qui lui seront dévolues, cette agence deviendra, en matière de lutte contre le dopage, juge et partie.
Dans ce projet de loi, les fédérations internationales sont les maîtresses du jeu, ce qui suscite quelques craintes. En effet, contrairement au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, l'AFLD ne pourra plus intervenir sur les compétitions internationales organisées en France, sauf à la demande de ces mêmes fédérations. Est également facteur d'inquiétude le fait qu'aucune référence au traitement pénal du dopage ne figure dans le texte, même s'il est vrai que cela a été le cas dans la précédente loi.
Enfin, nous nous interrogeons au sujet de certaines mesures relatives à la lutte contre le dopage, en particulier sur l'introduction du dispositif des autorisations d'usage thérapeutique, les AUT, des produits interdits. Un athlète malade lors d'une compétition peut effectivement éprouver des difficultés pour se soigner, mais, avec les AUT, la prise de produits dopants dans le cadre d'un traitement sera autorisée a priori et non plus a posteriori.
Jusqu'ici, l'incompatibilité de prescription médicale de certaines substances ou procédés et de la pratique sportive en compétition était une garantie, une sûreté contre le dopage, et le seul recours du sportif ayant absorbé une substance interdite, en cas de contrôle positif, était de faire prévaloir l'usage thérapeutique auprès des instances disciplinaires au titre de sa défense.
Cela n'était certainement pas satisfaisant dans la forme et faisait beaucoup sourire, mais aujourd'hui, en légalisant les AUT, on fragilise ce dispositif protecteur, l'Etat français étant dessaisi de toute prérogative en matière d'établissement des interdictions de produits dopants.
Nous regrettons que la commission des affaires culturelles n'ait pas retenu l'amendement par lequel nous proposions que tout sportif ayant subi une prescription de substances ou des procédés interdits soit considéré comme n'étant pas en état de participer à une compétition et se trouve automatiquement placé en situation de congé de maladie.
En effet, la légalisation des AUT risque, à elle seule, de compromettre la lutte exemplaire que mène avec rigueur notre pays depuis des années. Elle banalise l'usage de certains produits, peut permettre la tricherie et écorche l'éthique du sport, car rien n'est dit sur les surdosages éventuels, ni sur la manière de les contrôler.
Il vous appartient donc, monsieur le ministre, de nous apporter toutes les garanties face aux risques de dérives contenues dans ces procédures allégées d'autorisations d'usage thérapeutique, afin de préserver, notamment auprès de nos jeunes, l'image positive, éducative et sociale du sport, véritable facteur de cohésion sociale.
Je terminerai mon propos en abordant des points plus positifs.
Cette loi peut être une étape, si l'Etat s'engage davantage, pour que le sport conserve ses vertus en matière de santé, de bien-être individuel et de développement du lien social.
Nous sommes unanimes à dire que le sport doit être préservé des errements et des dérives qui ont fait la une de l'information ces dernières années, pour ne parler que des affaires connues et révélées au public.
Monsieur le ministre, les efforts que vous fournissez sur le plan non seulement français, mais également, et surtout, international, pour combattre le dopage, sont les bienvenus et nous les saluons.
Pour en revenir au projet de loi, le renforcement des contrôles inopinés, les contrôles en compétition mais aussi lors des entraînements, le suivi longitudinal permettant au médecin qui en est chargé d'établir un certificat médical de contre-indication à la compétition qui s'impose à la fédération concernée, l'obligation pour les sportifs s'entraînant en France de pouvoir être en permanence localisés et, enfin, le durcissement des conditions d'obtention d'un certificat médical permettant la pratique de telle ou telle discipline sont toutes des mesures indispensables.
En conclusion, j'en reviendrai à mon introduction : s'il a été reproché à la France d'avoir adopté une législation plus sévère que les autres pays, nous pouvons nous féliciter que cela ait pu aider ces derniers, qu'ils soient en Europe ou ailleurs, à entamer une lutte un peu plus sérieuse contre le dopage. Cependant, rien n'est jamais acquis en matière de dopage et il nous faudra être très pugnaces et très vigilants.
J'espère que l'harmonisation souhaitée au travers de ce texte ne mettra pas à mal l'avance que notre pays avait en ce domaine. Je partage, bien entendu, les craintes soulevées dans leurs interventions par le rapporteur, M. Alain Dufaut, et le président de la commission, M. Jacques Valade.