Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ce débat un peu haché, ne voulant pas répéter ce qu'a excellemment dit hier notre collègue Alain Vasselle, je présenterai les conclusions de mon contrôle sur l'informatisation du système de santé, laquelle constitue un enjeu clé pour l'avenir de l'assurance maladie.
Dans un premier temps, j'insisterai sur le caractère disparate de l'informatisation du secteur de la santé en France. Alain Vasselle l'a évoqué hier, lorsqu'il a abordé la situation des hôpitaux.
Certes, les professionnels libéraux sont majoritairement informatisés - 80 % à 85 % -, mais seulement 40 % à 60 % d'entre eux ont recours à un dossier informatisé. Ils sont peu à disposer d'un dossier patient réellement ouvert, communiquant et utilisant une application moderne. De plus, leur utilisation de l'équipement informatique est principalement orientée vers la transmission des feuilles de soins électroniques.
En outre, j'attire votre attention sur un enjeu essentiel pour l'avenir : le déploiement du haut débit. En effet, seuls 20 % des médecins généralistes y ont accès aujourd'hui. Ce propos, qui peut sembler hors sujet, est au contraire au centre de notre débat, car l'accès au haut débit, qui est encore relativement limité en France, peut gêner l'informatisation dans ce domaine.
Dans ce panorama, le point noir résulte incontestablement du retard des hôpitaux publics en matière d'informatisation. Si les hôpitaux, publics comme privés, couvrent globalement le domaine de l'informatique de gestion, leurs applications sont vieillissantes et peu intégrées. En revanche, le dossier patient et les processus de soins sont insuffisamment informatisés, notamment dans les établissements publics. Ainsi, seuls 20 % à 25 % des établissements publics disposent d'un dossier patient électronique.
De manière générale, les investissements informatiques des hôpitaux publics étaient estimés à 206 millions d'euros pour 2004, ce qui représente près de 5 % du total de leurs investissements.
Toutefois, cette donnée générale recouvre des situations différentes suivant les établissements considérés. Les centres régionaux de lutte contre le cancer consacrent ainsi en moyenne 2 % de leur budget d'exploitation à l'informatique ; les centres hospitaliers et universitaires, les CHU, 1, 5 % ; les centres hospitaliers ou participant au service public hospitalier, entre 1 % et 1, 5 %, tandis que la proportion du budget des cliniques privées consacrée à l'informatique est de l'ordre de 0, 5 % à 1 %.
Je souhaite souligner quelques réussites notoires, monsieur le ministre, comme l'hôpital européen Georges-Pompidou, dans lequel je me suis rendu, le CHU d'Amiens, l'Institut Gustave-Roussy ou encore le centre hospitalier d'Arras.
Si l'on effectue des comparaisons internationales, on remarque que la France se situe dans la moyenne des pays européens. Du point de vue du dossier patient, elle est en retard par rapport à ses voisins d'Europe du Nord, mais légèrement en avance par rapport à ceux d'Europe du Sud.
En revanche, les Etats-Unis sont, là encore, très en avance sur ce sujet : la moyenne des budgets des hôpitaux universitaires consacrée au système d'information varie entre 2, 5 % et 5 %.
Ce contrôle m'a permis de mettre en évidence les principales faiblesses des systèmes d'information du secteur de la santé en France, qui sont au nombre de cinq.
Premièrement, l'insuffisance du pilotage global, les responsabilités étant éclatées entre une administration centrale sous-dotée en effectifs, des missions spécialisées et des structures annexes.
Deuxièmement, le retard des établissements publics de santé, notamment lié à l'absence, jusqu'à présent, de prise en compte du caractère stratégique des systèmes d'information et de leur nécessaire médicalisation.
Troisièmement, le cloisonnement des systèmes d'information, caractérisé par l'absence d'interopérabilité de ces systèmes, d'une part, au sein d'un même hôpital, d'autre part, entre les hôpitaux et, enfin, entre la médecine de ville et les établissements de santé.
Quatrièmement, la faible normalisation internationale des systèmes informatiques.
Cinquièmement, l'inadaptation de la formation des professionnels de santé aux enjeux de l'informatisation.
Cependant, plusieurs réformes structurantes pour les systèmes d'information ont été engagées récemment, ce dont il faut se féliciter.
Je voudrais ici relever deux points.
En premier lieu, le plan d'aide à l'investissement hospitalier « Hôpital 2007 » comprend 275 millions d'euros sur cinq ans pour les systèmes d'information, soit 3 % seulement du total des crédits du plan. Ces aides sont concentrées sur quelques projets, notamment ceux de l'assistance publique-hôpitaux de Paris, l'AP-HP, et la consommation des crédits paraît encore largement insuffisante.
En second lieu, la mise en oeuvre de la tarification à l'activité, la TAA, contribue également à bouleverser le contexte informatique des établissements de santé, de même que la généralisation du dossier médical personnel, le DMP. Je m'attarderai maintenant sur ce dernier point.
Monsieur le ministre, la tarification à l'activité qui a été retardée dans les hôpitaux publics jusqu'en 2012 - certains demandent même une pause - me semble inquiétante. Elle me paraît indispensable pour améliorer la maîtrise des dépenses de santé, en particulier les dépenses hospitalières, qui représentent, comme Alain Vasselle l'a précisé hier, près de 55 % des dépenses de santé.
En effet, la mise en place du DMP révèle les carences des systèmes d'information et de leur pilotage.
L'organisation pour aboutir à une généralisation du DMP à la mi-2007 - c'est, je crois, ce que souhaitait M. le ministre de la santé et des solidarités - a tardé à se mettre en place. Ainsi, la constitution d'une structure ad hoc - le groupement d'intérêt public de préfiguration du dossier médical personnel, le GIP de préfiguration du DMP - n'est intervenue que huit mois après le vote de la loi et n'a pas été accompagnée d'une réflexion sur le rôle des nombreuses structures existantes.
Le GIP de préfiguration du DMP a élaboré un calendrier en quatre phases devant conduire à une généralisation du déploiement du DMP à partir du 1er janvier 2007 pour tous les patients de plus de seize ans.
J'observe toutefois que plusieurs questions stratégiques restent sans réponse. Peut-être profiterez-vous de ce débat, monsieur le ministre, pour apporter les précisions nécessaires.
Premièrement- je pose cette question lancinante depuis plusieurs mois -, la définition du contenu concret du DMP soulève de réelles difficultés.
Deuxièmement, quelle est l'articulation entre le DMP et le projet de « web médecins » développé par la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, qui devrait permettre aux médecins de consulter l'historique des remboursements des soins et prestations versés à chaque patient ?
Troisièmement, la maîtrise du patient sur son dossier soulève la question de la fiabilité des données stockées. Les médecins n'utiliseront le DMP que si celui-ci retrace réellement les affections du patient.
Quatrièmement, le cadre géographique de mise en oeuvre du DMP n'est pas encore pas défini.
Cinquièmement, enfin, les différents acteurs doivent être convaincus de la pertinence du projet, ce qui constitue un enjeu majeur. Même M. Dominique Coudreau, le président du conseil d'administration du groupement d'intérêt public de préfiguration du dossier médical personnel, que j'ai reçu, nous a avoué ne pas en être convaincu !
Pour toutes ces raisons, la généralisation d'un dossier médical personnel substantiel, d'ici au mois de juillet 2007, paraît irréaliste, monsieur le ministre. Cela n'est pas seulement ma position personnelle, c'est aussi celle de la plupart de mes interlocuteurs, notamment le directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins de votre ministère. Celui-ci estime que « la généralisation d'un dossier structuré assez complet demandera vraisemblablement une dizaine d'années. On peut cependant viser pour l'horizon 2007 un déploiement significatif d'un DMP simple, voire rustique, pour plusieurs millions de patients ».
Il convient donc d'en tenir compte dans la conception du projet.
S'agissant du coût et des retombées de ce projet, j'observe que le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale ne permet pas réellement d'identifier les sommes consacrées au développement du DMP, les besoins étant estimés à 100 millions d'euros. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement en conséquence.
En outre, des doutes demeurent sur le coût de fonctionnement de ce dossier en régime de croisière. En effet, il serait compris entre 10 euros et 20 euros par dossier actif et par an - ce n'est pas contestable -, soit entre 600 millions d'euros et 1, 2 milliard d'euros au total. Les dépenses induites pour les hôpitaux sont évaluées à 100 millions d'euros en investissements et à 300 millions d'euros en exploitation, même si ce coût variera en fonction des établissements.
Le coût pour la médecine de ville reste difficile à évaluer. J'estime qu'il sera nécessaire de prévoir une aide en direction des médecins pour assurer le développement de ce projet.
Enfin, je constate que les économies potentielles demeurent floues et il ne m'a pas été possible d'établir un bilan coûts-économies.
J'en viens maintenant à mon analyse de l'expérience britannique d'informatisation du système de santé. Mon séjour à Londres m'a, en effet, permis de me rendre compte des erreurs du projet français.
Le projet anglais a été conçu dès 1998, pour aboutir en 2010. Je souhaite souligner l'importance du contexte politique anglais, marqué par la nécessité d'améliorer la qualité des soins, ce qui, jusqu'alors, n'était pas évident. En effet, les maladies nosocomiales sont nombreuses et on constate 10 % d'erreurs médicales.
Le projet britannique repose donc, premièrement, sur un doublement des dépenses informatiques ; deuxièmement, sur la définition, au niveau central, de standards nationaux pour la diffusion des données informatiques et l'équipement en matériel informatique ; troisièmement, sur la définition d'un programme national d'informatisation destiné à mieux maîtriser le développement généralisé des nouvelles technologies dans le secteur de la santé.
Il s'agit donc d'un programme global, qui inclut, outre le dossier médical personnel, des systèmes électroniques de prise de rendez-vous et de stockage numérique des images.
Le projet a été ciblé sur la seule Angleterre et cinq régions ont été définies au préalable, afin de limiter le risque de défaillance d'un système ou d'un industriel. En outre, le fichier central de données ne comprend qu'un résumé des informations médicales consignées par les médecins généralistes, que l'on appelle couramment les « GPs ».
J'ai été frappé de voir que ce projet s'appuie sur une véritable volonté politique se déclinant au niveau administratif. En effet, une véritable « task force » administrative a été mise en place au sein du NHS - National Heath Service - le ministère de la santé britannique, puis une agence ad hoc a été créée.
La mise en oeuvre du programme britannique suit un cap clair et s'échelonne jusqu'en 2010. Toutefois, un retard d'environ dix-huit mois est d'ores et déjà envisagé.
Les personnes que j'ai rencontrées au Royaume-Uni ont souligné l'importance, d'une part, du travail de réflexion préparatoire pour aboutir à un cahier des charges valide sur le long terme, d'autre part, des campagnes de communication pour obtenir l'adhésion des patients comme des professionnels de santé.
Enfin, monsieur le ministre, je souhaite insister sur le fait que le projet britannique bénéficie de moyens importants, puisqu'un investissement de 6, 2 milliards de livres sterling, soit 9, 3 milliards d'euros, est prévu d'ici à 2010 pour les seules « dépenses centrales », tandis que les « dépenses locales » sont évaluées à un milliard de livres sterling par an pour l'ensemble du NHS. Je souhaite également souligner un élément très intéressant du projet britannique : les industriels ont été mis « sous pression », le NHS ayant obtenu une baisse de 60 % du prix de leur demande initiale et imposé le principe du « payment on reward », c'est-à-dire on ne paie pas pour voir, mais on paie quand le travail est fait, ce qui n'est pas tout à fait ce que nous avons choisi.
Pour conclure, je pense qu'il est temps que le Gouvernement prenne la mesure des enjeux, clarifie ses orientations ainsi que le calendrier de mise en oeuvre du DMP - si tant est que l'on veuille un véritable DMP - et s'inspire sur ce point, ce qui n'est pas forcément ce que je souhaiterais pour d'autres choses, du modèle britannique.
Il faut surtout garder à l'esprit que l'informatisation du système de santé permettra, d'abord, d'améliorer la qualité du système de santé, ce qui se traduira, ensuite, j'en suis persuadé, par des économies, ce que nous souhaitons tous.
Je vous proposerai, au cours de la discussion des articles, divers amendements qui permettront de décliner mes principales propositions.