Deuxième problème : un tel moyen de se procurer des recettes est, par construction, exceptionnel et non reconductible. Or c'est de recettes pérennes que notre système de santé a besoin.
Continuons avec le nouveau système de compensation des allégements de cotisation sociale. Celui-ci a pour objet de substituer à la subvention globale de l'État le produit de pas moins de neuf taxes et droits : droits sur les alcools, taxes sur le tabac, taxes sur les primes d'assurance automobile, droits sur les bières et boissons non alcoolisées, etc.
Derrière cette mesure technique, le Gouvernement vise à faire prendre en charge, par la sécurité sociale, le coût de sa politique d'allégement de cotisations sociales. Le manque à gagner pour l'assurance sociale dépendra du choix du montant et de l'étendue des allégements décidés par l'État.
L'État fait donc là une excellente affaire. En effet, les recettes de ces taxes ne sont pas très dynamiques : en substituant à une dépense budgétaire lourde, résultant de sa politique de l'emploi, une recette moindre et déconnectée de ladite politique, l'État diminue ses charges et s'exonère de ses responsabilités. Au mieux, une telle décision aggrave les problèmes de trésorerie, au pire, elle accroît le déficit, faute de recettes.
Terminons avec votre proposition d'augmenter la contribution des laboratoires pharmaceutiques, assise sur leur chiffre d'affaires de 2006, en portant le taux de 0, 6 % à 1, 96 %. Voilà enfin une mesure qui étendait à d'autres acteurs que les assurés sociaux la participation au financement de notre système de santé !
Mais si, pour les assurés sociaux, les déremboursements et hausses de cotisation s'inscrivent dans le temps, la participation de l'industrie pharmaceutique se fait à titre exceptionnel et pour une année seulement. Cela devait sembler encore trop aux plus ardents partisans de la privatisation de la santé, à savoir les députés de votre propre majorité, qui ont réduit le taux de cette taxe à 1, 5 %.
Il vous a fallu, monsieur le ministre, faire preuve de beaucoup de conviction pour amener votre majorité à revenir sur cette décision, ici même, lundi soir.
Pendant ce temps, l'inégalité d'accès aux soins ne cesse de s'aggraver, le rôle des assurances complémentaires de s'étendre, la qualité des soins de s'amoindrir...
Quoi de plus significatif que la question de l'instauration du ticket modérateur de dix-huit euros pour les actes médicaux de plus de quatre-vingt-onze euros. Comme lors de l'institution de la franchise d'un euro sur tous les actes, le Gouvernement développe et poursuit sa logique de partage des coûts de la santé entre l'assurance maladie et les patients.
Que l'augmentation de ce qui reste à la charge des patients puisse être susceptible, à terme, de freiner l'accès aux soins, le Gouvernement refuse de l'entendre : les complémentaires paieront ! Tel est son credo.
C'est oublier que les complémentaires répercuteront l'augmentation de leurs charges sur les cotisations, ce qui ne sera pas sans effet sur le niveau de couverture choisi par les patients, voire à terme sur leur capacité à payer une mutuelle. C'est oublier également que, s'agissant des actes de plus de quatre-vingt-dix euros, on est rarement dans la médecine de confort !
Si certains actes étaient pris en charge à 100 %, c'est qu'ils relevaient pour la plupart d'interventions lourdes et concernaient des risques importants. En introduisant un ticket modérateur pour ces actes et en en faisant supporter le coût aux assurances complémentaires, vous introduisez les complémentaires dans ce qui était jusqu'alors le régime de base. C'est le principe d'une co-intervention des régimes obligatoires et complémentaires, indépendamment de la nature du risque, qui est promu par ce biais.
Sachant que l'économie attendue - 100 millions d'euros - est dérisoire, on peut se demander pourquoi le Gouvernement, après avoir maladroitement essayé de passer sous silence cette décision, l'a défendue envers et contre tous.
Vous avez ainsi provoqué le désaveu du conseil de l'assurance maladie, l'exaspération des partenaires sociaux, la colère de la mutualité et l'incompréhension de l'opinion publique.
Cette mesure prouve que l'objectif du Gouvernement n'a jamais été de maîtriser la dépense médicale totale, mais seulement de réduire la part prise en charge par le régime de base, dont le financement repose sur la solidarité. Ce n'est donc pas son rapport financier qui en fait la valeur aux yeux de la droite, mais c'est son caractère symbolique.
À ce titre, un autre aspect de cette même politique jette le doute sur la volonté de mettre en place une véritable politique de maîtrise médicalisée des dépenses. Ainsi, par exemple, les augmentations tarifaires consenties aux médecins n'ont pas donné les résultats que l'on était en droit d'attendre en matière de diminution des prescriptions.
La Cour des comptes, dans son dernier rapport, indique que le niveau élevé de consommation médicale de la France par rapport à ses voisins ne se justifie pas par une nécessité médicale particulière. Aussi bien en termes de niveau que de contenu des prescriptions, le fait est constaté. Or, une réduction significative du déficit de l'assurance maladie pourrait être obtenue par une diminution de ces dépenses. Les économies potentielles sont chiffrées entre cinq et six milliards d'euros. Le moins que l'on puisse dire est que nous sommes loin du compte !
Nous sommes loin du compte parce que vous n'êtes pas très exigeant en matière de contrepartie vis-à-vis des médecins et, quand vous leur en demandez, cela rapporte plus aux acteurs médicaux que cela ne leur coûte.
La hausse de la consultation à vingt euros en 2002, par exemple, s'était accompagnée de l'engagement d'une prescription accrue de génériques. Cette hausse de la consultation a coûté entre 300 et 400 millions d'euros, mais les économies réalisées grâce aux génériques n'ont été que de 70 millions d'euros.
De plus, le pharmacien pouvant jouer un rôle de substitution, il est difficile d'évaluer la part liée au changement de comportement des médecins. D'après la Cour des comptes, elle n'est pas significative : « Au total, les actions visant à modifier les comportements par le biais de la rémunération se soldent par un échec. Ni l'objectif financier ni celui de santé publique ne sont atteints. »
La conclusion du rapport sur ce point est d'ailleurs d'une limpidité rare : « Les négociations font aujourd'hui prévaloir la satisfaction de revendications financières, l'objectif de qualité et de changement des pratiques leur servant la plupart du temps d'alibi. L'effet d'annonce et l'intérêt immédiat de faire aboutir une négociation l'ont presque toujours emporté sur les objectifs de fond et de long terme. » C'est la Cour des comptes qui s'exprime.
Les accords de bon usage des soins illustrent cet échec. À l'exception de celui relatif aux antibiotiques, les autres n'ont servi qu'à entériner des pratiques existantes et à justifier des revalorisations tarifaires.
Que dire aussi des contrôles qui se durcissent envers les assurés sociaux, mais qui semblent à peine concerner les médecins. Non seulement ceux-ci sont très rarement contrôlés, mais lorsqu'ils le sont, toujours selon la Cour des comptes, « les caisses manifestent une certaine réticence à mener à terme les procédures pouvant aboutir à des sanctions ».
Pour finir, enfin, quel dommage qu'une profession, qui, bien qu'ayant la chance de connaître des progrès et des avancées scientifiques notables, ne se préoccupe pas de formation professionnelle continue ! La formation ne concerne que 9 % des professionnels libéraux et est financée massivement par les laboratoires. Légalement obligatoire, la formation continue reste l'angle mort de la médecine de ville.
Monsieur le ministre, ne serait-il pas temps d'associer plus étroitement les médecins au sauvetage de notre système et de renverser quelques vaches sacrées, comme la tarification à l'acte et la liberté totale d'installation, au lieu de ne viser qu'à une maîtrise comptable des résultats sur le dos des assurés sociaux ?
Aujourd'hui, des pans entiers de notre territoire sont en train de devenir des déserts médicaux, remettant en cause, de fait, l'égalité d'accès aux soins. Les mesures incitatives contenues dans ce projet de loi ne sont pas à la hauteur des besoins et des injustices constatés.
Un débat sur la formation des médecins, la règle du numerus clausus et la liberté totale d'installation des médecins s'imposent, comme s'impose également l'évolution de la rémunération des professions de santé. Le système actuel de paiement à l'acte a fait la preuve de sa dérive inflationniste. Il est temps de réfléchir à des solutions mixtes ou forfaitaires, notamment dans le cas des affections de longue durée.
Enfin, je voudrais dire quelques mots sur l'hôpital. Nul n'ignore ici l'ampleur des difficultés financières qu'il rencontre, encore moins l'utilité des services qu'il rend et surtout le symbole qu'il incarne en termes d'égalité d'accès aux soins comme de qualité des soins dispensés.
Or, avec une augmentation de l'ONDAM des dépenses hospitalières estimée à 3, 44 %, alors que les représentants des hôpitaux la chiffrent à 4, 32 % à effectif et moyens constants, l'hôpital public est loin de trouver les moyens de sortir de la crise !
Dans les prévisions actuelles, le seul glissement vieillesse technicité suffit à absorber l'augmentation envisagée. Quasiment rien n'est prévu pour faire face à l'augmentation des charges liées au développement de l'innovation médicale et à l'arrivée sur le marché de médicaments de plus en plus coûteux. Rien n'est prévu pour faire face à l'augmentation du coût de l'énergie, ni pour régler les problèmes liés à la pénurie de personnel.
Quant au différentiel de 1 % entre les calculs des représentants des professions hospitalières et les prévisions du Gouvernement, il se traduira par la continuation des reports de charges d'une année sur l'autre. En poussant ainsi la dette devant soi, on peut cacher temporairement la misère, mais la réalité du déséquilibre s'accroît. Il est vrai qu'il n'y a pas là de quoi faire peur à un gouvernement qui vient de transférer à la CADES un peu plus de 35 milliards d'euros de dettes cumulées pour l'exercice 2002-2004 ! Ce transfert, qui ne concerne que la branche assurance maladie, monte à plus de 100 milliards d'euros la dette sociale que gère la CADES.
Autre motif qui nous cause de l'inquiétude, la volonté exprimée par la droite libérale d'accélérer la mise en place de la tarification à l'activité pour les hôpitaux, non pas pour mieux connaître l'architecture des dépenses et travailler à des réformes basées sur des informations fiables, mais pour accélérer la convergence tarifaire entre le public et le privé.
En effet, la Cour de comptes a émis de sérieuses réserves sur la façon dont l'ONDAM et ses sous-objectifs étaient définis, indiquant que « la régulation efficace des dépenses d'un secteur de la santé est difficile, si l'enveloppe de ces dépenses n'est pas correctement identifiée ». D'autres voix se sont fait entendre pour s'étonner que l'enveloppe consacrée aux dépenses hospitalières ne distingue pas le public du privé.
Enfin, dans son rapport, la Cour des comptes a mis en évidence les dérives financières constatées pour les cliniques privées depuis la mise en place, en 1992, du système de la tarification à l'activité dans ce secteur.
Le système reposait sur une régulation a posteriori des tarifs : si le secteur faisait plus d'actes que prévu, les tarifs devaient baisser afin que la dépense globale soit toujours maîtrisée. Hélas, les ajustements tarifaires destinés à contenir la progression en volume n'ont pas eu lieu ! Ce système s'est donc révélé très inflationniste et peu maîtrisé. À cette aune, on comprend difficilement la volonté de ce gouvernement d'aller à marche forcée vers la tarification à l'acte dans le public, alors que le bilan en termes de maîtrise médicalisée des dépenses laisse pour le moins dubitatif.
Mais ce qui inquiète le plus les personnels et les gestionnaires des hôpitaux publics, c'est la volonté affichée de faire converger dans les délais les plus brefs les tarifs des cliniques et ceux des hôpitaux.