Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 27 juin 2005 à 15h00
Convention des nations unies contre la corruption — Adoption d'un projet de loi

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ayant signé la convention des Nations unies contre la corruption, à Mérida, dès le premier jour de son ouverture à la signature, le 9 décembre 2003, la France est impliquée dans « le groupe des amis de la convention ». Son rôle, lorsque ce traité sera ratifié, sera de promouvoir la convention dans le monde, dans le cadre du G8, et de veiller à l'équilibre relatif des signataires quant à leur situation géographique et à leur niveau de développement.

Puissance européenne, patrie de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la France s'est toujours posée en garante des droits de l'homme et de l'état de droit dans le monde. Ces deux notions vitales, consubstantielles à la démocratie, sont encore aujourd'hui mises à mal, comme la démocratie d'ailleurs, dans un certain nombre d'Etats - dans des pays en développement, des démocraties naissantes, bien sûr, mais pas uniquement - par un mal qui la ronge : la corruption.

Attachée à la promotion de la démocratie dans le monde, il était normal que la France souhaite s'engager plus avant dans la lutte contre la corruption. L'entrée dans l'Union européenne d'un Etat candidat est en partie subordonnée à sa capacité à endiguer la corruption, qui nuit à son développement économique, à l'instauration de l'état de droit - il dépend, en particulier, du bon fonctionnement de sa justice - mais aussi, et prioritairement, à la promotion de la justice sociale.

Comme l'a relevé M. le rapporteur, la lutte contre la corruption a été au coeur d'un grand nombre d'actions au sein de plusieurs organisations régionales ou regroupement d'Etats - l'OCDE, le Conseil de l'Europe, dont je suis membre, l'Union européenne, l'Organisation des Etats américains, l'Union africaine - cherchant à stabiliser leur territoire et à y instaurer durablement paix et démocratie. Cette lutte a donc donné naissance à une législation florissante et à des instruments variés, qui ont permis de mettre en place de nombreux outils à l'efficacité très variable et, parfois, relative.

Néanmoins, force est de constater que, comme le terrorisme, la corruption n'a pas de frontières et utilise même cette caractéristique comme un atout face à des Etats dont la capacité à agir dépend très largement de la coordination de leurs efforts. Les Nations unies ont donc choisi d'inscrire la lutte contre la corruption, qui est nuisible à l'état de droit et à la démocratie, dans la liste de leurs objectifs. Complémentaire à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée adoptée en 2000, la présente convention est un nouvel instrument dont la portée est plus globale. Elle traite pour la première fois tous les aspects de la corruption.

Le texte qui nous est soumis prévoit en effet un grand nombre d'instruments visant à créer des normes universelles d'investigation afin de pouvoir sanctionner le phénomène, en particulier en harmonisant les règles de droit et de procédure pénale pour permettre une coopération internationale accrue. La convention comporte également un volet prévention, qui s'attaque aux ferments mêmes de ce mal, dont le contexte est clairement déterminé.

Au coeur de ces mesures, le chapitre IV de la convention réaffirme les principes de la coopération internationale en matière pénale. Les Etats parties doivent se prêter mutuellement assistance dans les enquêtes et les procédures concernant les affaires civiles et administratives relatives à la corruption. Ils doivent coordonner leurs procédures judiciaires, d'enquêtes, prévoir des accords d'extradition et de transfèrement des personnes condamnées, d'entraide judiciaire ou de coordination entre les services de détection et de répression.

En matière de prévention, la convention impose aux Etats parties, par le biais de directives, la mise en oeuvre d'un certain nombre de mesures qui concernent tant le secteur public que le secteur privé et qui sont les garanties de base de l'instauration de l'état de droit : transparence et objectivité des règles de recrutement ; code de conduite pour les fonctionnaires et les entreprises ; principes de base visant à renforcer la transparence et la responsabilité dans la gestion des finances, du financement des campagnes électorales - en France, nous y avons mis bon ordre - et des marchés publics, mais aussi de la comptabilité des entreprises ; enfin, prévention du blanchiment d'argent. L'instauration d'une législation très stricte dans le domaine de la commande publique revêt un caractère impérieux pour les Etats fragiles, afin qu'ils puissent maîtriser la passation des marchés publics.

En matière d'harmonisation des législations nationales visant à incriminer, à détecter et à sanctionner les délits en matière de corruption, le chapitre III de la convention est très précieux. Il prévoit en effet l'incrimination des faits de corruption active et passive et d'un ensemble de comportements liés, en particulier en ce qui concerne les agents publics, dont la définition est harmonisée.

La convention impose d'incriminer toute une série d'actes : corruption active d'agents publics étrangers et de fonctionnaires internationaux dans le cadre des transactions commerciales internationales, détournement de biens par un agent public, blanchiment de produits de crimes ou encore entrave au bon fonctionnement de la justice.

Il faut tout de même regretter que certaines dispositions d'incrimination, bien qu'importantes, restent facultatives : elles concernent, en particulier, le trafic d'influence, l'abus de fonctions, l'enrichissement illicite, la corruption privée ou encore la soustraction de biens dans le secteur privé et le recel. Tous ces délits font déjà l'objet de poursuites dans les Etats les plus avancés. Il est dommage que cela ne soit pas le cas dans les autres pays et que ces dispositions ne soient pas élevées au niveau de la norme internationale.

Enfin, mesure centrale et, selon moi, principale innovation de la convention, le chapitre V aborde la question de la restitution des avoirs, que vous avez évoquée, monsieur le rapporteur. Le principe de restitution est pour la première fois consacré en droit international. Il vise à permettre à un Etat ayant formé la demande de coopération de récupérer les produits des infractions de détournement de fonds publics et de blanchiment de ces fonds.

Cette mesure a été fortement défendue par la France, qui répondait à la demande des pays du Sud. En effet, l'évasion des fonds de leur territoire constitue un manque à gagner parfois considérable pour leur économie, enrichissant d'autres états et pénalisant ainsi très lourdement leur développement. Or, celui-ci figure désormais, rappelons-le, parmi les objectifs prioritaires de la France, de l'Union européenne et des Nations unies pour ce millénaire.

Ce texte va dans le bon sens ; il permet un grand nombre d'avancées pour l'établissement stable de l'état de droit dans le monde, primordial pour une mise en oeuvre durable de la paix, ainsi que la promotion des valeurs universelles au fondement de la démocratie que nous ne pouvons que soutenir. C'est pourquoi les membres du groupe de l'Union centriste-UDF voteront ce projet de loi en vue d'une ratification, que nous espérons rapide, de la convention.

Aucun des articles de ce texte n'est malheureusement d'application directe, madame la ministre. Par conséquent, la valeur de cette convention dépendra très largement de la capacité de la société internationale à la promouvoir et à la faire appliquer. La France a le devoir et la responsabilité de se donner des moyens qui soient à la hauteur de cette ambition.

Espérons enfin qu'un certain nombre d'Etats dans lesquels la démocratie reste fragile, voire est en danger, traduiront la ratification de la convention par une évolution positive de leur droit, par le biais d'une transposition fidèle et malgré une lacune flagrante du texte qui ne prévoit pas de mécanismes de vérification et de suivi suffisamment contraignants.

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