Intervention de Guy Fischer

Réunion du 27 juin 2005 à 15h00
Services à la personne et mesures en faveur de la cohésion sociale — Question préalable

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Quant aux acteurs syndicaux, ils évoquent la nécessité de faire passer à temps plein des salariées trop souvent employées à temps partiel. Par ailleurs, pour créer ces emplois, vous préconisez la baisse du coût du travail non qualifié pour créer des emplois dans les services. Les gouvernements américains successifs ont certes appliqué cette recette depuis trente ans, mais cela a conduit à un autre record du monde développé : celui du taux de « salariés pauvres ». Or ce taux bat des records précisément dans les services dont on nous propose l'expansion prioritaire.

Il serait donc intéressant de savoir combien d'emplois « équivalents temps plein » vous escomptez avec cette initiative. Les analyses montrent qu'en Europe le type d'emploi que vous entendez développer représente environ huit heures de travail, en moyenne, par semaine. Cela nous donnerait, sur les 500 000 emplois dont vous parlez, environ 100 000 emplois équivalents temps plein. Et cela sur trois ans...

Rien ne sert d'annoncer des chiffres exorbitants. La lutte contre le chômage ne se fait pas par effets d'annonces. Vos objectifs s'en tiennent globalement à la dimension purement quantitative du problème. Or le problème est aussi - et peut-être même surtout - qualitatif.

Une étude de la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, réalisée en 2003 sur les emplois familiaux montre que le salaire horaire brut moyen n'est que très légèrement supérieur au SMIC, pour des activités exigeant pourtant des compétences réelles et variées, notamment de la disponibilité et de l'attention. Pis, jusqu'à l'accord de branche signé en mars 2002, les taux de rémunération horaires étaient sensiblement inférieurs au SMIC. D'ailleurs, les dispositions de cet accord ne sont encore, à notre sens, que trop faiblement appliquées.

Ensuite, à la faiblesse des taux horaires s'ajoute l'ampleur prise par le travail à temps partiel dans ce secteur, ce qui exerce une forte pression à la baisse sur les salaires. En effet, l'important développement du travail à temps partiel des femmes au cours des vingt dernières années s'est concentré notamment sur ce secteur d'activité, en particulier parmi les assistantes maternelles et les aides familiales. Or, qui dit temps partiel dit aussi assurance chômage partielle, retraite partielle, etc.

En conséquence, on observe dans ce secteur d'activité des salaires très faibles, comme pour les assistantes maternelles, dont le salaire net moyen est de l'ordre de 542 euros par mois.

Si vous continuiez à passer sous silence ces questions fondamentales d'emploi et de formation dans le secteur des services à la personne, très largement féminisé, vous ne manqueriez pas d'entériner, voire d'aggraver, les inégalités entre les femmes et les hommes sur le marché de l'emploi. Cela marquerait un pas supplémentaire vers la précarisation d'une partie de la main-d'oeuvre féminine, pourtant déjà largement victime d'un marché du travail où se développe l'emploi au rabais.

Ce n'est pourtant pas faute de répéter dans cet hémicycle que 80 % des emplois à temps partiel en France sont occupés par des femmes, que ces temps partiels sont, contrairement à une idée bien répandue, largement contraints et très peu souvent choisis, que le manque de formation et de reconnaissance de ces emplois du secteur des services à la personne nuit à la progression salariale et professionnelle des employées de ce secteur.

Alors même qu'une loi sur l'égalité professionnelle va être débattue ici dans les prochains jours - Mme la ministre y a d'ailleurs fait allusion -, on voit quel cas vous faites de ce problème de société. Où sera l'égalité salariale pour les salariées payées au SMIC horaire pour une vingtaine d'heures par semaine ? Où sont passés les engagements personnels du Président de la République en faveur de l'égalité professionnelle, proclamés en février dernier ?

Votre texte, par son manque d'ambition et ses silences inacceptables risque donc de renforcer la division sexuée du travail et la précarisation d'un nombre croissant de femmes dans notre société, au mépris de belles promesses que l'on peut soupçonner empreintes d'un peu d'électoralisme.

Le tableau sombre n'est pas terminé. Ainsi, les droits sociaux de la majorité des salariés du secteur sont inférieurs au droit commun. En effet, la règle la plus généralement utilisée consiste à calculer les cotisations applicables à la rémunération de ces salariés sur la base du salaire minimum, même si la rémunération effective des salariés est supérieure au SMIC !

Quelles que soient les caractéristiques, bonnes ou mauvaises, de la conjoncture économique, vous prétendez trouver des solutions techniques pour aider au « retour à l'activité » des exclus : contrat d'avenir, contrat d'accompagnement dans l'emploi, RMA, contrat initiative-emploi, etc. En réalité, ces contrats, annoncés comme novateurs, ne sont au final que des copies de contrats aidés actuellement existants, mais ils permettront de nouvelles subventions au patronat : par exemple, les contrats d'avenir sont un transfert au patronat des allocations du revenu minimum d'insertion et de l'allocation de solidarité spécifique.

Avec de telles dispositions, vous multipliez les statuts précaires pour des populations en grande difficulté. Pensez-vous, madame, monsieur le ministre, qu'une personne travaillant 26 heures par semaine payées au SMIC horaire puisse avoir suffisamment d'argent pour vivre, payer son loyer ou assurer l'éducation de ses enfants ? Pensez-vous que le contrat d'insertion-RMA, qui, avec ce projet de loi, va pouvoir revêtir la forme de travail temporaire, pourra avoir un quelconque effet de réinsertion professionnelle ? Avec de tels contrats prétendument sociaux, vous créez, parmi les 7 millions de chômeurs, allocataires des minima sociaux et salariés précaires de ce pays - mais c'est certainement votre but -, une véritable réserve de main d'oeuvre, maintenue dans une situation de pauvreté extrême et corvéable à merci. Il s'agit de faire baisser les statistiques du chômage, et donc d'exercer une pression de plus en plus forte sur les allocataires des minima sociaux, notamment.

Ce projet de loi s'inscrit dans la droite ligne du « plan de lutte contre le chômage » du Premier ministre, qui préconise comme solution une très forte pression sur les demandeurs d'emploi, considérés comme coupables de leur chômage. Ces sanctions contre les chômeurs qui ne manifesteraient pas des « actes positifs » de recherche d'emploi sont proprement inadmissibles et injustes. Elles servent uniquement à les inciter à reprendre n'importe quel emploi, même au rabais par rapport à leur qualification ou à leur salaire antérieur, sous peine de perdre leurs allocations ou de les voir diminuer.

C'est donc la logique du workfare qui tend à s'imposer, ou la contrepartie exigée en échange de toute allocation, comme on l'a vu avec la création du revenu minimum d'activité, visant à se substituer au RMI.

Aujourd'hui, alors que plus des trois quarts des embauches se font en CDD, que l'intérim s'étend, que le temps partiel imposé reste important, la norme salariale des trente Glorieuses est durablement, sinon définitivement, remise en cause : en recréant des contrats de courte durée tels que le fameux contrat d'avenir contenu dans ce projet de loi et en banalisant la précarité au lieu d'essayer de l'endiguer, vous entérinez la renonciation aux objectifs de plein emploi et d'« emploi convenable ». Il ne s'agit plus que chacun ait un emploi et un revenu décent avec une relative sécurité, mais il faut faire « tourner » les actifs dans de multiples dispositifs entre emploi et insertion et dans des sous-statuts d'emploi.

En somme, au lieu d'essayer de « moraliser » le marché du travail en limitant le recours abusif aux CDD et à l'intérim, ce projet de loi de cohésion sociale entérine son fonctionnement erratique, qui reporte la totalité des risques de la flexibilité sur les salariés sans leur assurer la moindre sécurité.

Le développement du travail de nuit et du travail le dimanche et les jours fériés pour les apprentis sont de bons exemples de cette régression sociale et historique ! En France, les premières manifestations du mouvement ouvrier ont cherché à interdire le travail de nuit des enfants et à limiter l'amplitude de leur journée de travail. L'Union européenne, en 1998, a déjà imposé en France le rétablissement du travail de nuit des femmes dans l'industrie alors qu'il était interdit depuis 1892 ! En 2005, en application du communiqué européen du 14 décembre 2004, on veut rétablir en France, sous couvert d'apprentissage, le travail de nuit pour les mineurs !

Face à ces constats d'insuffisance ou de silences inadmissibles de votre texte sur l'encadrement social de ce secteur d'emploi, et plus généralement sur le retour à l'emploi, une question se pose : votre principale préoccupation est-elle de créer des emplois susceptibles d'assurer une pleine citoyenneté sociale à nos concitoyens, ou de faire baisser, coûte que coûte, les chiffres du chômage pour pouvoir vous targuer d'efficacité au prochain rendez-vous avec le corps électoral ?

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