Intervention de Philippe Marini

Réunion du 11 décembre 2005 à 22h15
Loi de finances pour 2006 — Article additionnel après l'article 60 ter

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général :

Mes chers collègues, nous en arrivons au dispositif dit « Malraux », dont il sera également question, M. le président de la commission vient d'y faire allusion, lorsque nous examinerons l'article 61.

La commission des finances souhaite, dans un premier temps, traiter de la durée du régime Malraux - c'est l'objet de cet amendement - puis, dans un second temps, à l'article 61, du dispositif fiscal issu de ce régime.

Le régime Malraux, je le rappelle, consiste dans la faculté offerte au contribuable d'imputer ses déficits fonciers sur son revenu global, sans aucune des limitations applicables aux déficits fonciers de droit commun - il s'agit donc d'un régime très généreux ! - qui, pour leur part, ne peuvent s'imputer que sur les revenus fonciers des dix années suivantes, à l'exception d'un montant forfaitaire de 10 700 euros imputable sur le revenu global. Par conséquent, dans notre fiscalité, le régime Malraux est vraiment un régime d'exception.

C'est évidemment une niche fiscale et, monsieur le ministre, je suis assez surpris que l'on nous dise que son coût n'est pas évalué. Si vous avez la possibilité de nous donner des évaluations, elles seront les bienvenues.

Cependant, d'après quelques calculs approximatifs, il semblerait que ce régime ait concerné au total 4 000 à 5 000 créations de logements, représentant 147 millions d'euros de déficit foncier venant en déduction du revenu imposable.

Retenons donc, mes chers collègues, que ce régime est puissant et que ces logements coûtent vraiment très cher au contribuable. Il faut déjà avoir cela en tête.

Ce dispositif est par ailleurs indispensable pour accompagner la réalisation d'opérations de rénovation immobilière dans des conditions qui préservent la qualité architecturale et esthétique de zones urbaines dégradées.

De telles opérations sont nécessairement coûteuses à la fois pour les propriétaires et pour les collectivités et, dans beaucoup de cas, elles ne peuvent trouver leur équilibre sans une aide de la collectivité.

Il faudrait évidemment examiner ce que sont, concrètement, les différentes situations qui se présentent ici et là. Il est en effet des lieux historiques merveilleux auxquels correspond un marché immobilier prospère, voire très prospère. Sur un tel marché, les opérations peuvent se monter dans les conditions de la concurrence et sans appel à une aide de la collectivité. Néanmoins, dans beaucoup d'autres cas, j'en conviens, il n'en va pas de même.

Le régime Malraux tel qu'il a été conçu à l'origine s'applique dans quatre-vingt-quinze secteurs sauvegardés de quatre-vingt-dix villes. Il a ensuite été étendu aux zones de protection du patrimoine architectural urbain ou paysager, les ZPPAUP, dont près d'un millier ont été créées ou sont en cours de création.

Ceux qui ont mené de telles procédures savent qu'elles durent plusieurs années et exigent un recensement complexe avant de déboucher sur un arrêté préfectoral de création de ZPPAUP.

L'avantage fiscal, bien que lié à des opérations de rénovation qui ont par nature vocation à se terminer un jour, n'est pas limité dans le temps. Est-ce normal ? Telle est, monsieur le ministre, mes chers collègues, la première question qu'il convient de se poser.

Ce débat sur la loi Malraux a, paraît-il, enflammé quelques esprits à l'Assemblée nationale et a suscité l'envoi d'un courrier volumineux à un certain nombre d'entre nous.

Nous pouvons sans doute utiliser l'opportunité qui nous est donnée, à travers ce débat sur la loi Malraux auquel vous nous conviez par le biais du régime de plafonnement des niches fiscales, pour tenter d'adapter un régime dont l'institution est assez ancienne et qui mérite certainement d'évoluer.

La pérennisation d'avantages fiscaux appliqués à des secteurs qui sont entrés dans ce dispositif il y a près de quarante ans paraît a priori contestable. Ce n'est certainement pas ce qu'avaient voulu les auteurs de cette législation en 1962. Dans leur esprit, il s'agissait de protéger le patrimoine urbain, de sauver des îlots entiers de l'insalubrité et de réhabiliter les secteurs historiques des villes. Après vingt, trente ou quarante années d'opérations de réhabilitation, il serait quand même bien surprenant que l'on se trouve toujours dans la situation d'origine qui avait motivé la mise en place de ce dispositif fiscal exceptionnel.

Il semble à la commission que cette intangibilité du régime Malraux a abouti à concentrer des incitations fiscales fortes dans des secteurs où elles ne sont plus nécessaires à la mise en oeuvre des opérations, alors même que d'autres quartiers anciens, d'autres centres-villes continuent à se dégrader.

De notre point de vue, un meilleur « roulement » des incitations fiscales entre les secteurs sauvegardés et les zones de protection ainsi qu'une accélération des procédures de réhabilitation pourraient sans doute être obtenus en créant un état de nécessité lié à la disparition des incitations à l'issue d'un délai déterminé.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, la commission a réfléchi à un bornage dans le temps de ces incitations.

Nous voudrions que le dispositif Malraux cesse de n'être qu'un « petit créneau d'optimisation fiscale » et qu'il retrouve sa vocation d'origine : favoriser la mixité sociale et l'éradication de l'habitat indigne des centres-villes, tout en intégrant des considérations esthétiques et patrimoniales. Nous pensons en effet qu'une impulsion forte est toujours nécessaire en ce domaine.

Nous pensons aussi que, si l'on borne le régime dans le temps, s'il a une durée de validité limitée, les opérateurs et les investisseurs seront d'autant plus motivés à « pousser les feux » pour enclencher des opérations.

En vertu de cette analyse, la commission soumet au Sénat le présent amendement, qui vise à limiter à douze ans cet avantage fiscal que nous souhaitons voir désormais mieux partagé.

L'amendement prévoit des mesures transitoires pour les secteurs sauvegardés et les zones de protection déjà créées. C'est ainsi que, à la suite de discussions assez détaillées en commission, nous proposons un délai complémentaire de quatre années - une « fenêtre » de quatre années, en quelque sorte - pour les secteurs sauvegardés et les ZPPAUP dont la création remonte à douze ans ; pendant ces quatre années, lesdits secteurs et zones bénéficieraient toujours de l'incitation fiscale pour les dépenses engagées.

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