On pourrait s'étonner de me voir déposer un amendement identique à celui du groupe CRC. Pourtant, je ne vous avais pas caché, monsieur le ministre, que, s'il existait un article qui me déplaisait dans ce projet de loi de finances, c'était bien celui-ci.
Je n'adhère en aucune manière à cette idée selon laquelle, lorsqu'on prend une mesure susceptible toucher des contribuables d'une certaine partie du barème, il faut obligatoirement, comme par un effet de miroir, prévoir une mesure pour les foyers qui relèvent d'une autre partie du barème. C'est l'idée qui consiste à considérer que, si l'on prend une mesure pour faire en sorte que notre fiscalité ne soit pas confiscatoire, il faut à tout prix l' « équilibrer » par une autre mesure allant plutôt dans le sens inverse.
Moi, je ne veux pas m'excuser de voter une fiscalité qui ne soit pas confiscatoire ! Je réfute donc la logique à laquelle semble obéir cet article 61, et c'est la première raison du dépôt de cet amendement.
Finalement, dans nos assemblées, sinon par démagogie, au moins par faiblesse, quelquefois par égarement, on ne fait guère écho à la parole de ceux qui n'ont pas honte de ce qu'ils gagnent parce qu'ils travaillent beaucoup, parce qu'ils prennent des risques. Mais s'il n'en reste qu'un, j'essaierai de demeurer celui-là !
Monsieur le ministre, cet article, j'en suis convaincu, vous le regretterez. Comme je l'ai rappelé tout à l'heure, il y a dix ans, dans cet hémicycle, nous avons commis une faute à propos du plafonnement du plafonnement de l'ISF. Eh bien, ce soir, avec cet article, c'est la même mécanique infernale qui se met en branle. Vous la porterez comme une croix pendant dix ans. Et comme vous êtes jeune et que vous avez de l'avenir, je vous plains par avance du chemin de croix qui vous attend !
En vérité, ce dispositif est pervers. Soit il fallait tout mettre dans le périmètre, soit il ne fallait définir aucun périmètre. Dès lors que vous décidez d'y placer seulement certains dispositifs, vous allez subir sans cesse des pressions pour en inclure d'autres, et je ne serai pas le dernier à le faire dans la suite du débat... Vous avez été convaincu, avez-vous dit il y a un instant au président de la commission des finances, que les souhaits de nos collègues d'outre-mer étaient légitimes. Mais je suis sûr que les demandes que je vous présenterai tout à l'heure ne le seront pas moins !
En conséquence, soit vous commencez à accepter des exceptions, et alors vous êtes perdu, soit vous n'en acceptez pas et votre dispositif peut avoir une logique, même si j'ai dit tout à l'heure qu'elle m'échappait.
Car c'est une logique incompréhensible ! Je ne parviens pas à comprendre, en effet, comment l'Etat peut, d'une main, offrir un avantage fiscal à un contribuable pour le convaincre de réaliser une opération qui, sinon, ne serait pas dans son intérêt et, de l'autre, plafonner cet avantage, au risque de compromettre l'équilibre économique qui avait été recherché à l'origine.
Cette démarche me paraît tout à fait illogique au regard de la position du Gouvernement, mais on peut en dire autant de tous les gouvernements qui l'ont précédé et de ceux qui suivront.
Vous ne cessez de proposer, dans chaque texte, des mesures fiscales d'incitation. L'encre de la présente loi de finances ne sera pas sèche que d'autres dispositions fiscales seront proposées et adoptées !
Tout cela n'a strictement aucun sens, et c'est la deuxième raison qui m'a conduit à déposer cet amendement.
Enfin, cet article est totalement contre-productif, car il tend, au fond, à ouvrir un droit à déduction : tous les avantages fiscaux qui n'ont pas encore été inventés jusqu'à présent deviendront légitimes. On aura beau jeu de vous dire : « Monsieur le ministre, puisque vous aurez prévu un plafonnement, pourquoi ne pas accepter cette mesure d'incitation fiscale ? »
Par exemple, l'excellente mesure que j'ai proposée visant à reconstruire la génétique équine dans notre beau pays - les Irlandais nous ayant confisqué tous nos étalons - sera désormais légitime ! Vous m'avez demandé de retirer mon amendement et je l'ai fait, par faiblesse, mais la prochaine fois je ne le retirerai pas !
Je me résume donc : d'abord, en autorisant des exceptions, vous videz la disposition du peu de logique qu'elle avait ; ensuite, il n'est pas bon pour son image qu'un État retire d'une main ce qu'il a donné de l'autre ; enfin, en ouvrant un droit à déduction à tous les contribuables, vous légitimez par avance le dépôt d'innombrables amendements. Et alors, monsieur le président, il faudra que le Sénat siège vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par an !