Intervention de Dominique Voynet

Réunion du 7 mars 2006 à 21h30
Transparence et sécurité en matière nucléaire — Article 2 bis

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet :

Au cours de la discussion générale, j'ai eu l'occasion de décrire de façon assez approfondie les raisons pour lesquelles je considère qu'il est dangereux que l'État se dessaisisse de ses responsabilités en matière de sûreté nucléaire, notamment en termes de contrôle.

Madame la ministre, je ne suis pas convaincue par votre argumentation, et vous n'êtes pas convaincue par la mienne. Je ne vous infligerai donc pas, amendement après amendement, un raisonnement que vous ne partagez pas. En conséquence, s'agissant des amendements qui sont de pure cohérence d'un article à l'autre, M. Piras et moi-même dirons simplement qu'ils sont défendus, afin de gagner un temps qui est précieux pour chacun d'entre nous.

Je veux simplement dire qu'il est utile de réfléchir un moment sur les conséquences de la mise en place de la Haute autorité de sûreté nucléaire, notamment en cas de crise. En effet, il me semble que c'est dans ces situations critiques que pourrait être mise en évidence la difficulté pour le Gouvernement d'assumer pleinement ses responsabilités.

Comme je l'ai dit au cours de la discussion générale, la sûreté des installations nucléaires est une question extrêmement sensible en raison non seulement de l'importance des risques encourus, mais aussi de l'attention particulière qu'y porte le public. Chaque fois que des incidents ou des accidents se produisent - ce qui est relativement fréquent dans les industries à risque comme dans l'industrie en général -, le pouvoir politique est confronté aux interpellations des médias et des citoyens. Il doit donc répondre de façon claire, ne pas contribuer à accentuer le doute et prendre les décisions qui s'imposent pour la sécurité des installations, l'environnement et la protection des populations.

Je pourrais citer de nombreux exemples montrant la difficulté et la diversité des situations à gérer. Je me contenterai de prendre les cas dont j'ai eu à connaître afin d'éviter les extrapolations.

Je pense aux fuites radioactives sur des transports de combustibles irradiés en 1998. La procédure était inadaptée et a imparfaitement été mise en oeuvre.

Je songe également aux fissures dans le béton des enceintes de confinement de la centrale de Belleville en 1998. Nous avons alors été confrontés à un nouveau palier de centrale nucléaire et, finalement, à une technologie qui était en rodage.

Je peux aussi évoquer l'invasion de l'eau dans la salle des machines de la centrale du Blayais lors de la tempête de décembre 1999. Il s'agissait d'un événement climatique extrême, qui s'est déroulé à quelques jours du passage à l'an 2000, c'est-à-dire à un moment où l'on craignait le bug informatique.

Je pense enfin aux incidences des rejets radioactifs de l'usine de La Hague au moment de l'affaire du tuyau de l'anse des Moulinets avec ce que cela suppose d'inquiétude pour la santé des populations de la presqu'île du Cotentin.

Il est important de le savoir, à chaque fois, le pouvoir politique a été interpellé de façon très vive - et je vous ai vue froncer le sourcil cet après-midi quand j'ai évoqué ce fait, madame la ministre - et, à chaque fois, l'administration a tardé à communiquer les informations qu'elle distillait au compte-gouttes. Celle-ci considérait qu'elle était parfaitement apte à gérer la situation. Techniquement, c'était sans doute vrai. En revanche, politiquement, ce n'était pas le cas, car c'était bien le ministre de l'environnement qui était interpellé et qui devait donner des réponses techniquement crédibles et médiatiquement audibles.

Il me semble que les propositions que vous formulez, avec la mise en place d'une Haute autorité indépendante, sont de nature à rendre les choses encore plus difficiles.

Qu'en sera-il en cas d'accident ?

Imaginons tout simplement qu'un incident mineur se produise à la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, à quatre-vingts kilomètres en amont de Paris. On peut penser que le président de la Haute autorité en sera informé. À ce stade, l'incident ne demande pas qu'il alerte quelqu'un d'autre, puisqu'il n'a aucune autorité au-dessus de lui.

Les heures passent. L'incident n'est pas forcément très grave, mais il a pour conséquence une fuite radioactive qui pollue l'eau de la Seine. Il y a un risque que des riverains ou des relations des employés de la centrale soient au courant et que l'affaire s'ébruite. C'est d'ailleurs ce qui se passe, et la radio dès le matin en fait état. Les ministres responsables et le Premier ministre sont immédiatement interrogés : ils ne peuvent que répondre qu'ils ne savent rien et que, de plus, ils ne sont pas responsables.

Je ne suis pas en train d'inventer ou de spéculer. C'est déjà arrivé, madame la ministre, et cela peut vous arriver demain.

On imagine très bien ce qui se passerait si l'accident était grave et que l'on se retrouve face à une « situation d'urgence ». Comme je l'ai dit cet après-midi, rien dans le texte ne précise à quel moment l'autorité de sûreté passe la main au gouvernement ni à quel moment et avec quels moyens le gouvernement apprécie la situation et reprend effectivement les rênes.

Une crise nucléaire est déjà difficile à gérer lorsque l'organisation est à peu près cohérente. Or elle me paraît impossible à gérer dans la situation de confusion et d'irresponsabilité que créerait le projet de loi.

Je voudrais le dire d'une façon nette : l'article 38 du projet de loi dispose que les effectifs de la Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection seront affectés à la Haute autorité de sûreté nucléaire. De quel service, de quels moyens disposera donc l'État pour apprécier la gravité de la situation, pour reprendre la main, pour analyser les éléments de gravité d'un dossier ?

On peut penser qu'il travaillera main dans la main avec la Haute autorité de sûreté nucléaire. Peut-il pour autant se passer de service pour examiner et contrôler la crédibilité des informations qui lui sont transmises ? Pour ma part, je ne le crois pas. Je le crois d'autant moins que, dans ce jeu un peu complexe, les acteurs sont nombreux : les exploitants, la Haute autorité, l'État, et toutes les structures d'expertise qui seront conduites à donner leur avis.

Il faudra trancher, argumenter, arbitrer. Sans service dédié à cet effet, les choses seront très difficiles.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion