Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 13 septembre 2006 à 15h00
Prévention de la délinquance — Discussion générale

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Ainsi, comme je vous l'ai déjà dit, vous modifiez encore une fois nos lois et nos codes, alors même qu'aucun bilan de l'application des lois existantes n'a été réalisé, alors même que les décrets les concernant n'ont pas tous été pris, alors même, enfin, qu'aucun budget n'est prévu pour la mise en oeuvre des dispositions adoptées sous la présente législature.

Qui plus est, vous allez jusqu'à modifier les dispositions que vous avez fait adopter au législateur voilà seulement quelques mois - je pense particulièrement, ici, à la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales ou encore à la loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre des mineurs -, sans parler des dispositions qui vont se superposer à d'autres, contenues par exemple dans la loi de programmation pour la cohésion sociale, dans la loi pour l'égalité des chances ou encore dans le projet de loi réformant la protection de l'enfance, qui doit être examiné par l'Assemblée nationale.

Votre texte est donc aussi inutile qu'inefficace en termes de prévention de la délinquance. Il n'y a rien d'innovant ni d'ambitieux dans ce projet de loi, qui ne définit aucune politique globale et cohérente de prévention de la délinquance. Vous faites, encore une fois, de la prévention avec de la répression !

En effet, c'est bien de répression, d'enfermement et d'exclusion, sans aucune réflexion de fond ni traitement social des causes de la délinquance, qu'il est question dans le présent texte. Par exemple, s'agissant des modifications apportées à l'ordonnance de 1945, n'est-on pas déjà dans le domaine de la sanction ? Où est la prévention de la délinquance quand il s'agit d'étendre aux mineurs la comparution immédiate de la composition pénale, actuellement réservée aux majeurs ?

Le titre de votre projet de loi est un mensonge. Il s'agit en réalité d'un texte relatif à « diverses dispositions d'ordre sécuritaire », qui tend à modifier dans un sens toujours plus répressif des lois et des codes dans des domaines très variés.

Votre texte remet surtout en cause ce qui a fondé les politiques de prévention menées depuis des décennies par les acteurs sociaux : les départements, les communes, les services de l'État, les caisses d'allocations familiales...

La prévention de la délinquance suppose - vous devriez le savoir - un travail de longue haleine au regard de la répression, qui peut produire des effets plus rapidement en termes de résultats statistiques concernant la délinquance et d'éviction de la société - mais pour un temps seulement - des délinquants par l'enfermement, en recourant à l'éloignement, aux centres éducatifs fermés ou à la prison.

Pour la droite, la prévention, c'est détecter les gens à risques pour mieux les contrôler et, le cas échéant, les écarter de la société. Selon vous, en effet, les pauvres, les fils de pauvres, les malades mentaux sont a priori des délinquants, qu'il faut surveiller, contrôler, voire écarter de la société. Celle-ci met en place les prisons, les centres éducatifs fermés, les établissements pénitentiaires pour mineurs, le placement d'un mois en établissement spécialisé, l'enfermement des malades mentaux, qui marque le retour à la politique asilaire du XIXe siècle.

Plutôt que de prévoir des solutions en amont, c'est-à-dire une réelle prévention en termes d'habitat, d'emploi, de loisirs, de santé, de culture, d'éducation, de qualité et de cadre de vie, vous préconisez d'intervenir en aval, d'abord par un contrôle de certaines catégories de personnes - malades mentaux, allocataires de prestations sociales, élèves s'absentant de l'école -, puis par une répression accrue à l'encontre desdites personnes.

Au-delà de son inefficacité, votre texte va se révéler en outre contre-productif. Je pense ici, en particulier, au secret partagé et au rôle des médecins en cas de violences conjugales : les dispositions prévues vont déboucher sur un résultat exactement inverse de ce que vous escomptez. J'y reviendrai plus longuement lors de la présentation de nos amendements.

Inefficace en termes de prévention de la délinquance, voire contre-productif, votre texte remet néanmoins en cause certains principes fondamentaux.

Les libertés individuelles sont ainsi mises à mal, que ce soit avec la multiplication des fichiers et leur consultation élargie, ou avec la réforme de l'hospitalisation d'office, qui stigmatise la maladie mentale et va se révéler, in fine, beaucoup moins protectrice des droits de la personne que la loi du 27 juin 1990.

Ce texte bafoue, par ailleurs, le principe de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire. Le maire se verra doté de nouveaux pouvoirs et deviendra à la fois « shérif » et juge, chargé du contrôle social de ses administrés, mais placé sous tutelle de l'État.

Quant aux dispositions relatives à la justice des mineurs, notamment à la procédure de présentation immédiate et à la composition pénale, elles remettent en cause les droits de la défense des mineurs et contreviennent à la convention internationale des droits de l'enfant. Mme Nicole Borvo développera plus en détail tout à l'heure nos arguments, à l'occasion de la présentation de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Nous avons affaire ici à un texte sécuritaire de plus, à un texte sécuritaire de trop. À aucun moment il ne prend en compte les causes profondes de la délinquance, lesquelles prennent racine dans l'aggravation des inégalités sociales, avec, d'un côté, la marginalisation, la précarisation, la dégradation de l'habitat, la « mal vie », l'échec scolaire et, de l'autre, l'accumulation des richesses.

Au contraire, vous considérez les difficultés sociales, économiques, financières des personnes comme un critère de la probabilité d'un passage à l'acte délictuel.

À cet égard, le ton est donné dès la première page de l'exposé des motifs du projet de loi : la cible principale, ce sont les mineurs, qui sont considérés comme des délinquants potentiels. La « délinquance des mineurs » fait seule le fond du discours tenu sur l'adolescence, qui, on le sait, est un moment important de la vie en même temps qu'une période délicate.

Un mineur délinquant, n'est-ce pas aussi un mineur en danger, un mineur en souffrance ? Tous les enfants qui ont eu un parcours familial et social difficile ne tombent pas dans la délinquance, et c'est heureux !

En revanche, parmi les mineurs délinquants, beaucoup ont rencontré des difficultés d'ordre social et sont en souffrance. Cela n'a rien à voir avec la génétique, comme certains veulent le laisser croire ! Il n'y a pas de chromosome du crime : on ne naît pas délinquant, il n'y a pas, d'un côté, des enfants gentils et, de l'autre, des enfants méchants.

Pourtant, vous avez tenté d'introduire dans ce texte le dépistage précoce des troubles du comportement chez l'enfant. Certes, pour l'heure, cette disposition a disparu, grâce à la mobilisation des professionnels de la santé et du social, mais il en reste bien d'autres, dans votre texte, qui sont tout aussi inquiétantes : par exemple, il est prévu de généraliser le fichage et le contrôle social, pour mettre en oeuvre des thèses comportementalistes de dépistage précoce.

Selon votre texte, les mineurs n'ont pas vocation à évoluer, ni les malades mentaux, qui sont tels à vie, ni les femmes battues, qui sont ravalées au rang de mineures, etc.

Concernant la délinquance des mineurs, dont on nous dit qu'elle est en hausse, que ses auteurs sont de plus en plus violents, de plus en plus jeunes et bénéficieraient d'une impunité entretenue par la loi, je pense qu'il convient de rectifier certaines idées reçues : il n'y a pas plus de mineurs délinquants qu'auparavant ; c'est surtout le regard social qui a radicalement changé, ainsi que le seuil de tolérance de la société à l'égard de sa jeunesse.

Ne nous leurrons pas : les jeunes ont un comportement réactif devant les discours de stigmatisation tenus à leur égard. Il est utile de rappeler que, si la part des mineurs dans l'ensemble des personnes mises en cause dans la délinquance constatée par les services de police et de gendarmerie est passée entre 1994 et 2004 de 14 % à 18 %, celle des adultes atteint tout de même 78 % !

Quant au taux de réponse pénale aux affaires impliquant des mineurs, il est passé de 77, 7 % en 2000 à 85 % en 2005 ; ce chiffre est à comparer à celui concernant les majeurs, qui est de 77 % seulement pour la même année. Cela donne à entendre que, contrairement aux idées préconçues, la justice des mineurs est plus sévère que celle des majeurs.

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