Il n'y a donc ni laxisme ni impunité pour les mineurs délinquants.
L'implication des mineurs dans les actes d'incivilité, qui sont à différencier des actes délictueux, est très forte, ce qui peut donner l'impression que la délinquance des mineurs est en hausse et qu'elle commence de plus en plus tôt. Ces incivilités qui troublent parfois la vie quotidienne contribuent à l'accroissement du sentiment d'insécurité et à l'exaspération d'une partie de la population.
Plutôt que de rechercher des réponses sociales et éducatives adaptées, le Gouvernement préfère avoir recours à l'ordre moral et à la pénalisation, au risque de remettre en cause les grands principes de la justice des mineurs.
Pourtant, les récentes lois dites « Perben » ont déjà modifié l'ordonnance de 1945 dans le sens d'une répression accrue à l'encontre des jeunes gens : jugement à délai rapproché pour les mineurs de 13 à 18 ans ; sanction éducative à partir de 10 ans ; mise en place de centres éducatifs fermés ; élargissement des possibilités de placement sous contrôle judiciaire et de détention provisoire pour les mineurs de 13 à 16 ans ; suppression des allocations familiales pour les parents d'enfants délinquants.
La répression dirigée contre les jeunes est omniprésente dans cette société. Combien d'arrêtés municipaux ont été pris dans les villes de droite afin d'instaurer le couvre-feu nocturne pour les mineurs ou d'interdire aux jeunes de se promener en groupe en centre-ville, sans parler des expulsions locatives de parents d'adolescents en difficulté ? Ne note-t-on pas, également, une tendance à la pénalisation des conflits entre élèves et enseignants, ce qui, a priori, n'apaise pas lesdits conflits, bien au contraire ?
On le sait, aucune de ces mesures répressives ne s'est révélée efficace en termes de prévention de la délinquance, encore moins s'agissant de la lutte contre la récidive. Sinon, nous ne serions pas là à légiférer de nouveau !
En revanche, cette politique ultrasécuritaire n'est pas sans incidence sur le nombre de mineurs en prison, ni sur leurs conditions de détention, sans compter que la prison est essentiellement une école de la récidive. Une société qui enferme ses jeunes plutôt que de les éduquer, de les insérer, est une société en échec.
Au travers de votre texte, il s'agit bien de surveiller, de contenir, de punir, non seulement les auteurs de faits délictueux, mais aussi les personnes au « comportement » jugé déviant, hors normes, susceptibles de commettre un jour une infraction - patients relevant de la psychiatrie, personnes percevant des prestations sociales et, bien sûr, enfants issus de familles modestes...
Ainsi s'éloigne-t-on définitivement des politiques d'accompagnement social et de soutien social, pour en arriver à une politique de contrôle social, dans le seul souci de protéger la société plutôt que les enfants et leurs familles, que les personnes les plus modestes, celles qui ont le plus besoin d'être soutenues, et ce sans éprouver le moindre sentiment de culpabilité.
Aujourd'hui, les pauvres sont coupables de l'être, ils sont suspectés d'être de mauvais parents, auxquels il faut par conséquent supprimer les faibles revenus qu'ils perçoivent au titre de l'aide sociale du fait même de leur situation modeste.
À mon sens, on ne peut parler de violence sans parler de la violence économique et sociale. Replaçons donc les questions sécuritaires à leur juste place dans l'échelle des problèmes rencontrés par nos concitoyens, à savoir derrière le chômage, la précarité et les inégalités sociales. Ne note-t-on pas, depuis quelques années, un processus de marginalisation et de paupérisation des populations soumises de surcroît à la ségrégation urbaine ? Ne parle-t-on pas aujourd'hui de « travailleurs pauvres », expression désignant ces salariés mal payés, employés sous contrat précaire ou à temps partiel sans l'avoir choisi et qui n'arrivent pas à se loger ni à « boucler » les fins de mois ?
Si les jeunes peuvent parfois avoir un comportement violent à l'égard de la société, il faut admettre que celle-ci le leur rend bien. Combien d'enfants sont privés des droits les plus élémentaires, tels que le droit au logement, à la santé, au sport, à la culture, à l'éducation, aux vacances ? Combien d'enfants vivent au-dessous du seuil de pauvreté en France ? Le taux de suicide n'est-il pas très élevé chez les jeunes ?
Dans un contexte de dégradation sociale, le Gouvernement n'a rien trouvé d'autre que la répression pour mettre en oeuvre sa politique ultralibérale qui accentue, chaque jour, les inégalités et les exclusions.
Cette politique, c'est l'insécurité sociale et son cortège de suppressions de postes dans la fonction publique, de déstructuration et de privatisation des services publics, à l'instar de ce qui est actuellement entrepris s'agissant de Gaz de France, et, plus généralement, de casse du code du travail. C'est la généralisation de cette insécurité sociale et l'accroissement des inégalités qui nourrissent la ségrégation et la criminalité.
Comme à l'occasion des précédents textes, au lieu d'apporter des réponses sociales, le Gouvernement a décidé de s'occuper par la voie pénale des populations dites « à problèmes », c'est-à-dire, notamment, celles qui ne se soumettent pas docilement à l'impératif du travail flexible, ou encore les classes dites « dangereuses ». L'État veut de cette façon mettre à l'index les personnes qu'il n'a pas voulu éduquer, soigner, loger, nourrir... Se met ainsi en place une gestion sécuritaire et policière de l'État.
Certains remèdes proposés en France, tels que la tolérance zéro, les couvre-feux, la suppression des allocations familiales, le durcissement de la répression des mineurs, s'inspirent de l'exemple américain, marqué par une généralisation du contrôle social doublée d'un envol du taux d'incarcération. Cette méthode ne donne aucun résultat en termes de baisse réelle de la délinquance.
La banalisation de l'insécurité dissimule en réalité un tout autre enjeu que celui de la lutte contre la délinquance, mis en avant par le Gouvernement. Votre but est de redéfinir les missions de l'État, de réduire son rôle social et de casser la solidarité républicaine.
D'un côté, une idéologie économique et sociale fondée sur l'individualisme et la marchandisation, de l'autre et en complément, dans le domaine de la justice, la criminalisation de la misère et la normalisation du travail précaire : tel est le véritable projet de société que la droite veut mettre en place.
Une société qui ne propose comme moyen de lutte contre l'insécurité qu'une réforme du code pénal et du code de procédure pénale est une société en situation d'échec. En réalité, on assiste, au travers de l'examen de ce texte, à l'instauration d'un nouvel État, d'un nouvel ordre social : développement de la vidéosurveillance, fichages à outrance, fermeture des portes des copropriétés...
Mais quelle est donc cette société que vous voulez nous imposer ?
Pour vous, chacun est responsable de ses actes, la société n'est plus responsable de rien. On passe d'une responsabilité collective à une responsabilité individuelle.
Ne pensez-vous qu'une politique globale et cohérente de prévention de la délinquance passe nécessairement par la lutte contre la précarité et par une aide aux enfants et aux familles dans l'accès aux droits et à des conditions de vie décentes dans tous les domaines ?
N'est-il pas indispensable de prévenir la marginalisation, l'exclusion, la maltraitance, de favoriser l'insertion sociale et de reconstruire le lien social, le « vivre ensemble » ?
Oui, monsieur le ministre d'État, il faut une rupture. Mais pas la vôtre, celle que vous déclamez en voisin et ami du MEDEF, celle qui veut imposer une domination sociale des puissances de l'argent pour en finir avec ce que notre pays, ses salariés, sa population ont construit durant ces soixante dernières années.
Oui, il faut lutter véritablement contre les discriminations, accompagner les parents dans l'exercice de leur responsabilité, en dehors de toute stigmatisation et de toute culpabilisation, et doter la médecine scolaire, la protection maternelle et infantile, la psychiatrie et la pédopsychiatrie, la protection judiciaire de la jeunesse, les services sociaux, les tribunaux pour enfants, la justice des mineurs, de moyens à la hauteur de leurs missions.
En résumé, ce que vous nous proposez est en fait votre projet de société. Avec vos textes, vous vous plaisez à imposer la pensée unique avec des concepts moraux. Sous couvert de bon sens populaire, vous utilisez les drames les plus horribles et vous les érigez en généralités pour donner sens à vos choix politiques et masquer ainsi votre incapacité à résoudre sur le fond les vrais problèmes de société.
En somme, vous voulez instaurer une conception qui ne soit plus une philosophie de vie mais une moralisation des rapports entre les individus. C'est une vision populiste et dangereuse. Je n'étonnerai donc personne en annonçant qu'avec mes collègues du groupe CRC nous rejetons en bloc votre texte.