Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 13 septembre 2006 à 15h00
Prévention de la délinquance — Discussion générale

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne :

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, messieurs les ministres, mes chers collègues, vouloir faire du maire le pivot de la prévention de la délinquance est une idée séduisante dans la mesure où le maire est, de par sa position et l'étendue de ses missions, la personne vers laquelle convergent naturellement le plus d'informations sur la situation et le comportement de ceux de ses concitoyens qui posent des problèmes.

En ce sens, les dispositions du projet de loi qui visent à favoriser les échanges d'informations et à mieux coordonner l'action des différents intervenants, qu'il s'agisse de l'éducation, des travailleurs sociaux, des associations familiales, de la police, de la gendarmerie, de la justice pour ne citer que les principaux d'entre eux, vont dans le bon sens.

Je vois difficilement, en effet, qui d'autre que le maire, ou son représentant, disposerait d'une légitimité suffisante pour mettre autour de la table des acteurs qui ont tous un rôle important en matière de prévention, mais à des titres et dans des champs de compétence différents, et qui n'ont pas l'habitude d'échanger et de croiser les informations dont ils disposent.

Cela dit, il faut être conscient que, si l'intervention du législateur est importante pour autoriser ces acteurs à partager leurs informations, il n'en est pas moins vrai que cela ne fonctionnera que s'il y a une réelle volonté d'aller dans cette direction de la part des professionnels concernés. Je crains malheureusement que l'objectif affiché par le projet de loi ne se heurte parfois à ce type de limite et ne reste dans bien des cas lettre morte.

Il est donc indispensable que le maire ne soit pas seul à vouloir mettre en place la coordination et les échanges et qu'il agisse de concert avec le président du conseil général et le procureur notamment. Lorsque l'on sait que 80 % des travailleurs sociaux dépendent du conseil général, et non du maire, et que ces derniers se plaignent fréquemment de ne pas être informés par la justice des suites qu'elle donne aux signalements qu'ils ont faits, on mesure combien il est nécessaire que le président du conseil général et le procureur prennent toute leur part dans le bon fonctionnement du dispositif prévu par la loi.

Si l'information et la coordination sont donc fondamentales, il faut cependant à tout prix éviter le mélange des genres et ne pas faire du maire un responsable de l'action sociale à la place du président du conseil général ou un représentant du parquet qui requerrait lui-même telle ou telle sanction.

Or je me demande si l'on ne va pas dans cette direction lorsque l'on donne au maire, au travers du « conseil pour les droits et devoirs des familles », le pouvoir d'adresser des recommandations à une famille, de mettre en place un accompagnement parental ou de saisir le juge des enfants afin qu'un coordonnateur soit désigné pour exercer la tutelle sur les prestations sociales.

La confiance dont jouit le maire dans sa commune et son rôle particulier d'arbitre ne doivent pas souffrir des missions que le projet de loi veut lui attribuer. Si le maire doit effectivement être un « pivot » de la politique de prévention dans sa commune, ce doit être au niveau de l'information de la part et en direction de la police, de la justice, de l'éducation, des travailleurs sociaux, des associations familiales et d'autres encore, mais non par le transfert de responsabilités qui ne lui appartiennent pas, ce qui risque d'entraîner une confusion des rôles et, finalement, d'affaiblir sa position ; en tout cas, c'est ce que je crains.

De par sa fonction et sa position, le maire dispose naturellement d'un pouvoir d'influence et de médiation. Il ne me semble donc pas judicieux de lui confier explicitement des missions que ses concitoyens acceptent de lui parce qu'il est leur élu, mais qu'ils accepteraient certainement moins facilement s'il les exerçait en tant qu'exécutant d'un dispositif vécu comme un système de répression mis en place par le législateur.

L'inscription dans la loi du « rappel à l'ordre » adressé au mineur, en présence de ses parents - c'est ce que dit la loi -, lorsqu'il commet des faits susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité ou la salubrité publics me paraît exemplaire des préjudices qui peuvent être apportés aux pouvoirs naturels du maire. Comme de nombreux orateurs l'ont rappelé à cette tribune, tous les maires pratiquent déjà - lorsqu'ils l'estiment nécessaire - ce genre de mise en garde et de rappel ciblé des règles de ce qu'on pourrait appeler le « vivre ensemble ». Mais ce sont eux qui jugent de l'opportunité de le faire et d'y associer ou non les parents.

En inscrivant dans la loi que le premier magistrat de la commune procède au rappel à l'ordre, d'une part, et qu'il le fait en présence des parents, d'autre part, non seulement on lui enlève sa capacité d'appréciation, mais on peut aussi le mettre en porte-à-faux.

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