Nous ne considérons pas du tout que l'ordonnance de 1945 est un texte tabou. Mon collègue Charles Gautier vous dira d'ailleurs ce qu'il reste de ce texte, c'est-à-dire pas grand-chose.
Nous pensons que les principes qui l'inspirent sont toujours d'actualité et que, si la répression, voire l'enfermement sont parfois nécessaires, ils ne sauraient s'exercer au détriment de l'éducatif.
Vous souhaitez traiter les jeunes de seize ans comme des majeurs et les mineurs de treize ans comme des mineurs de seize ans, ce que nous désapprouvons, même si nous savons que vous éprouvez une méfiance particulière envers les « grands gaillards de 1, 90 mètre ». Nous refusons de considérer qu'un délinquant est un délinquant par état ou condition et qu'il n'est pas amendable, surtout s'il est en pleine évolution personnelle.
Or, avec la comparution immédiate, comme avec la composition pénale, en particulier pour les mineurs de treize ans, vous rapprochez de plus en plus la justice des mineurs de celle des majeurs. Écoutez ce que disent les fonctionnaires de la protection judiciaire de la jeunesse et vous comprendrez que, là encore, vous courez à l'échec.
Vous présentez votre texte comme un effort de clarification, de coordination et d'harmonisation. L'intention est bonne, le résultat, fâcheux. La confusion règnera entre l'État et le maire, entre le maire et le président du conseil général. On ne sait plus qui fera quoi, comment et avec quels outils.
Il ne s'agit pas pour nous de nous opposer systématiquement à la répression de la délinquance. Certes, nous avons surtout déposé des amendements de suppression sur un projet de loi qui, nous semble-t-il, n'est guère amendable, mais nous faisons également des propositions pour l'avenir.
Je n'en citerai que trois.
Nous ferons d'abord une proposition financière, afin de combler l'une des lacunes majeures de votre texte. Il s'agit de faire appel au gisement fiscal que constituent les sociétés de gardiennage, ce qui aurait dû attirer l'attention de l'ancien ministre de l'économie et des finances que vous êtes, monsieur le ministre. Une taxe pourrait leur être appliquée, ainsi qu'à la grande distribution, afin d'alimenter un fonds interministériel pour la prévention de la délinquance.
Nous ferons ensuite une proposition institutionnelle, afin de mettre de l'ordre dans la pagaille que vous instaurez. La coordination et l'impulsion de la prévention pourraient être exercées par un conseil interministériel rattaché au Premier ministre, car il n'y a aucune raison de confier cette tâche, qui regroupe l'action de nombreux ministères, au ministère de l'intérieur.
Enfin, nous ne négligeons pas les aspects plus fonctionnels. Ainsi je tiens beaucoup à la généralisation des travailleurs sociaux dans les commissariats, dont le financement pourrait être conjointement assuré par l'État et les conseils généraux. C'est dans le département que je présidais alors - dans le commissariat de Limoges - qu'a été mis en place en place pour la première fois un tel service, à temps complet. Ce dispositif donne les meilleurs résultats en termes de prévention, car il permet aux travailleurs sociaux de traiter tous les désordres signalés dans la main courante, même s'il ne s'agit pas d'infractions, et de les traiter très tôt, en relation avec les services sociaux de secteur.
Je sais, monsieur le ministre, que les préfets proposent actuellement aux maires de financer de tels postes à leurs frais et je m'étonne que ce point ne soit pas évoqué dans votre projet de loi.
Voilà des propositions concrètes, car nous ne nous contentons de dénoncer votre texte, qui est un texte d'opportunité politique, un texte de méfiance à l'égard de la société française, un texte de défiance à l'égard des acteurs de la prévention de la délinquance, un texte qui pourrait être le prélude à une territorialisation de la sécurité et, par conséquent, au délestage de l'État sur les collectivités, un texte qui stigmatise des groupes entiers de personnes considérées a priori comme potentiellement délinquantes, un texte inefficace, qui instaure la confusion, bref, un texte que nous ne voterons pas. Il a d'ailleurs peu de chances d'être appliqué dans un avenir proche !