Intervention de Valérie Létard

Réunion du 13 septembre 2006 à 15h00
Prévention de la délinquance — Discussion générale

Photo de Valérie LétardValérie Létard :

Bref, posons les problèmes de façon humaine, pragmatique et équilibrée.

D'une certaine manière, le mérite de ce texte est d'avoir permis de reposer des questions simples : qui fait quoi ? Comment ? Faut-il de nouveaux outils ? Avec quels moyens supplémentaires ?

La première question - qui fait quoi ? - est certainement la plus importante.

La philosophie de ce projet de loi consiste à mettre le maire au centre de toute la politique de prévention sur le territoire de sa commune. Cela appelle plusieurs commentaires.

Tout d'abord, il est clair que le maire, parce qu'il agit dans la proximité, doit pouvoir disposer de toute l'information nécessaire sur ce qui se passe dans sa commune. Il doit pouvoir jouer le rôle d'animation et de coordination que sa place à la tête du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, le CLSPD, lui assure naturellement.

C'est d'ailleurs le souhait exprimé, me semble-t-il, par une majorité de maires : être associé et être informé afin d'agir avec plus d'efficacité.

Dans cette optique, nous aimerions, par exemple, que soit testée la mise en place au sein des CLSPD d'une cellule de veille de taille restreinte, associant quelques élus très impliqués dans les questions de sécurité, cellule susceptible d'assurer la continuité au quotidien de la politique définie par cette instance, lui donnant ainsi encore plus de réactivité.

Nous avons renoncé à déposer un amendement sur ce sujet, car il est d'ordre réglementaire, mais nous aimerions connaître le sentiment du Gouvernement sur ce point dans le cours des débats.

Si le maire anime et coordonne, cela ne signifie pas qu'il est automatiquement le bras agissant de la politique de prévention. En effet, tous les textes que nous avons adoptés récemment ont confié au conseil général l'ensemble de la politique d'action sociale et de prévention de l'enfance en danger.

Nous avons encore tous en mémoire les récents débats sur le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, sur le projet de loi pour l'égalité des chances et sur le projet de loi réformant la protection de l'enfance.

Nous avons confié au président du conseil général un rôle de pilote de l'action sociale en direction des enfants et des adolescents. Ses services disposent en effet des moyens permettant de mettre en oeuvre ces actions de prévention.

Il faut créer des synergies plutôt que d'introduire le risque de nouveaux conflits de compétences. C'est tout l'objet des amendements de la commission des affaires sociales sur les articles 5, 6, 7 et 8. Nous les soutiendrons, car ils vont dans le bon sens.

Il nous a semblé essentiel d'éviter de créer une situation de concurrence, voire de subordination entre collectivités locales. Nous le savons tous, depuis 1982, la tutelle n'existe plus. L'autonomie des collectivités locales est devenue un principe constitutionnel qui ne saurait souffrir d'exception. Or, si le texte est adopté en l'état, nous aurons deux autorités, le maire et le président du conseil général, qui interviendront concurremment en matière, d'une part, de prévention et, d'autre part, d'action sociale. Cela n'est pas souhaitable.

L'articulation entre le contrat de responsabilité parentale et la création à l'article 6 d'une mesure d'accompagnement parental est un bon exemple du risque d'empiètement à éviter.

Comment, en effet, articuler l'article L. 222-4-1 du code de l'action sociale - « En cas d'absentéisme scolaire, [...] de trouble porté au fonctionnement d'un établissement scolaire ou de toute autre difficulté liée à une carence de l'autorité parentale, le président du conseil général [...] propose [...] un contrat de responsabilité parentale ou prend toute autre mesure d'aide sociale à l'enfance adaptée à la situation. » - avec la rédaction proposée par l'article 6 du présent projet de loi pour l'article L. 141-2 du code de l'action sociale - « Lorsqu'il ressort de ses constatations ou d'informations portées à sa connaissance, que l'ordre, la sécurité ou la tranquillité publiques sont menacés à raison du défaut de surveillance ou d'assiduité scolaire d'un mineur, le maire peut proposer aux parents ou au représentant légal du mineur concerné, un accompagnement parental. »

Donc, en cas d'absentéisme scolaire, soit le président du conseil général, soit le maire pourra mettre en oeuvre des mesures d'ordre social.

Certes, il est précisé que le maire doit vérifier qu'il n'a pas été conclu un contrat de responsabilité parentale, mais je ne vois pas comment, de fait, une concurrence ne s'instaurera pas sur un domaine qui relève traditionnellement du conseil général.

Si nous maintenons le dispositif en l'état, nous allons créer de nombreuses difficultés au lieu de favoriser une réelle politique de prévention coordonnée et partenariale.

Je crois, bien sûr, à l'utilité d'une approche très localisée de ces problèmes, mais celle-ci ne doit pas se faire au détriment des principes de la décentralisation.

Un autre point va, à mon sens, poser problème : la possibilité pour le maire de nommer un coordonnateur parmi les professionnels de l'action sociale. Comment peut-on imaginer qu'un président de conseil général accepte qu'un maire désigne un coordonnateur appartenant à ses services, étant entendu que, bien souvent, les personnels du conseil général seront les mieux à même de remplir cette fonction ?

En outre, comme je l'avais déjà souligné en commission des affaires sociales, je pense que désigner nommément une personne comme coordonnateur se révélera source de difficultés. Il serait préférable de confier ce rôle à un service ou à une association plutôt qu'à une personne physique. Je serais heureuse, messieurs les ministres, que vous puissiez nous apporter des précisions sur ce point également.

Notre groupe a estimé que ce système ne pourrait pas fonctionner de manière satisfaisante : c'est la raison pour laquelle nous avons déposé un certain nombre d'amendements dont l'objet est de revenir à l'esprit des lois de décentralisation.

Enfin, je citerai un dernier exemple qui témoigne de cette confusion : l'articulation entre le projet de loi réformant la protection de l'enfance et celui dont nous discutons, notamment en ce qui concerne l'échange d'informations.

Là encore, messieurs les ministres, nous risquons de construire deux schémas pour une même situation et donc de créer une certaine confusion dans notre législation.

D'un côté, le projet de loi réformant la protection de l'enfance - qui, je l'espère, ne va pas tomber dans l'oubli, après le succès qu'il a rencontré au Sénat - organise ce que l'on appelle le « secret partagé » entre les professionnels des politiques de protection de l'enfance. De l'autre, le présent projet de loi met en oeuvre un autre mécanisme de transmission d'informations entre les services.

Ainsi, à l'article 5 du projet de loi, une série de dispositions prévoient la transmission d'informations au maire lorsque la gravité des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d'une personne ou de personnes composant une même famille est révélée.

L'article 5 du projet de loi réformant la protection de l'enfance organise, quant à lui, l'information du président du conseil général en cas de danger du mineur.

Lorsque les professionnels auront à traiter du cas d'un enfant en difficulté, qui devront-ils informer : le maire ou le président du conseil général ?

Par ailleurs, si les deux projets de loi sont adoptés, quelle sera la règle qui s'appliquera pour l'échange d'informations entre professionnels ?

Nous ne pouvons souscrire à cette remise en cause de la répartition des compétences entre les différents échelons locaux. Le département est le chef de file en matière d'action sociale. Le projet de loi que vous nous présentez va à l'encontre de ce principe, en conférant au maire une série de pouvoirs entrant dans ce champ d'action.

De surcroît, en matière de prévention de la délinquance, tant le département que la commune auront des pouvoirs d'intervention, ce qui nuira à la lisibilité et très certainement à l'efficacité de leur action.

Là encore, nous soutiendrons les propositions de la commission des affaires sociales, que nous compléterons par un certain nombre d'amendements.

Comment, à cette occasion, ne pas déplorer une nouvelle fois l'insuffisante cohérence entre les projets de loi émanant de ministères différents ?

De même, comment ne pas regretter que soient empilés de nouveaux dispositifs sur des dispositions qui viennent à peine de voir le jour et dont l'effet, faute de recul suffisant, n'a pu être évalué ? Je pense, en particulier, au contrat de responsabilité parentale, qui a fait l'objet d'un décret d'application publié au Journal Officiel le 29 août dernier, et aux équipes de réussite éducative, qui ne prendront toute leur ampleur qu'à partir de cette rentrée scolaire.

Comme le faisait remarquer fort justement notre ancien collègue M. Schosteck dans son excellent rapport sur la délinquance des mineurs, il n'y a pas lieu de créer de nouveaux outils, car, d'une certaine manière, tout existe déjà.

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