Intervention de Louis Souvet

Réunion du 19 octobre 2004 à 10h00
Questions orales — Mise sur le marché français d'une voiture destinée aux pays émergents

Photo de Louis SouvetLouis Souvet :

Monsieur le ministre, j'ai plaisir à vous retrouver après le voyage que nous avons effectué ensemble en Chine. Je connais bien ce pays puisque je m'y rendais pour la cinquième fois. Il offre d'immenses possibilités, mais recèle aussi de graves dangers si son développement devait l'amener à inonder le marché mondial de ses produits.

A l'heure où se pose à l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, la nécessité d'inclure dans les débats la clause sociale pour éviter des dumpings meurtriers pour les pays développés tout autant que des dommages importants pour les pays en développement, il est pour le moins surprenant qu'un constructeur automobile, dont l'Etat est actionnaire, se propose de commercialiser en France un modèle initialement destiné aux pays émergents pour un prix de 5 000 euros.

Je suis triste, mais pas surpris, à l'idée que l'un de nos grands constructeurs nationaux et européens, dès la présentation d'ailleurs, affirme : « Si les Français le souhaitent, pourquoi nous priverions-nous de les leur vendre ? ». Veut-on tuer le marché de l'automobile française, de qualité, sûre et peu polluante ?

Signalons tout de suite que le prix catalogue en France serait assez nettement supérieur, c'est-à-dire de l'ordre de 7 500 euros.

Comment est-il possible de maintenir un tel niveau de prix ? Il y a là, à mon sens, deux voies envisageables.

La première voie, ce serait, en grande partie, par le biais des coûts salariaux. C'est le premier paradoxe. Une voiture qui devait être construite dans les pays émergents pour les consommateurs desdits pays du fait de leur niveau de vie moins élevé, par exemple la Roumanie, viendra finalement accroître la concurrence sur le marché national. Si le concept initial a été validé par les pouvoirs publics, en a-t-il été de même pour ce développement ultérieur ? Et si l'argument salarial est « le » moyen de produire à ce prix, on peut penser que, très vite, nous deviendrons un pays émergent. En effet, à force de critiquer l'automobile, de l'accabler de tous les maux, si on lui ajoute des coûts de fabrication très inférieurs aux nôtres parce que le gap social est important entre nous et les pays de l'Est, en raison notamment des 35 heures, des congés, des coûts salariaux, du niveau bien inférieur des investissements à réaliser, je pense que « la vache à lait » va se tarir rapidement.

La deuxième voie, d'ordre environnemental et sécuritaire, n'en est pas moins aussi importante que la première. Alors que les consommateurs sont demandeurs d'innovations, sensibilisés qu'ils sont sur les conséquences à long terme de toutes les sources de pollution, que, de plus, les ingénieurs des constructeurs travaillent à longueur d'année sur la réduction de la consommation et autres dispositifs antipollution et de sécurité, il est certain que le véhicule en question, de par son coût, n'entrera pas dans cette logique.

Il faut être cohérent en matière de pollution, d'économies d'énergies comme en matière de sécurité. Sans parler de sous-équipement, ni même, à l'instar de quelques collectionneurs nostalgiques, évoquer des véhicules de type Trabant, il est certain, et loin s'en faut, que tous les dispositifs de sécurité ne seront pas inclus dans ce type de véhicule. Doit-on rappeler que la sécurité routière fait partie des priorités nationales ? Nous sommes tous d'accord lorsque, au prix d'innovations et de prouesses que je tiens à saluer, des progrès sont réalisés pour réduire la pollution et diminuer le nombre des accidents.

Va-t-on voir de nouveau sur nos autoroutes des « cercueils roulants » fabriqués par une entreprise nationale et qui mettent en danger les conducteurs de véhicules plus sophistiqués que nous sommes ?

Par conséquent, monsieur le ministre, que préconisez-vous, d'une part, pour éviter une saturation prévisible du marché sur ce segment si tous les constructeurs suivent cet exemple, et, d'autre part, pour maintenir des conditions de concurrence, de sécurité et de respect des normes de pollution qui soient équitables ?

L'ensemble des constructeurs français possèdent quelques sites de production dans les pays de l'Est et en Chine, nous les avons visités. Que deviendront alors nos ouvriers sur les sites de l'Hexagone, qui fabriquent actuellement les voitures qui font notre réputation dans le monde ? Les Français ne vont-ils pas devenir les pauvres du marché mondial ?

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