Depuis le traité de Maastricht, la France a renoncé à sa souveraineté monétaire. On en voit aujourd’hui le résultat : l’euro fort convient à l’Allemagne du fait de sa spécialisation économique ; il convient beaucoup moins à la France, dont la croissance s’en trouve ralentie, le chômage maintenu à un niveau proche de 10 % et le commerce extérieur en déficit structurel : plus de 50 milliards d’euros en 2010.
Au prétexte que la zone euro est fragile, rassemblant dix-sept pays économiquement et politiquement hétérogènes – il eût fallu s’aviser plus tôt de ce vice de conception initial ! – le Gouvernement propose aujourd’hui au Parlement de renoncer à la souveraineté budgétaire de la France, à travers un document intitulé Programme de stabilité de la France 2011-2014.
Ce document ne fait qu’anticiper les engagements du « Pacte de stabilité » dit Merkel-Sarkozy, adopté par le Conseil de l’euro du 11 mars et entériné par le Conseil européen des 24 et 25 mars 2011. On observe ainsi ce paradoxe : une crise financière, privée à l’origine, peut aboutir à une austérité publique généralisée, durable, et sans précédent ; à la constitutionnalisation ou, en France, à la semi-constitutionnalisation de l’interdiction des déficits publics, par voie de lois organiques ; à un nouveau décrochage des salaires ; au recul automatique de l’âge de la retraite.
C’est pour sauver l’euro - ses promoteurs nous assuraient depuis des années qu’il nous sauverait des périls extérieurs - que le Conseil européen nous invite à « une coordination renforcée des politiques économiques pour la compétitivité et la convergence ». Cette coordination s’intègre au projet de réforme constitutionnelle préparé par le Gouvernement et dont le Parlement doit débattre avant l’été. Il s’agit essentiellement de mettre le budget de l’État sous tutelle, en créant des « lois-cadres d’équilibre des finances publiques » dont les dispositions s’imposeront « de manière intangible » aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Le tout est assorti d’un dispositif coercitif qui, in fine, pourrait être adopté selon une règle de majorité inversée.
C’est sans doute par ironie que le Gouvernement propose également d’inscrire dans la Constitution le principe d’une transmission systématique à l’Assemblée nationale et au Sénat du « programme de stabilité de la France », avant qu’il ne soit adressé à la Commission européenne. En réalité, c’est un simulacre de consultation. Tout cela résulte du travail effectué en commun par vos fonctionnaires, madame la ministre, et par les fonctionnaires de la Commission européenne.
C’est un programme de rigueur budgétaire et sociale à perpétuité que vous nous demandez d’entériner, au terme d’une consultation de pure forme.
La double norme d’évolution des dépenses de l’État – zéro volume et zéro valeur, hors intérêts et pensions – aboutira à la poursuite de la révision générale des politiques publiques, à la baisse de 10 % des dépenses de fonctionnement de l’État, dont 5 % dès 2011, et de 10 % des dépenses d’intervention ; au gel enfin des dotations aux collectivités locales.
Par ailleurs, le ralentissement de la progression de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie de 3 % à 2, 8 % par an se traduira par la hausse de 5 % du ticket modérateur sur les services médicaux et par la baisse du taux de remboursement des médicaments.
En réalité, comme l’a bien montré M. Marini, tout cet exercice repose sur une accumulation d’hypothèses optimistes. Vous avez légèrement réduit le taux de croissance de l’économie pour 2011-2012, mais vous le maintenez à 2, 5 % pour 2013-2014. Qu’est-ce qui justifie un pareil optimisme ? Essentiellement la reprise escomptée de la demande mondiale à hauteur de 6, 5 % par an à compter de 2013, laquelle fait ressortir a contrario la très faible croissance de la zone euro. Comment mieux reconnaître la perte complète d’autonomie de celle-ci, incapable de programmer elle-même une stratégie de croissance et d’investissement pour favoriser, par exemple, la résorption du chômage ou la nécessaire transition énergétique ?
La zone euro est la lanterne rouge de la croissance et le ruban bleu du chômage à l’échelle mondiale parce que ses gouvernements ont choisi de maintenir l’euro comme la monnaie la plus surévaluée au monde : c’est un choix de classe, comme on disait, à juste titre en l’occurrence ; c’est le choix des possédants, de ceux qui détiennent les actifs financiers. Mais ce n’est pas le choix des peuples – on l’a vu en 2005 – et encore moins le choix de la jeunesse, dont l’avenir est sacrifié sur l’autel de la rentabilité financière !
Le document qui nous est soumis est, au fond, un choix de résignation.
Les hypothèses macroéconomiques associées au programme sont dépassées. Qu’on en juge.
La parité de l’euro avec le dollar ? On table sur 1, 40 dollar, alors que nous en sommes déjà à 1, 46 dollar. Je rappelle que l’euro était à 1, 16 dollar lors de son lancement et qu’il était à 0, 82 dollar en 2000 !
Le prix du baril de pétrole ? Il a dépassé les 100 dollars, et il est orienté à la hausse.
Ajoutons à cela l’augmentation des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne de 25 points de base – pour commencer ! –, à rebours de l’action menée par les autres banques centrales et de ce que serait une politique de change sensée, visant à freiner le renchérissement de l’euro.
Enfin et surtout, comment ne pas anticiper l’effet des politiques de rigueur partout mises en œuvre en Europe ? Comme l’a écrit M. Marini, aux pages 41 et 42 de son rapport d’information, la Grèce est, d'ores et déjà, « en situation de défaut virtuel », tandis que la situation de l’Irlande et du Portugal est « intenable ».