Intervention de Jean Bizet

Réunion du 27 avril 2011 à 14h30
Projet de programme de stabilité européen — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat et d'un vote

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes en train de vivre un renforcement sans précédent de la gouvernance économique de la zone euro.

Souvenons-nous : lorsque l’euro a été lancé, un grand scepticisme régnait chez les économistes de l’autre côté de l’Atlantique. On nous disait : « L’Europe n’est pas une zone monétaire optimale. Lorsqu’une crise vraiment grave se produira, le résultat sera l’éclatement de la zone euro. »

Ce discours a resurgi voilà deux ans. Aujourd’hui, on l’entend beaucoup moins. En effet, face à la crise, l’Europe est finalement parvenue à une riposte commune. Une nouvelle gouvernance économique a commencé à se mettre en place.

Certes, le processus n’est pas achevé : il ne le sera qu’en 2013, avec l’entrée en vigueur du nouveau mécanisme européen de stabilité. Toutefois, la réforme est déjà bien engagée. Les deux organismes européens de supervision financière, chargés de renforcer la surveillance bancaire, sont déjà en place. Le Fonds européen de stabilisation financière apporte un soutien à trois pays.

Le premier « semestre européen » a commencé en janvier dernier. Désormais, la coordination des politiques s’effectuera durant les six premiers mois de l’année, donc avant que les décisions budgétaires pour l’année à venir ne soient prises par les États membres. Et cette coordination porte à la fois sur les politiques qui visent à assurer la discipline budgétaire – je parle des « programmes de stabilité et de convergence » – et sur celles qui tendent à lever les obstacles à la croissance et à l’emploi – les « programmes nationaux de réforme ». La coordination sera donc autrement plus efficace.

Les six propositions législatives tendant à renforcer le pacte de stabilité et de croissance, conformément aux conclusions du groupe présidé par Herman Van Rompuy, sont toujours en cours d’examen, mais un accord politique s’est d’ores et déjà dégagé au sein du Conseil. Ces propositions organisent non seulement une surveillance budgétaire plus étroite, mais aussi un contrôle des déséquilibres macro-économiques, avec un nouveau système de sanctions.

La discipline budgétaire devrait se trouver raffermie grâce aux changements exigeants apportés aux volets préventif et correctif du pacte. Nous ne devons pas sous-estimer l’ampleur du défi pour la France : il s'agit de réduire la part de notre dette supérieure à 60 % du PIB d’un vingtième par an, ce qui représentera un effort considérable.

Par ailleurs, les déséquilibres macroéconomiques devront être détectés en amont, grâce au suivi d’un tableau d’indicateurs. Il s'agit d’une nouveauté d’une grande importance. Si ce dispositif avait été en place, nous aurions su que, malgré les succès du gouvernement espagnol au regard des critères de Maastricht, l’économie outre-Pyrénées fonctionnait à crédit, ce qu’a révélé l’éclatement de la bulle immobilière. L’exemple de l’Espagne apporte bien la preuve de la nécessité d’une gouvernance économique européenne qui ne se limite pas à la discipline budgétaire.

Pour faire respecter ce nouveau « règlement de copropriété », pour reprendre l’expression qu’utilise Laurent Wauquiez, de nouvelles règles seront introduites pour les sanctions financières, ce qui permettra d’obtenir des États membres la correction de leurs déséquilibres budgétaires ou macroéconomiques.

La procédure retenue pour l’adoption des sanctions reposera sur la majorité inversée, c’est-à-dire qu’il faudra une majorité qualifiée au Conseil pour écarter les sanctions. Je sais que le rapporteur général de notre commission des finances n’aime pas cette automaticité, mais le dernier mot reste au Conseil, c'est-à-dire au politique.

Le droit de regard politique du Conseil sera préservé au moment d’apprécier la situation, mais, ensuite, il sera très difficile à un État de se soustraire aux sanctions, comme on l’a vu dans le passé.

Parallèlement, vingt-trois États ont adhéré au « Pacte pour l’euro plus ». Ce document doit nous permettre d’aller plus loin dans le sens de la convergence européenne, de renforcer la compétitivité, de favoriser l’emploi, d’améliorer la viabilité des finances publiques, d’affermir la stabilité financière et de réfléchir à la coordination des politiques fiscales : autant de moyens de faire converger les politiques économiques, et non pas seulement budgétaires, des États membres.

Il s'agit d’un progrès important, car il fonde le socle d’une croissance saine et durable. En effet, il nous faut des économies compétitives pour financer le modèle social européen et assurer sa pérennité.

Considéré globalement, ce train de réformes constitue un ensemble impressionnant. Or il touche directement les compétences centrales du Parlement, notamment le vote du budget national. Désormais, la procédure budgétaire se situera beaucoup plus clairement qu’autrefois dans un cadre européen.

Cette évolution pose évidemment la question de la place des deux assemblées dans ce nouveau cadre. C’est un enjeu de démocratie, un problème de légitimité de cette nouvelle gouvernance.

Comment insérer notre assemblée dans le semestre européen ? Celui-ci, je le rappelle, comprend quatre principales étapes : en janvier, la Commission européenne présente l’examen annuel de la croissance ; en mars, le Conseil européen de printemps adopte des orientations stratégiques sur les politiques à suivre ; à la fin du mois d’avril, les États membres présentent leurs programmes de stabilité et leurs programmes nationaux de réforme ; enfin, en juin ou en juillet, le Conseil européen d’été formule des orientations spécifiques pour chaque État membre.

Notre débat d’aujourd’hui donne une première réponse, tout à fait essentielle, quant à notre insertion dans ce processus.

La loi de programmation des finances publiques pour la période 2011-2014 prévoit en effet, à partir de 2011, un débat suivi d’un vote sur le programme de stabilité. Cette règle devra être consolidée le moment venu, lorsque nous examinerons le projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques.

Par ailleurs, notre commission des finances a d’ores et déjà fait savoir qu’elle prendrait les initiatives nécessaires pour que le Sénat s’exprime de nouveau, par le vote d’une résolution, lorsque la Commission européenne se sera officiellement prononcée sur le programme de stabilité.

J’ajouterai que les deux réunions du Conseil européen, décisives dans le calendrier, donneront lieu à des débats préalables, qui nous permettront de nous exprimer sur les orientations stratégiques.

Nous aurons donc, à l’échelon national, les outils nécessaires pour jouer notre rôle. Il faudra les compléter par un instrument à l’échelon européen.

Puisque, désormais, la préparation du budget national fait l’objet d’une coordination européenne, il est indispensable que les parlements nationaux se concertent. Le président de l’Assemblée nationale, appuyé par celui du Sénat, a proposé qu’une conférence budgétaire se tienne chaque année au mois de mai pour assurer cette concertation entre les commissions des finances des parlements nationaux, en y associant les commissions compétentes du Parlement européen.

Cette proposition a été évoquée lors de la dernière conférence européenne des présidents de parlements, et elle a été particulièrement bien reçue. Nous irons donc vraisemblablement dans ce sens, et, à titre personnel, je le souhaite fortement.

On le voit, la mise en place du semestre européen ne doit donc pas être perçue comme un recul du contrôle parlementaire. Au contraire, elle peut être une chance pour l’utilité et la pertinence du débat budgétaire, car, désormais, nous disposerons, avant d’examiner les projets de loi de finances, d’informations et d’évaluations provenant des institutions européennes.

Chacun continuera à prendre ses responsabilités, mais dans une clarté bien plus grande. Il sera de plus en plus difficile, pour un gouvernement, de présenter au parlement des estimations irréalistes lorsqu’elles auront été publiquement critiquées par les institutions européennes. Nous pourrons de moins en moins nous payer de mots.

Cela me conduit à formuler une remarque plus générale. Notre vie publique ne s’est pas encore pleinement adaptée à la construction européenne, plus exactement à l’ampleur de notre engagement européen. L’Union européenne gère notre monnaie et nos relations commerciales extérieures ; elle assure le bon fonctionnement du marché où évoluent nos entreprises ; elle inspire une grande partie de notre droit, oriente de nombreuses politiques nationales, encadre les politiques économique et budgétaire. Bref, la construction européenne est d’ores et déjà au cœur de la vie nationale au quotidien. Il faut la mettre aussi au cœur de notre vie politique et administrative si nous voulons que le débat politique ne soit pas faussé.

Quand on voit, à un an de l’élection présidentielle, refleurir les promesses les plus étonnantes – il est vrai que c’est le printemps ! –, manifestement totalement incompatibles avec la discipline qu’impose le partage d’une même monnaie, on mesure le chemin qui reste à parcourir.

Le projet de programme de stabilité européen qui nous est aujourd’hui présenté a le grand mérite de poser clairement le principe d’un déficit public ramené à moins de 3 % du PIB en 2013 « quelle que soit la conjoncture » et de mettre l’accent à la fois sur la réduction de la dépense publique et sur celle des dépenses fiscales et des « niches » sociales.

En même temps, le projet de programme de stabilité européen se situe clairement dans l’optique du « pacte pour l’euro plus », en annonçant un approfondissement des réformes structurelles, notamment dans les domaines de l’éducation, de la recherche, de l’innovation et de la concurrence, c’est-à-dire dans les domaines qui peuvent influer sur notre potentiel de croissance.

Nous sommes bien là dans l’esprit de la nouvelle gouvernance économique de l’Union européenne. Celle-ci n’est pas et ne doit pas être seulement synonyme de gestion plus serrée des finances publiques. Elle doit être aussi, conformément à ce qui a été convenu entre les chefs d’État ou de gouvernement, un moyen d’améliorer ensemble la compétitivité et la situation de l’emploi et de corriger les déséquilibres économiques.

Pour éviter que les efforts consentis au même moment dans tous les pays de la zone euro en matière de discipline budgétaire ne pèsent sur la croissance, il faut que cette discipline commune s’accompagne de réformes structurelles coordonnées, ainsi que d’une réorientation concertée des dépenses vers les investissements d’avenir, qu’il s’agisse des dépenses publiques européennes ou des dépenses publiques nationales.

Contrairement à ce que soutiennent les tenants d’un keynésianisme sommaire, très éloigné d’ailleurs des vues nuancées du grand économiste anglais, la maîtrise de la dépense publique n’est pas en elle-même ennemie de la croissance. Toute la question est d’intégrer cette maîtrise nécessaire à une démarche d’ensemble qui prépare l’avenir.

C’est dans cet esprit que mon groupe apporte son soutien au projet de programme de stabilité européen qui nous est présenté.

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