Monsieur le secrétaire d’État, il est loin le temps où vous vous en donniez à cœur joie, vociférant sur la « dame des 35 heures », l’accusant de tous les maux économiques de la France travailleuse, la rendant presque responsable de la crise qui nous guettait !
Il vous a fallu le temps de prendre du recul sur une réforme fondamentale et culturelle – travailler mieux pour vivre mieux –, que vous aviez réussi à faire passer pour un infamant débauchage des valeurs « travail » et « profit », le temps de prendre du recul pour voir que la plupart de ceux qui ont eu la chance d’y goûter semblent s’être laissé convaincre des vertus de cette façon de vivre. Comme, en leur temps, les congés payés avaient été décriés avant de marquer un tournant décisif dans le progrès social de la société contemporaine, on s’habitue aux 35 heures et, ne vous déplaise, à une autre façon de travailler, travailler pour vivre et non pas vivre pour travailler.
Il vous a fallu prendre le temps du recul, le temps pour la nouvelle majorité de détricoter cet ouvrage au lieu de l’adapter et de l’améliorer, distribuant au passage quelques deniers supplémentaires, monnaies sonnantes et trébuchantes, boucliers et parachutes et, pendant ce temps, une crise secouait le monde entier, tombant à point nommé pour que vous changiez de refrain.
Parce que la rengaine des 35 heures, origine de nos maux, du recul de la France, du chômage et de la morosité générale, démantelée au nom de la valeur travail et du pouvoir d’achat par une batterie de lois toutes aussi prometteuses mais quelque peu inefficaces… les Français, lassés, commençaient à en douter sérieusement !
Heureusement, avec la crise provoquée par de méchants banquiers et de vilains capitalistes dépourvus d’éthique, on dispose de quoi opérer un bon transfert d’un bouc émissaire vers un autre. Avec la crise, on va pouvoir justifier l’échec des mesures précédentes et, en bon père de famille, serrer la ceinture et faire trimer davantage. On n’a plus le choix ; il n’est plus temps de travailler plus pour gagner plus, de faire des heures supplémentaires pour augmenter son pouvoir d’achat… Foin de toutes ces fadaises d’avant la crise : il s’agit désormais de gérer de façon responsable, rationnelle, objective ! Désormais, la valeur travail et, a fortiori, l’emploi redeviennent des variables d’ajustement d’un budget fragilisé par un contexte… « de crise ».
C’est d’ailleurs pour cette raison que le Gouvernement s’est d’abord obstiné à ne pas revoir à la baisse ses prévisions de croissance avant la livraison du projet de loi de finances. Voilà pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, cette année encore vous avez en toute logique décidé de promouvoir la valeur travail en diminuant les crédits de la mission « Travail et emploi » de 630 millions d’euros, soit 5, 8 % de moins qu’en 2008 – baisse qui s’ajoute à celle de 412 millions d’euros qui est intervenue entre 2007 et 2008 –, et en faisant passer, depuis l’an dernier, la majorité des articles de la mission « Travail et emploi » sous la houlette des finances… J’ironise, mais ce sont bien deux visions du monde qui s’opposent, et la mission « Travail et emploi » de ce projet de loi de finances en est une illustration magnifique.
Votre vision, monsieur le secrétaire d’État, est celle d’un gouvernement qui, sous couvert de responsabilité, est « comptable apothicaire » quand il s’agit de revaloriser les salaires ou le SMIC, de grappiller quelques millions d’euros sur des allocations utiles, de stigmatiser de vilains profiteurs, de justifier la suppression de dispositifs qui ont fait la preuve qu’ils étaient d’utilité publique. Dites-nous donc, monsieur le secrétaire d’État, ce qu’il adviendra des 169 millions d’euros que coûte l’allocation de fin de formation lorsque vous l’aurez supprimée ! Ensuite, vous nous direz qui paiera cette note : les partenaires sociaux, les conseils régionaux ? Enfin, vous nous direz comment les Français concernés financeront les périodes de fin de formation, habituellement couvertes par cette allocation : peut-être pourront-ils prétendre au RSA ?… Vous nous direz tout cela !
En fin de compte, les crédits du fonds de solidarité passent de 1, 668 milliard d’euros en 2008 à 1, 473 milliard en 2009. Il est vrai que la crise touche surtout les banquiers : pour eux, pour éteindre le feu qu’ils ont allumé, on trouve des milliards sans délai ; pour la mission « Travail et emploi », dès le second trimestre 2008, dès avant la crise, alors même qu’on enregistrait une destruction nette d’emplois, que les plans sociaux s’enchaînaient, que les délocalisations se poursuivaient et que l’emploi intérimaire fléchissait, vous envisagiez déjà, monsieur le secrétaire d’État, de diminuer les crédits.
Ensuite, concrètement, vous procédez à l’extension des contrats de transition professionnelle, les CTP, à vingt-cinq bassins d’emploi touchés par la crise sans, pour l’instant, aucune traduction budgétaire.
Enfin, en ce qui concerne l’assouplissement de l’accès au chômage technique pour les industriels, je rappelle qu’après un mois de chômage la totalité de l’allocation est versée par l’ASSEDIC : il y a donc bien un transfert de charges vers l’UNEDIC – et nous l’avons repéré !
Quant au plan d’action pour l’emploi annoncé par le Président de la République, il ne s’agit guère que de redéploiements de crédits. Avec 100 000 contrats aidés supplémentaires, il n’y a pas de quoi pavoiser ! Ces 100 000 contrats s’ajoutent aux 230 000 qui étaient initialement prévus pour 2009, contre 308 000 en 2008. La progression n’atteint pas l’ampleur affichée !
En conséquence, et compte tenu de la situation critique de 2008, les excédents seront vraisemblablement en baisse pour l’assurance chômage : en 2009 et en 2010, l’excédent prévisionnel passera de 2, 4 milliards d’euros à 1 milliard d’euros.
En effet, au-delà de l’indemnisation d’un nombre toujours croissant de chômeurs, l’UNEDIC est amenée à aider les entreprises par un report de l’appel à cotisations. Ce sont au total 1, 5 million de PME qui peuvent opter pour ces reports. Si toutes en profitent, l’UNEDIC devra emprunter 1, 5 milliard d’euros et supporter la charge des 12 millions d’euros d’intérêts ainsi engendrés. L’UNEDIC doit-elle se substituer aux banques ?
Par ailleurs, vous n’hésitez pas à puiser dans la sémantique de la gauche, fût-ce au mépris du sens. Ainsi a-t-on pu vous entendre répéter à l’envi une formule qui nous est chère : la « sécurisation des parcours professionnels ». On regrette seulement que, de ce bel engagement, il ne reste qu’une vision financière ; car, à l’heure de la multiplication des CDD et de la précarisation des emplois, on se demande bien de quelle sécurisation il retourne ! À n’en pas douter, cette formule n’est pas employée dans son acception qualitative. La fusion du congé individuel de formation et du droit individuel à la formation, réclamée par le patronat, réduira la maîtrise par le salarié de son droit à la formation.
En ce qui concerne le devenir de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, monsieur le secrétaire d’État, vous avez clairement exposé la doctrine gouvernementale devant les préfets, le 9 septembre dernier. Sous couvert de règles communautaires et nationales d’ouverture à la concurrence et de décentralisation se profile, entre autres, la préoccupante question du transfert du patrimoine foncier, dont la rénovation et l’entretien seront finalement à la charge des régions, …