Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 1er décembre 2008 à 15h15
Loi de finances pour 2009 — Défense

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

D’en bas, en raison des guerres asymétriques et du terrorisme. Nos intérêts vitaux ne sont pas aisés à définir précisément, et nous ne cherchons d’ailleurs pas à le faire. Mais la puissance même de nos armes nucléaires peut être un obstacle à leur efficacité dissuasive. Le général de Gaulle, qui n’avait pas d’œillères, aurait sans doute préservé toutes les possibilités de riposte éventuelle à une agression caractérisée, y compris par des charges que la précision des vecteurs permet de réduire.

J’avance en terrain miné, car il est évident qu’il ne faut pas se placer dans un schéma de guerres préventives, a fortiori nucléaires, comme cinq anciens chefs d’état-major de pays membres de l’OTAN, dont le nôtre, se sont hasardés à le faire. Cette attitude porte préjudice à notre politique déclarée de lutte contre la prolifération nucléaire.

Au contraire, il est préférable de perfectionner nos capacités de frappe précise à distance : SCALP aéroporté, armement air-sol modulaire, missile de croisière naval. Je n’insiste pas. Mais, dans ce domaine comme dans d’autres, force est de constater l’étirement des programmes dans le temps et les réductions de cibles, par exemple pour le missile de croisière naval. En réalité, nous n’aurons pas de véritable capacité de frappe conventionnelle à distance avant le milieu de la prochaine décennie.

Le second risque est celui de la dispersion dans les opérations extérieures.

Bien sûr, il est logique que la France remplisse les obligations qu’elle tient de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies – nul ne le conteste, ou ne devrait le contester. Bien sûr, il est normal que nous soyons présents en Afrique. L’opération Licorne a sans doute permis d’éviter une guerre civile ravageuse et ruineuse en Côte d’Ivoire. Du reste, je ne suis pas de ceux qui pensent que la réduction de nos bases en Afrique soit une bonne chose : il n’est que d’ouvrir les yeux pour constater que les pays d’Afrique de l’Ouest avec lesquels nous avons conservé des liens étroits n’ont pas eu à subir ces massacres épouvantables qu’a connus l’Afrique anciennement sous domination britannique ou belge. La présence militaire de la France est un facteur de stabilité et d’affermissement des jeunes États, sans lesquels il n’y aura ni démocratie ni développement.

Cela dit, à côté d’une présence utile au Liban ou en Afrique, je m’interroge sur le Kosovo, où nous maintenons à grand prix des forces destinées à soutenir un micro-État non viable, et cela dans la perspective d’une adhésion à l’Union européenne rejetée dans un avenir indéfini ! Pourquoi ne pas renverser les termes de cette équation et subordonner toute perspective d’adhésion à des efforts d’intégration régionale ?

Au Tchad, nos forces structurent une opération plus humanitaire que militaire. Je veux bien vous l’accorder, monsieur le ministre, l’initiative en revient plus à M. Kouchner qu’à vous-même. Mais peut-on traiter un problème politique à travers le seul prisme de l’humanitaire ? Je ne le crois pas.

Enfin, en Afghanistan, nous nous sommes laissé progressivement entraîner par les États-Unis dans un conflit dont les données essentielles nous échappent. L’intervention de 2001, qui pouvait être légitime, a très vite été « délégitimée » par l’invasion de l’Irak. L’intention du futur président Obama de renforcer les effectifs des États-Unis en Afghanistan peut nous entraîner dans un enlisement encore plus profond, car chacun voit bien que le problème se situe surtout au Pakistan : c’est celui de la jeune, très jeune démocratie pakistanaise, aux prises avec son armée.

M. Sarkozy devrait se souvenir de son premier mouvement, qui était le bon, quand, au printemps 2007, candidat à la Présidence de la République, il avait déclaré que la présence des troupes françaises en Afghanistan n’était pas déterminante à ses yeux.

Je termine sur le surcoût des OPEX, qui s’élève à 850 millions d’euros cette année, dont 100 millions d’euros au Kosovo, 230 millions d’euros au Tchad pour l’opération Darfour et 270 millions d’euros en Afghanistan. Notons au passage que leur coût réel – nous aimerions d’ailleurs le connaître ! – est très supérieur. Il retentit sur le taux de disponibilité de nos matériels et sur l’avancement de nos programmes d’armement majeurs.

Je ne souhaite pas m’étendre sur ces questions, qui ont été évoquées par les rapporteurs. Tout de même, je signale que les crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle des matériels sont consommés à 60 % par sept régiments, les soixante-quatorze autres régiments se contentant des 40 % restants. Cela pose un réel problème !

Le NH90 – nouvel hélicoptère des années quatre-vingt-dix, que j’ai lancé, il y a bien longtemps – n’est toujours pas entré en service. La cible de l’hélicoptère Tigre a été ramenée de 250 à 80 appareils. Le nombre de frégates multimissions a été réduit de 17 à 11. En matière de drones, des choix devront être effectués.

Enfin, nous n’accomplissons pas l’effort nécessaire en ce qui concerne la maîtrise de l’espace. Le projet de programme de coopération européen Musis laisse trop de questions en suspens, à commencer par l’architecture générale du système et la participation de l’Italie et de l’Allemagne.

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