Intervention de Didier Boulaud

Réunion du 1er décembre 2008 à 15h15
Loi de finances pour 2009 — Défense

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vivons dans un monde d’une complexité redoutable, où les incertitudes stratégiques rendent la tâche plus difficile quand il s’agit de préparer la défense de demain.

La France se doit bien évidemment de faire face à ses responsabilités vis-à-vis de la communauté internationale, de ses alliés, de nos compatriotes.

Notre pays est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies : cela nous crée certes des droits, mais aussi des devoirs. Ce statut nous conduit à nous impliquer sans relâche au service de la paix et de la sécurité internationale.

Je veux profiter de cet instant pour rendre à nouveau hommage aux soldats français qui, sans relâche, continuent de protéger nos compatriotes partout où ils sont menacés. Et je n’aurai garde d’oublier le dévouement avec lequel ils remplissent toutes les missions que le pays leur confie, non seulement à l’intérieur de nos frontières, mais aussi, très souvent, loin du sol national.

Mes pensées, et celles de l’ensemble des sénateurs du groupe socialiste, sont tournées vers ces femmes et ces hommes qui sont actuellement engagés en opérations extérieures, notamment en Afghanistan.

En fonction de nos engagements internationaux, des missions de nos soldats, les socialistes estiment que la France doit, plus que jamais, soutenir son effort de défense et de prévention des menaces.

Pour ma part, je suis convaincu qu’une extrême rigueur est indispensable pour affronter les défis du monde actuel, défendre nos intérêts et surtout apporter à nos compatriotes la sécurité qui leur est due.

Or, monsieur le ministre, le budget que vous nous présentez ne se caractérise malheureusement pas par la rigueur qu’on était en droit d’espérer. Il ne nous prépare à affronter efficacement ni les menaces ni les périls en gestation !

Je dirais même que ce budget est en quelque sorte un pari. Hélas ! ce pari n’est pas audacieux, il est seulement téméraire tant il repose, à l’évidence, d’abord sur une architecture fragile, ensuite sur des hypothèses douteuses, et surtout sur un héritage calamiteux.

Je commencerai par le dernier point.

Monsieur le ministre, l’héritage du gouvernement précédent, qui était soutenu par la même majorité que le gouvernement actuel, même si j’ai compris depuis longtemps que vous mettiez beaucoup de pudeur à n’en point trop parler pour assumer une solidarité gouvernementale obligée, pèse lourd à l’heure de faire les comptes et de préparer l’avenir.

Nous déplorons encore aujourd’hui – après l’avoir fait sans relâche pendant les cinq années précédentes, avec, souvent, le sentiment de prêcher dans le désert, mais en prenant date malgré tout – que la loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 n’ait pas été respectée, tant en ce qui concerne les effectifs que les programmes d’armement. Et les cris d’orfraie qui ont été poussés à nos oreilles pendant toutes ces années n’y ont rien changé !

La méthode Coué employée par vos amis et par celle qui vous a précédé rue Saint-Dominique n’a rien changé non plus, à l’évidence. Que faisiez-vous au temps chaud, aurait pu dire la fourmi. Vous chantiez? Eh bien, dansez maintenant ! Malheureusement, le sujet est trop sérieux pour que, ensemble, avec les Français, nous ayons désormais à cœur de danser.

Monsieur le ministre, le passif de la gestion précédente – Chirac, Alliot-Marie, Sarkozy – et de sa programmation militaire conditionnent les possibilités actuelles d’avoir un budget cohérent et à la hauteur des besoins de notre défense.

Votre prédécesseur, en faisant preuve de son habituel entêtement – je peux même parler de mauvaise foi, tant la réalité était aveuglante –, en niant que la programmation allait dans le mur, avec un « modèle d’armée 2015 » éculé, qui sombrait sous nos yeux dans le néant, et un carnet de commandes militaires pharaonique et hors d’atteinte, vous a conduit au bord du précipice. Votre bonne volonté ne saurait, hélas, nous en tirer. L’exemple le plus frappant est le deuxième porte-avions, promis juré par la ministre de la défense, qui n’a pas survécu, pour ne pas dire qu’il a coulé, malgré les crédits d’études en trompe-l’œil jetés à l’aveuglette pour amuser la galerie en toute fin de vie de loi de programmation.

Nous avons dit et répété qu’il fallait redresser le tir et revenir à la dure réalité. Nous n’avons nullement été écoutés, voire même entendus. La majorité parlementaire d’alors, la même qu’aujourd’hui, celle qui fait encore semblant de ne rien entendre, a approuvé, année après année, des budgets confortant l’illusion.

II n’empêche que les dégâts de ces années d’aveuglement financier vont coûter cher, très cher, à notre défense.

Des retards ont été pris qui ne sont plus rattrapables, ou alors à des coûts prohibitifs. Nos soldats n’ont parfois même pas pu compter sur les matériels nécessaires. L’armée l’a d’ailleurs reconnu en ce qui concerne les drones, qui ont été l’une des principales victimes, mais, hélas, pas la seule de la loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008. Et je ne fais que mentionner pour mémoire la situation devenue on ne peut plus critique en matière de transport et de ravitaillement, éléments pourtant indispensables au soutien de nos forces sur des théâtres d’opération éloignés des principales voies d’accès maritime.

Or, il faudra bien que vous l’admettiez, votre budget, désormais encadré par la RGPP et avec la perspective d’une prochaine programmation militaire qui revoit à la baisse les mirages de la précédente, est devenu le prisonnier de ce lourd héritage.

Quant à la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, soit dit en passant, elle aurait dû être débattue et votée avant notre discussion actuelle.

Est-ce là une nouvelle marque d’impréparation, l’improvisation qui continue son chemin ou tout simplement une autre preuve d’incohérence ? En tout cas, c’est une nouvelle mauvaise manière faite au Parlement ; ce Parlement dont le pouvoir actuel ne cesse de vouloir faire croire aux Français qu’il le tient en si haute estime qu’il a révisé la Constitution pour lui garantir un rôle de premier plan dans les institutions de la République !

Vous allez devoir, encore plus qu’hier, travailler d’arrache-pied pour réparer les dégâts de la bosse financière alimentée par vos propres amis entre 2002 et 2007. L’un des ministres importants du gouvernement d’alors, je veux parler de l’actuel Président de la République, est sans doute l’un des mieux placés pour vous aider à réparer les dégâts commis puisqu’il fut l’un des ministres des finances ayant cautionné les dérives constatées aujourd’hui.

Votre projet de budget pour 2009 est un budget à l’architecture fragile, construit sur des hypothèses douteuses. En effet, c’est un trompe-l’œil qui ne tient pas compte de la catastrophique situation de nos finances. Il annonce d’ores et déjà des engagements qui ne pourront pas être tenus.

Il s’engage avec la RGPP et la « carte militaire » dans une démarche qui ne semble pas pouvoir compter sur les financements nécessaires à sa réussite. La fermeture de quatre-vingt-deux unités, le transfert de trente-trois autres, la suppression totale de 54 000 emplois militaires et civils d’ici à 2014 et, dans le même temps, le renforcement opérationnel de soixante-cinq régiments et bases militaires afin d’atteindre la masse critique recherchée constituent un effort sans équivalent dans les autres administrations françaises.

Nous doutons fort que les financements prévus suffisent à la réussite de la manœuvre. J’espère simplement que les calculs financiers de cette vaste réforme n’ont pas été faits par ceux-là mêmes qui nous avaient promis des « économies à réaliser » avec la mise en œuvre de la professionnalisation.

J’attends sincèrement que ces restructurations, qui seront réalisées dans les cinq à six années à venir et qui devraient aboutir à une réduction globale du format des effectifs de 54 000 postes, répondent au contrat opérationnel résultant du Livre blanc. Je ne voudrais pas que, chemin faisant, on reproduise la mauvaise expérience du fameux « modèle d’armée 2015 ».

Par ailleurs, permettez-moi d’y insister, j’ai les plus grandes inquiétudes quant à l’exécution du budget en cours, tant il est évident que la bonne exécution du budget de 2009 dépendra d’abord de celle du budget de 2008 : c’est là un fait incontournable. Il semblerait que le niveau des reports de charges, autour de 2, 6 milliards d’euros, jette d’ores et déjà une ombre funeste sur le tableau idyllique présenté par le ministère de la défense. Nous avons auditionné les quatre chefs d’état-major, et leur inquiétude quant à l’exécution du budget 2008 résonne encore à nos oreilles comme une antienne attristée.

À quelques heures du débat parlementaire sur les crédits de la mission « Défense », le Gouvernement a fait paraître un décret portant ouverture et annulation de crédits. Voilà qui nous éloigne du climat optimiste et consensuel, dont vous parliez tout à l’heure, monsieur le ministre, qui prévalait à l’Assemblée nationale lors de l’examen de ces mêmes crédits. Plusieurs députés de l’UMP, dont les rapporteurs, avaient alors vanté un budget qui n’a pas subi d’annulations de crédits en 2008. Ainsi, le prochain projet de loi de finances rectificative viendra corriger sérieusement le budget voté en 2008 et, par la même occasion, alourdir le projet de budget pour 2009.

Malheureusement, le document du Gouvernement n’explique pas le détail de l’annulation concernée. On peut simplement remarquer que l’équipement des forces, les programmes d’armement seront bel et bien touchés ainsi que le soutien de la politique de défense.

Il serait intéressant, monsieur le ministre, que vous nous donniez le détail des programmes concernés. On peut aussi se demander s’il s’agit du dernier décret d’annulation ou s’il y aura encore des motifs de désespérer.

Une autre question s’impose donc dès à présent : le ministère sera-t-il autorisé à consommer tout ou partie des crédits de paiement reportés sur le programme « Équipement des forces » ?

En théorie, le projet de budget tend à améliorer le rapport entre dépenses opérationnelles et dépenses administratives. Leurs parts respectives de 40 % et de 60 % devraient donc s’inverser. C’est une bonne chose, mais nous aurons à cœur de procéder aux vérifications nécessaires en fin de programmation.

Avec 30, 4 milliards d’euros de crédits de paiement et 1, 6 milliard d’euros de ressources exceptionnelles, ce projet de budget semble, lors d’un examen rapide, raisonnablement ambitieux. Or ces fameuses ressources exceptionnelles – 1, 6 milliard d’euros tout de même ! – se décomposent entre 0, 6 milliard d’euros de cessions de fréquences hertziennes et 1 milliard d’euros de cessions immobilières du ministère de la défense.

Nous ferons nôtre la formule du président Jean Arthuis pour considérer que ce montage traduit « une débudgétisation difficilement supportable et un manque de sincérité ».

Des points importants dépendent de cette insincérité budgétaire : les emplois supprimés vont-ils réduire les capacités opérationnelles de nos armées ? Comment surmonterons-nous alors la déjà trop faible disponibilité opérationnelle de certains matériels, comme les aéronefs ? Comment faire pour que la France puisse assumer sans risque de rupture ou de surchauffe ses nombreuses implications dans des opérations extérieures ? Comment faire face à l’augmentation prévisible du coût des OPEX en 2009 ?

Les rapporteurs évoquent plusieurs hypothèses budgétaires dont dépend la réalisation du projet.

Nous avons parlé des « ressources exceptionnelles ». Je m’autorise pour ma part à les considérer comme exceptionnellement aléatoires.

Autre hypothèse dangereuse : la croissance du coût des OPEX, estimé à 1 milliard d’euros pour 2009. Or nous savons que les crédits inscrits dans le projet de loi de finances ne correspondent déjà probablement qu’à la moitié des dépenses réelles des opérations extérieures.

Compte tenu des engagements extérieurs de la France, en particulier de la guerre menée en Afghanistan, nous insistons pour considérer qu’il y a, en urgence, deux problèmes à résoudre en 2009 : l’amélioration de l’entraînement de nos forces et le maintien en condition opérationnelle de nos matériels.

Je souhaite aussi que, dès 2009, on prête la plus grande attention à la façon dont le Gouvernement compte aborder la question de la réduction des effectifs. Ajouter du chômage au chômage n’est sans doute pas ce que l’on peut faire de mieux au moment où notre économie nationale est mise en péril de toutes parts par les soubresauts de la crise de l’ultralibéralisme et du capitalisme débridé et à une époque où les files d’attente s’allongent aux portes de l’ANPE.

Cette restructuration exigera le déploiement d’importants dispositifs d’accompagnement des personnels. Aussi importe-t-il de maintenir un recrutement attractif, en particulier pour les militaires du rang.

Les suppressions de postes, militaires et civils, ne seront acceptées que si elles s’inscrivent dans le cadre d’une redéfinition des missions et d’un accompagnement social adapté. On ne pourra pas demander indéfiniment à nos armées de faire plus et mieux avec moins de personnel et moins de moyens.

Le projet de budget pour 2009 se fixe des objectifs très ambitieux, pour ne pas dire trop ambitieux. C’est pourquoi je vous appelle à faire montre d’un peu plus de réalisme, pour plus d’efficacité aussi.

Monsieur le ministre, les sénateurs socialistes ne sauraient cautionner votre budget, trop fragile et, à l’évidence, par trop insincère.

Il s’inscrit en effet dans une logique politique caractérisée par un alignement atlantiste irraisonné et difficilement justifiable après huit années d’une calamiteuse politique « bushiste », même si un peu d’espoir est revenu dans le monde avec la victoire du président Obama.

Il est la traduction de la seule volonté présidentielle d’un retour hasardeux dans toutes les structures de l’OTAN, sans justification réelle, hormis l’alignement idéologique évoqué ci-avant.

Il cautionne l’engagement accru en Afghanistan, que nous dénonçons encore et encore.

Enfin, il est la traduction du peu d’entrain que la présidence française a développé pour soutenir la défense européenne, malgré beaucoup d’agitation médiatique, agitation médiatique qui aura, hélas, caractérisé l’ensemble de la présidence française de l’Union au cours du semestre écoulé.

Aussi ne voterons-nous pas votre projet de budget pour 2009, en attendant de pouvoir débattre du projet de loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, dont il aurait pourtant dû être la première traduction.

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