Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 5 avril 2005 à 16h00
Eau et milieux aquatiques — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rêvons un peu.

Imaginons un martien atterrissant dans notre beau pays.

L'habitant de la planète désertique serait d'abord émerveillé d'y voir couler tant d'eau : celle des fleuves, des rivières et des ruisseaux, mais aussi celle des fontaines des villes, des robinets des habitations partout sur le territoire, celle des canaux d'irrigation de plus en plus nombreux...

Revenu de son éblouissement premier, incrédule, il constaterait rapidement, à l'arrière du tableau, des ombres et une suite d'incohérences.

Il constaterait que l'abondance aquatique s'accompagne de déficits régionaux ou saisonniers ponctuels. Cela concerne évidemment les départements méridionaux subissant une forte pression démographique, mais aussi beaucoup d'autres départements. En 2003, par exemple, dans les trois quarts des départements français, les préfets ont pris des arrêtés réglementant la consommation d'eau, pour faire face à la sécheresse.

Il constaterait non seulement que la pollution menace le milieu et la ressource, mais que ceux qui polluent le moins sont ceux qui payent le plus pour la contenir : globalement, quelque 84 % des redevances et 89 % de la redevance pour pollution sont acquittés par les collectivités locales, donc essentiellement par l'usager domestique, contre 1 % par les agriculteurs et 0 %, sauf erreur de ma part, par les producteurs de nitrates et pesticides divers.

Intrigué, il relirait le dernier état de la Constitution française, dont on lui aurait parlé lors de son stage de préparation au voyage, et il y trouverait cette forte formule : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement dans les conditions définies par la loi. »

Par chance, il se trouve que l'on débattait au Sénat au même moment du projet de loi sur l'eau, ce qui lui avait permis de s'apercevoir que ce dernier ne rectifie qu'à la marge, de quelques points, l'iniquité manifeste de traitement entre ceux qu'il est convenu d'appeler « les usagers de la ressource ».

Autre sujet d'étonnement pour notre martien : la définition de la politique de l'eau, et ce qu'il appellerait, ayant appris un français standard, la « gestion de la ressource », ignorant qu'il serait plus « tendance » de parler de la « gouvernance de l'eau ». Voilà un système, s'agissant de répondre à la demande et d'assurer le service et son financement, qui repose principalement sur les épaules de collectivités locales - communes et intercommunalités, départements, parfois régions - alors même qu'elles ne peuvent pas véritablement peser sur les grands enjeux de la politique de l'eau.

On avait dit à notre martien, toujours lors de son stage de préparation au voyage, que la France était le pays de la décentralisation, qu'elle y connaissait même depuis trois ans une nouvelle jeunesse.

Il s'étonnerait donc que l'Etat - qui, depuis la captation du produit du pari mutuel urbain et la suppression du FNDAE, ne contribue plus que marginalement au financement de la politique de l'eau - dispose au sein des comités de bassin et des conseils d'administration des agences de l'eau du même nombre de représentants que les collectivités locales.

Il s'étonnerait plus encore qu'il désigne le président de leur conseil d'administration.

Il penserait juste et nécessaire que ces collectivités locales disposent de 50 % des sièges dans ces deux organismes et que le président du conseil d'administration des agences de l'eau soit élu parmi leurs représentants.

Il se dirait, accessoirement, que cette disposition donnerait un fondement juridique plus solide aux redevances décidées par les agences, rendant inutile le plafonnement de leurs dépenses, à des niveaux dont on sait qu'ils sont très en dessous des besoins.

Il espérerait, par cette augmentation significative de la représentation des élus locaux, réduire le pouvoir de la bureaucratie toute-puissante qui, à. l'abri de complications techniques parées des plumes de la science et de l'objectivité, est le véritable patron de la politique des agences de l'eau.

Un système de redevance complexe, multipliant seuils et assujettissements forfaitaires, peu soucieux des efforts réels des acteurs, est encore le moyen le plus simple d'éviter de parler de ce qui fâche, de perpétuer les inégalités de traitement et, finalement - ce qui est essentiel - d'assurer son pouvoir.

Devenus pourtant des acteurs incontournables en matière d'eau et d'assainissement au fil des années, les départements sont les premiers à se plaindre d'être tenus pour quantité négligeable par les agences. Ils déplorent devoir trop souvent se plier aux oukases de ces dernières et ils éprouvent des difficultés à harmoniser les politiques des uns et des autres.

Un renforcement du poids et du rôle des élus locaux au sein des comités de bassin et des agences serait de nature à faciliter cette harmonisation et à développer des politiques contractuelles, lesquelles sont de plus en plus indispensables.

Notre martien, pénétrant de plus en plus les arcanes du système, se dirait qu'une telle solution garantirait une postérité au défunt fonds national pour le développement des adductions d'eau, le FNDAE. En effet, il y aurait quelque paradoxe à ce que les communes rurales, dont provient l'essentiel de la ressource en eau - sans qu'elles en tirent d'autre avantage que des contraintes de protection -, se voient privées d'un des principaux leviers de leur politique en matière d'eau et d'assainissement.

Il imaginerait que départements et agences pourraient coordonner leurs politiques, définissant des programmes spécifiques aux communes rurales et y affectant des crédits clairement identifiés.

J'en resterai là de ma chronique martienne, ajoutant simplement que même si, par certains aspects, le projet de loi qui nous est présenté va dans le bon sens, les pas sont bien petits !

Autant que je puisse en juger, les propositions des commissions vont un peu plus loin, mais seulement un peu. Nous nous efforcerons, par nos amendements, de réduire la distance entre les grands principes et les réalités, si tel est votre voeu, mes chers collègues.

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