Intervention de Claude Biwer

Réunion du 5 avril 2005 à 16h00
Eau et milieux aquatiques — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Claude BiwerClaude Biwer :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui a l'objectif ambitieux d'aboutir, à l'horizon 2015, à un « bon état écologique de l'eau » en France. Nous ne pouvons qu'y souscrire.

Il est vrai que - une fois n'est pas coutume - nous sommes pressés d'agir dans ce domaine par les autorités européennes. En effet, la directive-cadre européenne du 23 octobre 2000 établit un schéma de politique communautaire durable dans le domaine de l'eau : tout d'abord, elle incite les Etats membres à protéger et à restaurer leur ressource en eau afin de parvenir à un bon état chimique et écologique, dans un délai de quinze ans ; ensuite, elle les invite à arrêter progressivement le rejet de certains produits dangereux dans un délai de vingt ans ; enfin, elle recommande aux usagers de participer à l'élaboration et au suivi des politiques menées par les Etats et de tenir compte du principe de récupération des coûts des services liés à l'utilisation de l'eau.

Monsieur le ministre, vous ne nous l'avez pas caché, la situation de l'eau en France n'est pas satisfaisante actuellement. Ainsi, le « bon état écologique des eaux » n'est atteint que sur la moitié environ des points de suivi de la qualité des eaux superficielles. Par ailleurs, dans certaines régions, d'importants déséquilibres entre les besoins et les ressources en eau sont préjudiciables aux activités économiques et à l'équilibre écologique des milieux aquatiques.

Pourtant, ces quinze dernières années, de très gros efforts en matière d'assainissement des eaux usées ont été réalisés par les collectivités territoriales comme par les industriels, efforts que traduit d'ailleurs une hausse importante des redevances d'assainissement qui sont supportées par nos « concitoyens contribuables ».

Les agences de l'eau ont également joué un rôle majeur dans le développement des réseaux d'assainissement et le traitement des eaux usées par l'octroi de subventions en capital non négligeables aux collectivités territoriales, pour permettre à ces dernières de compléter le financement de leurs plans d'investissements.

Cependant, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, plusieurs problèmes pendants doivent recevoir très rapidement des solutions satisfaisantes. Il s'agit notamment de l'inconstitutionnalité des redevances, de la complexité et, parfois, du manque de transparence des dispositifs, de la difficulté de lutter efficacement contre la pollution par les engrais et les produits phytosanitaires, de la qualité défaillante de l'assainissement non collectif et, enfin, de l'insuffisante coordination de la gestion des petits prélèvements.

Je m'attacherai, en premier lieu, aux aspects de votre texte qui me paraissent positifs, avant de vous faire part, en second lieu, d'un certain nombre d'interrogations.

Je crois pouvoir dire que, par bien des aspects, votre projet de loi répond incontestablement au besoin de transparence, de simplicité et d'équité qu'éprouvent les acteurs de la distribution de l'eau, notamment les élus des collectivités territoriales. Je pense, par exemple, à la conformité des redevances de bassin à la Constitution, puisque les règles d'assiette ainsi que les plafonds ou fourchettes de taux seront désormais votés par le Parlement. Je pense également à la perception de la redevance pour pollution domestique dont sera désormais redevable le service de l'assainissement, ce qui réduira le sentiment d'inégalité ressenti d'une collectivité à une autre.

Le texte traite également de la lutte contre les pollutions diffuses, notamment d'origine agricole. Toutefois, il mérite d'être amélioré sur le plan de la connaissance et de la traçabilité des produits phytosanitaires utilisés ainsi que sur l'impact de ces produits sur la qualité des eaux et sur la santé publique.

D'autres mesures me paraissent particulièrement satisfaisantes comme, par exemple, l'extension du pouvoir des collectivités territoriales, pour ce qui concerne aussi bien les contrôles de l'assainissement non collectif que les possibilités d'intervention sur les parties privatives, ou l'accroissement du rôle des départements - ils se sentent un peu évincés par ce texte -, notamment par le biais des SATESE, les services départementaux d'assistance technique aux exploitants des stations d'épuration, dont les compétences sont étendues aux domaines de l'assainissement autonome, de l'alimentation en eau potable, de la gestion des eaux de ruissellement et de l'entretien des rivières. Bien qu'ils disposent de compétences facultatives en la matière, ces services devraient pouvoir apporter une expertise, qui sera souvent salutaire aux gestionnaires des services des eaux.

J'ajoute que la création d'un fonds de garantie chargé d'indemniser les dommages causés par l'épandage de boues d'épuration urbaines et industrielles constitue également une très bonne mesure, attendue depuis de longues années par les agriculteurs. En effet, certains leur demandent d'épandre les boues alors que d'autres le leur interdisent ou les pénalisent s'ils le font.

Toutefois, après ces propos quelque peu laudateurs, souffrez, monsieur le ministre, que je mette l'accent sur un certain nombre de dispositions qui suscitent des interrogations.

S'agissant, en premier lieu, des évolutions institutionnelles, permettez-moi tout d'abord de m'interroger sur l'articulation existant entre les comités de bassin, au sein desquels je regrette l'absence de parlementaires, et les agences de l'eau.

Le rôle des comités de bassin est, en principe, renforcé, puisqu'on leur impose de donner un avis conforme aux délibérations du conseil d'administration de l'agence de l'eau et d'approuver le programme pluriannuel d'intervention et les taux des redevances.

Le président du comité de bassin sera élu par son conseil d'administration, alors que le président de l'agence de l'eau sera nommé par décret, tout comme d'ailleurs les directeurs des agences. Or ce sera bien l'agence de l'eau qui élaborera son programme pluriannuel d'intervention, qui attribuera des aides financières pour procéder à la réalisation de travaux d'intérêt général, qui participera financièrement à la réalisation des schémas d'aménagement et de gestion des eaux, les SAGE, et qui mettra en recouvrement les redevances, désormais très nombreuses.

J'observe, au surplus, que le SAGE sera approuvé par le préfet et que celui-ci pourra également le modifier. N'assistons-nous pas là, en l'occurrence, à une sorte de recentralisation rampante des agences de l'eau, qui ont pourtant fait leurs preuves et ne puisent leurs ressources qu'à travers les redevances ?

Permettez-moi de vous dire à ce sujet, monsieur le ministre, que je suis pour le moins inquiet face à la multiplication des redevances qui seront, in fine et pour l'essentiel, mises à la charge des consommateurs d'eau : redevance pour pollution de l'eau, redevance pour modernisation des réseaux de collecte, redevance pour pollutions diffuses, qui remplace la TGAP, la taxe générale sur les activités polluantes, redevance pour prélèvements de la ressource en eau, redevance pour stockage d'eau en période d'étiage, redevance pour obstacles sur les cours d'eau, redevance pour protection des milieux aquatiques ; voilà nombre de redevances sur lesquelles nous devrons revenir au cours du débat afin d'être éclairés.

Par ailleurs, monsieur le ministre, vous obligez les collectivités territoriales à gérer les eaux pluviales en les incitant notamment à améliorer leur capacité d'épuration. Cette disposition se traduira très vraisemblablement par une nouvelle et significative hausse du prix du mètre cube d'eau distribué. Or vous savez bien que, dans cette affaire, les conseilleurs ne sont pas les payeurs, et ce sont les élus qui sont en première ligne pour affronter les réactions de leurs concitoyens !

Je dirai, pour simplifier, que l'écologie coûte cher, et de plus en plus cher, notamment pour les consommateurs d'eau : s'agissant des redevances perçues par les agences de l'eau, les ménages resteront en effet les plus gros contributeurs, avec une part de 82 %, alors que celle des industriels s'élève à 14 %, et celle des agriculteurs à 4 %.

En deuxième lieu, je tiens à évoquer la suppression du Fonds national de développement des adductions d'eau, le FNDAE, qui continue de susciter de très graves inquiétudes tant auprès des maires des communes rurales que des responsables des départements, qui se voient privés d'une part des ressources avec laquelle ils encourageaient les collectivités territoriales à réaliser leurs travaux.

Rappelons que, dans un esprit de péréquation entre la ville et la campagne, ce fonds apportait un financement complémentaire non négligeable aux communes rurales qui avaient à supporter des dépenses très importantes au titre de l'adduction d'eau et bien plus encore, compte tenu de la longueur des réseaux à réaliser en milieu rural et de leurs faibles ressources, au titre de l'assainissement.

Les compétences du FNDAE ont été transférées aux agences de l'eau, qui doivent, en principe, prendre en charge les missions de solidarité en faveur des communes rurales dans le domaine de l'adduction d'eau et de l'assainissement, missions qui étaient jusqu'alors assurées par l'Etat grâce aux ressources de ce fonds, en concertation avec les départements. J'ose espérer que tel sera toujours le cas et que les élus des communes concernées ne seront pas déçus par ce nouveau système de financement.

Comme vous le savez, les besoins sont immenses et les ressources bien faibles. Je pense, au demeurant, qu'il serait prudent que nous inscrivions dans la loi que les sommes que devront consacrer les agences de l'eau à ces missions de solidarité seront au moins égales à celles qui alimentaient, précédemment, le FNDAE. Elles ne doivent pas se fondre dans les autres financements !

Monsieur le ministre, j'ajoute que votre texte ne limite pas la durée des contrats des délégataires de service public - pour parler clairement, des grandes compagnies des eaux - et n'encadre pas davantage la part fixe dans la facture d'eau, qui est souvent source d'incompréhension pour les redevables.

S'agissant des renouvellements et des grosses réparations à caractère patrimonial que le contrat de délégation du service public d'eau et d'assainissement peut mettre à la charge du délégataire, vous prévoyez, à juste titre, l'établissement, en fin de contrat, d'un rapport énumérant les travaux réalisés et, d'autre part, le versement d'une somme correspondant au montant des travaux stipulés au programme prévisionnel et non exécutés dans le budget de l'eau et de l'assainissement du délégant.

Dans la mesure où certains contrats de délégation de service public auraient d'ores et déjà prévu des renouvellements ou des grosses réparations sur les réseaux d'eau ou d'assainissement, je pense qu'il serait opportun que cette dernière mesure leur soit également appliquée.

En outre, il ne me semble pas possible de passer sous silence la pollution des sols et des nappes phréatiques par les nitrates.

Selon l'Institut français de l'environnement, la moitié du territoire est classée en zone vulnérable pour cette pollution, même si elle cette dernière est sans doute plus importante dans certaines régions bien connues que dans d'autres. Les agriculteurs et les éleveurs sont tout à fait conscients de ce problème et se tournent de plus en plus vers une agriculture raisonnée, mais il faudra du temps et beaucoup d'argent pour retrouver une situation plus satisfaisante. Et il en est de même pour les pesticides, dont la présence est avérée dans les trois quarts des cours d'eau et dans la moitié des nappes souterraines.

Je souhaiterais également vous faire part, monsieur le ministre, d'un certain nombre de préoccupations relatives à certaines mesures envisagées pour réaliser le « décloisonnement écologique » des cours d'eau, mesures qui pourraient avoir des conséquences non négligeables sur la production hydroélectrique de notre pays, qui est par définition non polluante.

Les assouplissements apportés à l'application du débit réservé minimum afin d'améliorer la vie aquatique pourraient conduire à une perte annuelle de 3 milliards de kilowatts d'énergie renouvelable hydroélectrique - énergie qui n'est d'ailleurs pas uniquement produite par EDF -, ce qui correspondrait à 5 % de la production totale d'origine hydraulique de notre pays. Cela entraînerait une réduction significative du potentiel français en matière d'énergies renouvelables, alors même que de nombreux efforts sont entrepris par ailleurs pour les développer.

Circonstance aggravante, plus de la moitié de la perte de production concernerait l'énergie de pointe indispensable à la sécurité du réseau électrique ; or, face à un refroidissement important des températures, nous avons pu constater, dans le courant des mois de février et de mars, combien il était nécessaire de mobiliser toutes les énergies disponibles afin d'éviter des coupures dans l'alimentation en électricité des entreprises et des particuliers.

J'ajoute que les études montrent que les débits minimums nécessaires aux milieux varient selon la nature de la rivière, les espèces concernées et les usages qui se sont développés. Ainsi, pour certains cours d'eau, cette disposition pourrait être sans effet bénéfique sur la vie piscicole.

Je pense que la valeur des débits réservés, de même que la gestion des éclusées, devrait être fixée en fonction de l'état écologique de la rivière, en tenant compte des enjeux énergétiques de notre pays.

Dans le cas contraire, la réduction du potentiel hydroélectrique affaiblirait les marges de sécurité du système électrique français et obligerait à prévoir une substitution d'origine thermique, entraînant une augmentation substantielle des émissions de CO2 à hauteur de 1 million de tonnes par an environ. Monsieur le ministre, il ne faudrait pas que votre projet de loi, qui a une vocation écologique certaine, aboutisse, sur ce point, au résultat inverse de celui qui est escompté.

S'agissant, en dernier lieu, des dispositions relatives à la pêche et aux milieux aquatiques, le remplacement du Conseil supérieur de la pêche par l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l'ONEMA, ne semble pas poser de problème.

En revanche, l'augmentation du montant de la redevance, que vous aviez envisagée dans un premier temps, monsieur le ministre, et qui devait être mise à la charge des pêcheurs afin d'alimenter le futur office a suscité l'incompréhension des intéressés. Ces derniers estimaient, en effet, ne pas mettre en péril les milieux aquatiques et souhaitaient que cette mesure soit rapportée.

Je crois que vous avez entendu leur message puisque vous avez fixé des plafonds plus raisonnables. Néanmoins, on peut s'interroger sur la pertinence du supplément de redevance de 20 euros qui sera exigé des personnes qui se livrent à l'exercice de la pêche de l'alevin d'anguille, du saumon et de la truite de mer. Je partage d'ailleurs, sur ce thème piscicole au sens large du terme, les arguments que Mme Françoise Férat a développés tout à l'heure.

Telles sont, monsieur le ministre, les observations que je souhaitais formuler à l'égard de ce projet de loi, qui comporte quelques imperfections que je me suis plu à souligner, suscite de nombreuses interrogations et exige que nous y apportions quelques améliorations.

Avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, je voterai ce texte, tout en restant attentif à son impact réel, car il y va de l'avenir de notre ressource en eau.

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