Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques dont nous sommes aujourd'hui saisis en première lecture est un texte particulièrement attendu.
L'actualité est, en effet, inquiétante en matière de qualité de l'eau, qu'il s'agisse des pollutions accrues, non seulement des eaux superficielles mais, de plus en plus, des eaux souterraines, de la hausse de la facture payée par les particuliers - les maires que nous sommes, du moins la plupart d'entre nous, connaissent bien ces problèmes -, qu'il s'agisse aussi des déséquilibres de la ressource, avec les fortes fluctuations entre périodes d'inondations ou de sécheresse, que l'on se trouve en un point ou un autre du territoire, qu'il s'agisse encore des répartitions de compétences entre collectivités territoriales, et des nombreuses condamnations de la France par la Commission européenne pour manquement à certains de nos engagements européens.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous convenons totalement de la nécessité de ce texte, qui doit nous permettre de moderniser notre législation et de mieux prendre en compte ces objectifs environnementaux.
Nous saluons également la méthode choisie par les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin. D'une part, il s'est agi de sérier les questions en traitant des inondations dans la loi sur la prévention des risques technologiques et naturels, en transposant dans une loi particulière la directive-cadre, en intégrant certaines dispositions relatives à la consommation et la qualité de l'eau dans la loi relative à la politique de santé publique. D'autre part, vous avez su, monsieur le ministre, inscrire votre démarche dans la continuité de celle de votre prédécesseur, Mme Bachelot-Narquin, en donnant une très grande place à la concertation dans la préparation de ce texte.
Je n'insisterai pas sur les grandes orientations de ce projet de loi que notre excellent rapporteur, Bruno Sido, a détaillées avant moi, et que de nombreux collègues ont déjà commentées.
Pour autant, il me semble indispensable de souligner que le texte que nous adopterons devra garantir tous les équilibres entre les différents usages de l'eau. Et c'est à ce titre que je me permets d'insister, après, d'ailleurs, plusieurs de mes collègues de tendances politiques différentes, sur les choix que nous allons être amenés à faire en matière d'hydroélectricité.
La France a développé, tout au long du XXe siècle, son patrimoine hydroélectrique pour disposer aujourd'hui du premier parc hydroélectrique de l'Union européenne.
Ce parc participe pleinement de notre bouquet énergétique, qui fait appel à différentes sources d'énergie dont la complémentarité assure l'équilibre entre production et consommation.
Parallèlement, la France s'est engagée à respecter des objectifs forts pour préserver notre environnement : porter d'ici à 2010 la part des énergies renouvelables dans notre consommation d'électricité à 21 % ; atteindre un bon état écologique des eaux en 2015 ; tenir nos engagements internationaux, notamment ceux du protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre, ce qui revient à diviser par quatre nos émissions d'ici à 2050.
La question qui se pose, mes chers collègues, est celle de la conciliation entre ces différents engagements, sachant que, si la France est l'un des premiers producteurs d'énergie renouvelable en Europe, c'est bien grâce à l'hydroélectricité.
Or le projet de loi, dans la rédaction qui nous est proposée, ne va pas sans soulever de nombreuses interrogations, voire de nombreuses inquiétudes.
En effet, les incidences du texte sont d'ores et déjà très claires.
L'impact de l'article 4 sur les débits réservés en termes de perte de production est évalué par les experts à 3 milliards de kilowattheures sur environ 65 milliards de kilowattheures produits annuellement par l'hydroélectricité en France. Quant à l'impact de l'article 2 sur les éclusées, il est, lui, évalué à 2, 5 milliards de kilowattheures de production modulable.
De plus, les 10 % de turbinage autorisés dans le projet de loi d'orientation sur l'énergie, que nous examinerons ici en deuxième lecture début mai, me paraissent très loin d'apporter une compensation, car ils demanderaient des investissements importants qui ne sont pas toujours techniquement possibles.
Ainsi, la réduction du potentiel hydroélectrique de notre pays affaiblira nos marges de sécurité en réduisant nos capacités de production d'électricité en phase de pointe, et accroîtra nos émissions de CO2, puisque l'essentiel de cette production perdue sera compensée par de l'électricité produite à partir de l'énergie thermique.
Enfin, la nouvelle architecture des redevances prévue par le texte se traduira, à n'en pas douter, par une augmentation de la contribution aux agences de l'eau.
Au total, un grand journal économique calculait récemment que la loi sur l'eau pourrait coûter plus de 360 millions d'euros par an à EDF, notre grande compagnie nationale. Monsieur le ministre, confirmez-vous cette évaluation ? Et, de façon plus large, quel sera l'impact sur l'avenir de l'entreprise, notamment dans la perspective de l'ouverture de son capital ?
Monsieur le ministre, il nous faudra veiller, et je m'y emploierai personnellement en tant que rapporteur du projet de loi d'orientation sur l'énergie, à la bonne coordination entre ce texte et le présent projet de loi.
C'est pourquoi je souhaiterais, dans un premier temps, que nous puissions amender le texte qui nous est proposé en trouvant les solutions - et il y en a ! - qui permettent de concilier production d'électricité hydroélectrique et respect de l'environnement dans les rivières concernées.
Dans cette perspective, je défendrai plusieurs amendements, dont je tiens dès maintenant à expliciter la portée.
Je souhaiterais, tout d'abord, que les dispositions proposées par les articles 2 et 4 du projet de loi tiennent pleinement compte des nécessités que j'ai rappelées précédemment et que, en ce qui concerne tant la réduction de l'impact des éclusées que les nouvelles règles relatives au débit réservé, nous n'adoptions pas des dispositions obérant le potentiel hydroélectrique français d'une manière excessive, au risque, sinon, de déstabiliser la sécurité du réseau.
Je vous proposerai également de réintégrer le Rhône dans la liste des cours d'eau bénéficiant de dérogations, dans la mesure où la gestion de ce fleuve ne dépend pas uniquement de l'administration française, et sachant que l'enjeu énergétique est important.
Par ailleurs, je vous ferai des propositions visant à la préservation de l'équilibre financier des contrats de concession hydroélectrique, notion reconnue par la jurisprudence administrative, car il importe de ne pas déséquilibrer ces contrats qui s'exécutent sur des périodes relativement longues, susceptibles, pour certaines d'entre elles, d'aller jusqu'à soixante-quinze ans.
En outre, deux amendements à l'article 8 du projet de loi, qui traite des sanctions en cas de destruction de frayères, visent à créer un cadre juridique prévisible pour les exploitants afin que ces derniers ne soient pas sanctionnés s'ils respectent les prescriptions fixées par les actes d'autorisation.
Enfin, je vous proposerai deux amendements visant à faire prendre en compte par les documents de gestion des eaux, les SDAGE et les SAGE, les nécessités liées à la production d'énergie hydroélectrique en raison de sa contribution à la lutte contre l'effet de serre.
Faudra-t-il, au cours de la deuxième lecture au Sénat du projet de loi d'orientation sur l'énergie, supprimer l'objectif du texte initial du Gouvernement, confirmé au cours des précédentes lectures, aux termes duquel : « La France doit également conforter son potentiel de production d'électricité d'origine hydraulique. » ? J'ose espérer que nous n'en arriverons pas là !