Intervention de Serge Larcher

Réunion du 5 avril 2005 à 16h00
Eau et milieux aquatiques — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Serge LarcherSerge Larcher :

De nombreux orateurs ont rappelé avant moi l'accueil mitigé reçu par le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques que vous soumettez à notre examen aujourd'hui, monsieur le ministre.

« Décevant » pour les uns, « équilibré » pour les autres, il ne fait, de toute façon, ni unanimité, ni consensus. Pour ma part, je regrette d'emblée que ce texte, comme beaucoup d'autres, fasse peu de cas des particularités et contraintes liées au contexte insulaire de la Martinique, en particulier, et des départements d'outre-mer, en général.

Il n'en reste pas moins que l'enjeu principal est aujourd'hui le respect des objectifs de la directive-cadre sur l'eau du 23 octobre 2000, en particulier, atteindre d'ici à 2015 le « bon état écologique » sur les trois quarts des masses d'eau. Chacun d'entre nous ne peut qu'être d'accord avec l'objectif - je vous cite, monsieur le ministre - qui consiste à : « avoir d'ici dix ans une eau de totale qualité dans la nature ».

La question est de savoir comment nous y parviendrons. En effet, qui dit protection de la ressource, dit aussi amélioration du système d'assainissement, ce qui est encore plus vrai face à la fragilité de l'écosystème insulaire.

Or, déjà, sur ce point, j'ai de grosses inquiétudes. En effet, « 4 à 5 milliards d'euros d'investissement par an seront nécessaires pour » - je vous cite à nouveau, monsieur le ministre - « permettre aux collectivités locales d'avoir financièrement les moyens de répondre aux besoins en matière d'eau potable et d'assainissement ».

Mais, comme vous abandonnez le projet de taxe sur les nitrates et pesticides, le chlordécone, en particulier, pour la Martinique, à la demande du Président de la République, il est vrai, permettez-moi de craindre que votre action en faveur d'une politique de l'eau ambitieuse et efficiente ne soit lourdement grevée.

Ce choix politique n'en est pas moins perçu par les écologistes et les associations de défense des consommateurs comme une « capitulation » face aux lobbies des gros agriculteurs. Il témoigne, selon eux, d'une « cruelle absence d'ambition réformatrice », qui aura pour conséquence de faire peser, encore et toujours, le coût de la dépollution sur les seuls ménages. Le consommateur devra donc financer 85% du budget de la dépollution via les taxes et les redevances.

Ce problème du financement de l'assainissement par les communes inquiète d'ailleurs notre rapporteur, qui n'a pas manqué d'affirmer dans la presse que « les objectifs fixés aux communes pour 2005 ne pourront pas être tenus », et qu'il « faudra trouver d'autres solutions ». J'espérais bien que le projet de loi présenté allait les prévoir... Or je reste sur ma faim.

Ce n'est pas l'article 25 du projet de loi, qui tend à la modification de l'article L. 2224-2 du code général des collectivités territoriales, en permettant le financement de l'assainissement, sous certaines conditions, par le budget général, qui va arranger les choses.

Au contraire, il eût été plus opportun de permettre aux syndicats de communes, qui ont deux budgets distincts, alimentés essentiellement par la redevance, de financer l'assainissement par le budget « Eau potable », ainsi que par des participations des communes sur leur budget général.

En Martinique, compte tenu des difficultés que rencontrent les syndicats des eaux et assainissement en raison de leur retard en termes de structure, de mise en place de réseaux et de protection de la ressource, et parce qu'il faut protéger le littoral, il serait nécessaire de créer un abondement de leurs subventions versées par l'Etat.

Nous aurions pu espérer que ce dernier dégage de véritables fonds pour alimenter les structures existantes plutôt que d'en créer de nouvelles. Ces moyens auraient permis de réaliser des investissements colossaux en matière d'assainissement, notamment pour rendre conformes les stations d'épuration et les réseaux.

Au lieu de cela, on constate à une dilution des responsabilités et à un manque d'efficience sur le terrain, à une insuffisance des fonds pour réaliser les travaux, pourtant si nécessaires aujourd'hui.

Le second point qui me préoccupe concerne la police de l'eau. « Renforcer et simplifier la police de l'eau » font partie des orientations de ce projet de loi. Ce qui, de fait, est une bonne chose, puisque cette police de l'eau n'est appliquée ni en matière de prévention, ni en matière de sanction, et ce en raison de l'insuffisance de moyens humains des services de l'Etat pour assurer les contrôles sur les rivières productrices d'eau potable.

Or les dispositions proposées se contentent de renforcer la police de l'eau d'une manière générale et de faciliter la constatation de l'infraction, mais le pouvoir de police demeure concentré au niveau de l'Etat.

Aucune mesure de simplification n'est réellement proposée dans le texte. En Martinique, par exemple, les EPCI sans fiscalité propre dotés de compétences en matière d'eau et d'assainissement, tel le SICSM, le syndicat intercommunal du centre et du sud de la Martinique, verraient l'efficacité de leur mission croître s'ils étaient autorisés à constater les infractions. Or, nous sommes en présence d'un simple affichage politique, sans mesures incitatives.

Cela est tout à fait regrettable, d'autant que l'absence de véritable police de l'eau en matière de surveillance et de prévention en Martinique se traduit, vu la spécificité insulaire de ce département, par des attaques graves à la qualité de l'eau, d'une part, et au milieu marin, d'autre part.

Dans la mangrove du Lamentin, juste à côté de la baie de Fort-de-France, les crustacés qui s'y développent sont devenus impropres à la consommation, ce qui est révélateur, non seulement de la pollution et de la mauvaise qualité de l'eau, mais aussi de la nécessité d'une prise de conscience collective de la mise en danger de l'écosystème et, même, de la chaîne alimentaire.

Le temps qui m'est imparti étant très court, la conclusion de mon propos, monsieur le ministre, prendra la forme de questions.

Le projet de loi prévoit l'extension aux offices de l'eau de l'ensemble des redevances concernant les agences de l'eau, mais la fixation au 1er janvier 2007 de la date d'application des dispositions relatives aux redevances et des mesures de solidarité mises en oeuvre par le biais de l'ONEMA, l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, m'inquiète. En effet, cela laisse les offices départementaux de l'eau dépourvus de ressources suffisantes pour réaliser leurs programmes pluriannuels d'intervention. En outre, il apparaît qu'il y a « télescopage » entre l'article 54 de la loi de programme pour l'outre-mer de 2003 et la future loi. Lequel des deux textes sera applicable à compter de 2007 ?

Par ailleurs, le FNDAE, qui a été supprimé par la loi de finances rectificative de 2004, sera remplacé, en Martinique, par le Fonds départemental d'équipement, le FDE. Cette substitution soulève de nombreuses interrogations, même si dorénavant les agences de l'eau ont mission d'assurer la solidarité nationale au profit des communes rurales.

A cet égard, j'aimerais savoir si l'assiette globale du FDE sera la même que celle du FNDAE. Le manque de transparence s'agissant de l'avenir de la taxe sur la consommation et les imprécisions sur les modalités de la mise en oeuvre de cette solidarité, pourtant indispensable au regard de l'étroitesse de l'assiette des redevances, ne sont pas pour nous rassurer. Les communes peuvent-elles espérer bénéficier d'une véritable solidarité nationale pour financer des travaux dont la nécessité se fait cruellement sentir, ce qui permettrait d'assurer le respect du principe de l'égalité d'accès au service public de l'eau ?

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