Intervention de Jean-Jacques Jégou

Réunion du 29 juin 2006 à 15h00
Finances publiques et finances sociales — Suite du débat d'orientation sur une déclaration du gouvernement

Photo de Jean-Jacques JégouJean-Jacques Jégou :

Rien n'est plus faux, monsieur le ministre : la Cour des comptes soulignait, dans le même temps, l'importance des « défauts d'imputation » qui faussaient l'ONDAM, dont le montant total s'élevait à près de 14, 5 milliards d'euros en 2004. Si ce n'est pas là de l'insincérité...

Élargissement de l'assiette de la C3S, relèvement des cotisations de retraite de base et complémentaire et des cotisations de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, taxation des plans d'épargne logement, création d'un ticket modérateur pour les actes médicaux d'un coût supérieur à 91 euros, déremboursement de médicaments : le seul objet des principales mesures inscrites dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 était de venir à la rescousse d'une réforme de l'assurance maladie ne permettant pas, par elle-même, d'enrayer l'aggravation des déficits publics. Nous avons adopté un paquet de rustines constitutives d'un énième plan de sauvetage de la sécurité sociale.

La grande réforme de l'assurance maladie du 13 août 2004, la « réforme Douste-Blazy », celle que l'on a osé qualifier de « der des der », laissait de côté toute la politique hospitalière, pourtant responsable de 55 % des dépenses. Ainsi que le soulignait mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, comment espérer réformer en profondeur le système de santé et prétendre juguler le déficit lorsque l'on s'interdit de toucher à plus de la moitié des dépenses ? Cela n'est pas crédible une seule seconde.

Pourtant, le besoin de réforme est criant dans le secteur hospitalier.

Les hôpitaux, en particulier les établissements privés à but non lucratif, ont été frappés de plein fouet par le passage aux 35 heures.

En 2005, la disparition des allégements de charges liés à la réduction du temps de travail a entraîné un coût supplémentaire, pour ces établissements, de l'ordre de 90 millions d'euros.

En outre, le passage aux 35 heures n'a été rendu possible, dans ces établissements, que par un blocage des salaires de tous les personnels pendant trois ans, qui, ajouté aux allégements de charges, a permis de compenser la perte de plus de 10 % des heures travaillées.

Dans le même temps, les agents de la fonction publique hospitalière sont passés aux 35 heures sans subir aucune retenue salariale. Fort logiquement, les organisations syndicales représentant les personnels des établissements privés ont donc demandé une remise à niveau des salaires. Cette remise à niveau grève aujourd'hui le budget de ces établissements.

Les hôpitaux publics, quant à eux, ne sont pas mieux lotis. Leur passage à la T2A ne se fera pas aussi simplement que le Gouvernement l'avait déclaré. Bertrand Fragonard, le président du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, a affirmé que l'objectif de convergence tarifaire entre le public et le privé ne serait pas atteint en 2012. Et pour cause : les écarts se justifient par les divergences existant entre les missions du secteur privé et celles du secteur public. Ce dernier doit supporter des charges spécifiques de service public, charges qui expliquent d'ailleurs qu'une fraction importante de la dotation des hôpitaux publics leur soit encore versée de façon forfaitaire à travers les MIGAC, les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation. Comment vont évoluer les enveloppes allouées aux MIGAC ? Mystère...

D'ailleurs, en matière hospitalière, tout est mystère. L'hôpital a fait l'objet de dispositions dispersées entre plusieurs textes, ce qui empêche la représentation nationale d'en évaluer très exactement la portée, entretient le flou artistique et compromet la cohérence du système entre secteur hospitalier et secteur ambulatoire.

Les établissements publics ont cependant besoin d'être remis à flot. En 2005, nous nous interrogions sur la hauteur des investissements nécessaires pour atteindre cet objectif. Tandis que le Gouvernement annonçait un montant de 300 millions d'euros, la Fédération hospitalière de France réclamait 650 millions d'euros. Les besoins de l'hôpital public sont-ils aujourd'hui enfin chiffrés avec objectivité ? Où en est-on de la remise à flot de ces établissements ? Le chantier n'est pas très avancé, si l'on en juge par le montant effrayant des reports de charges évoqués par Alain Vasselle, auxquels les hôpitaux publics recourent pour parvenir à boucler leurs budgets.

Voilà pour le secteur hospitalier, complètement laissé de côté par la réforme de l'assurance maladie. Dans ces conditions, sur quoi a débouché cette fameuse réforme ? Qu'en reste-t-il ? Pas grand-chose, j'en ai peur.

La mise en place du médecin traitant, peut-être ? Pas même. Alors que ce dispositif était présenté comme l'un des piliers de la loi du 13 août 2004, les dérogations demeurent si nombreuses que l'on voit mal comment il pourrait avoir des effets vertueux en termes budgétaires.

L'institution du dossier médical personnel constitue un résultat, me direz-vous ? Il est inutile d'y revenir longuement, nous en avons suffisamment discuté pour que vous connaissiez, messieurs les ministres, ma position sur ce sujet.

Le dossier médical personnel est certes un très beau projet sur le papier, qui vise à une véritable maîtrise médicalisée des dépenses de santé fondée sur l'amélioration de la qualité de l'offre de soins. Toutefois, un dispositif aussi ambitieux a un coût. Or la France prétend faire en dix fois moins de temps et avec dix fois moins d'argent ce que la Grande-Bretagne est péniblement parvenue à accomplir. Encore une fois, ce n'est pas sérieux, et le dossier médical personnel que l'on voit se dessiner n'a plus rien à voir avec celui que l'on nous a « vendu ». Il pourrait ne devenir qu'un simple outil comptable, alimenté à partir des données fournies par un « web médecin » recensant les médicaments prescrits par les praticiens à leurs patients, à partir des historiques des remboursements.

Dans ces conditions, la teneur du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 n'était pas étonnante. Il fallait cacher, il fallait replâtrer. Ce qui s'annonce pour l'année prochaine n'est pas non plus étonnant, hélas ! Quelques réformettes, des jeux d'écritures, mais pas l'ombre d'un plan d'envergure.

À ce titre, l'exposé fait par le rapporteur de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, Alain Vasselle, est édifiant. Le Gouvernement se réjouit des chiffres produits dans son rapport d'orientation. Ils n'ont pourtant rien de glorieux en eux-mêmes et, surtout, ils sont loin de refléter l'ampleur des déficits auxquels nous devons faire face.

En 1996, la CADES a été mise en place pour une durée de treize ans. Or on sait que l'échéance sera largement dépassée. Selon Alain Vasselle, la dette reprise par cette caisse s'élèvera, à la fin de 2006, à 110 milliards d'euros, dont plus de 77 milliards d'euros resteront à amortir. C'est dire que nous avons largement abusé des « droits de tirage » sur les générations futures que nous nous sommes octroyés. Comme le suggère Alain Vasselle, il faut interdire d'alimenter encore la CADES à l'avenir.

Cependant, la dette officielle n'est pas toute la dette. La situation des organismes concourant au financement de la sécurité sociale est elle aussi très préoccupante. Elle a justifié qu'un débat spécifique lui soit consacré lors de l'élaboration de la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

Les déficits cumulés du FSV et du FFIPSA atteignent environ 8, 3 milliards d'euros. Ces déficits, on le sait, résultent de choix de gestion publique bien identifiés. À l'occasion de la transformation, en 2005, du budget annexe des prestations sociales agricoles en établissement public administratif, le FFIPSA, son déficit a été maintenu, en contradiction avec les règles applicables aux budgets annexes, et transféré directement au nouvel établissement. M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l'État nous a lui-même dit hier combien ce point le préoccupait.

L'État a demandé à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole d'augmenter le montant de l'emprunt qu'elle porte pour le compte du BAPSA. La charge a donc été soustraite du solde d'exécution du budget de l'État, et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 n'a apporté aucune solution pérenne. En conséquence, un déficit de 2, 5 milliards d'euros subsistera à la fin de 2006.

Pour ce qui concerne le FSV, sous la précédente législature, plusieurs de ses recettes lui ont été soustraites, tandis qu'il devait assumer de nouvelles charges, telles les allocations de cessation anticipée d'activité. Cela a entraîné l'espèce de faillite à laquelle nous avons récemment assisté : le FSV, n'ayant pu faire face à toutes ses échéances et ne disposant pas de la faculté d'emprunter, a dû différer ses paiements aux différents régimes. La dette du FSV envers le régime général avoisinait, à la fin de 2005, 2 milliards d'euros. La Mutualité sociale agricole a aussi pâti de cette situation et contracté une dette importante. Les diverses mesures prévues par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 n'ont permis de couvrir qu'une petite partie des besoins de financement du fonds. Ici encore, aucune solution pérenne n'a été trouvée, et la situation du FSV a une incidence sur le Fonds de réserve des retraites, qui n'est plus alimenté depuis 2000.

Il reste à mentionner, pour reprendre la typologie de notre rapporteur, la dette « cachée », celle de l'État à l'égard des organismes de sécurité sociale, principalement au titre des compensations d'exonérations de cotisations sociales. Elle atteindrait 4, 4 milliards d'euros.

Il y a donc des raisons de ne pas se réjouir, messieurs les ministres ! À quoi ressemblera le PLFSS pour 2007 ? Certainement au PLFSS pour 2006... Il n'y a aucune raison que cela change : un nouveau paquet de rustines nous est promis. Pourtant, quand la dette sociale cumulée menace d'atteindre, d'ici à quatre ans, un total de 105 milliards d'euros, l'heure n'est plus aux rustines !

À quand, messieurs les ministres, un réel plan structurel ? La CNAM a récemment suggéré des pistes ; la mise en oeuvre de ses propositions pourrait engendrer 720 millions d'euros d'économies supplémentaires. Ces réflexions doivent s'insérer dans le cadre d'un « plan médicament » repensé. Je n'évoquerai pas les préconisations formulées dans le rapport Cannac, Jean-Marie Vanlerenberghe s'en étant chargé.

Un autre dossier clef a trait aux sources de financement de la protection sociale. Tandis que les ressources de la sécurité sociale sont encore principalement de nature assurancielle et pèsent sur l'emploi, les prestations assurées obéissent de plus en plus à une logique de solidarité nationale. Cette situation pose problème. Ici encore, les solutions existent : TVA sociale, ...

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