Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 11 octobre 2010 à 15h00
Réforme des retraites — Article 6 suite

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Cet article 6, qui relève de deux années l’âge permettant de percevoir une retraite à taux plein, sans décote, nous a été présenté comme le parallèle, la conséquence logique du relèvement de deux années de l’âge d’ouverture des droits. Nous serions dans la mécanique pure, une sorte de raisonnement éthéré, hors sol, selon lequel « plus deux » sont incontestablement égal à « plus deux ».

Cette mesure a pourtant bien suscité l’inquiétude et les interrogations de tous : les nôtres, mais aussi celles des rapporteurs des deux assemblées et celles de nombre de nos collègues de la majorité. Le débat qui vient de se dérouler, fermé par avance sur l’essentiel, malgré les amendements présentés par le Gouvernement, malgré l’excellent amendement de notre collègue Jacky Le Menn, n’y a pas répondu.

Nous disposons, il est vrai, d’une enrichissante étude d’impact, dont le Gouvernement a désormais l’obligation d’assortir ses projets.

En la forme, la maigreur de la partie de cette étude consacrée à l’article 6 est frappante, particulièrement au regard de l’importance et de la gravité des conséquences qu’emporte le report de l’âge du taux plein pour toutes celles et ceux – la majorité – qui sont au chômage avant la retraite, pour toutes celles et ceux qui travaillent depuis l’âge de 14, 15 ou 16 ans, pour toutes celles et ceux que les tâches pénibles ont usés avant l’âge.

Au fond, l’évaluation présentée des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales nous laisse sur notre faim. Deux aspects sont rapidement évoqués : le premier est relatif aux économies globalement attendues du relèvement des deux bornes d’âge ; le second, prospectif, porte sur un « effet horizon » potentiel, en d’autres termes sur l’éventualité que le relèvement de l’âge du départ à la retraite incitera mécaniquement et spontanément les entreprises à conserver plus longtemps leurs salariés seniors.

L’étude comporte toutefois une réserve non négligeable s’agissant de « la situation économique globale », dont « les effets du relèvement des bornes d’âges sur l’emploi ne peuvent être totalement isolés ».

Compte tenu de la situation économique en France, on augure mal de cet « effet horizon ».

Deux données supplémentaires éloignent encore cet « horizon » et laissent plutôt craindre que la très grande majorité des salariés ne le pourront ni ne le voudront.

Tout d’abord, ils ne le pourront simplement pas faute de travail ; au surplus, ils ne le voudront certainement pas pour la grande majorité en raison de la dégradation des conditions d’exercice et du climat professionnel. Tels sont les résultats de l’enquête publiée en 2008 par la Caisse nationale d’assurance vieillesse sur les motifs des départs prématurés en retraite, résultats que confirment les travaux des sociologues et l’augmentation constatée depuis dix ans des troubles musculo-squelettiques.

Vous n’ignorez pourtant pas que 57 % des personnes qui liquident leur pension à 65 ans sont sans emploi, dont plus de 62 % de femmes. Vous n’ignorez pas non plus que l’ensemble de ces personnes sont, à 65 ans, au chômage depuis en moyenne onze ans, et depuis plus de treize ans pour les femmes. Surtout, les relevés de la CNAV établissent clairement une différence importante entre ceux qui liquident au titre de la durée de cotisation et ceux qui liquident au titre de l’âge : ce sont alors presque 85 % des entrants qui sont au chômage à 65 ans, dont plus de 87 % de femmes, et ils le sont depuis plus de dix-huit ans pour l’ensemble et vingt ans et six mois pour les femmes.

C’est à celles et ceux-là que vous voulez imposer deux années d’attente supplémentaires, réduits au chômage ou aux minima sociaux ? C’est à celles et ceux-là que vous voulez faire croire qu’après vingt ans de chômage ils peuvent espérer retrouver de l’embauche ?

Alors que ces données établissent que le problème à la base est celui des carrières trop courtes, vous proposez comme seule solution d’en allonger la durée théorique.

Je voudrais, sur ce point majeur de la durée des carrières, corriger l’interprétation que vous faites de la réduction de l’écart de durée d’assurance entre hommes et femmes. Il n’est pas admissible d’essayer de faire croire, comme vous le faites, que la situation des femmes se serait améliorée. C’est en réalité celle des hommes qui s’est détériorée ! La durée d’assurance des femmes s’est constamment réduite, mais en partant de moins haut que celle des hommes, et celle de ces derniers s’est réduite, en partant de plus haut, plus rapidement, au point de tomber bientôt plus bas que celle des femmes.

J’ajoute que la réduction de quatre trimestres de majoration de durée d’assurance à laquelle vous avez procédé l’année dernière n’a évidemment pas amélioré la situation des femmes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion