Intervention de Yves Chastan

Réunion du 11 octobre 2010 à 15h00
Réforme des retraites — Article 6 suite

Photo de Yves ChastanYves Chastan :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’article 6 du projet de loi, qui tend à relever l’âge permettant de percevoir une retraite à taux plein sans décote, est très court, mais lourd de conséquences. Il est sans doute le plus injuste, si tant est que l’on veuille introduire une hiérarchie dans le panel d’injustices que recèle ce texte. En effet, il est particulièrement injuste de relever à 67 ans l’âge auquel on peut percevoir une retraite sans décote.

Quels seront les plus touchés ? Des personnes qui ont eu des carrières difficiles, aux parcours hachés, qui ont enchaîné ou enchaîneront petits boulots et missions d’intérim. Parmi elles, les femmes sont souvent les plus concernées.

Quelques chiffres sont révélateurs, qui émanent de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes. Ils ont d’ailleurs été cités par plusieurs d’entre nous, mais aussi à l’Assemblée nationale, y compris par une députée de votre majorité. Qu’indiquent-ils ? Que les femmes ont une retraite inférieure de 40 % à celle des hommes, qu’elles ne sont que 44 % à effectuer une carrière complète contre 86 % des hommes. Une femme sur trois travaille déjà jusqu’à 65 ans pour éviter de subir une décote.

Ces chiffres, manifestement, n’ont pas été pris en compte comme ils auraient dû l’être.

Personne ne peut rester insensible à cette situation, et je sais que nous sommes nombreux, sur l’ensemble de ces travées, à le dire : la situation d’inégalité que subissent les femmes dans notre pays n’est pas supportable. Ainsi, au moment du passage à la retraite jouent toute une série d’inégalités qui se sont progressivement cumulées au cours de la vie professionnelle.

Or ce projet de loi, et cet article 6 en particulier, aura un effet direct, immédiat, sur des générations de femmes, celles qui ont subi des périodes de discrimination, celles dont les congés de maternité étaient parfois mal tolérés dans leurs entreprises ou leurs établissements. Dans ce domaine, certes, les mentalités évoluent, mais insuffisamment. Bref, cette mesure aura un effet direct et immédiat sur des populations fragilisées au cours de leur vie professionnelle.

Pour marquer une véritable volonté d’agir en faveur de l’égalité au moment de la retraite entre les hommes et les femmes et lutter contre la précarité des femmes retraitées, la première mesure à prendre consiste donc à renoncer à élever l’âge auquel on peut prétendre à une retraite à taux plein. C’est ce à quoi je vous invite, mais telle ne semble pas être votre volonté.

Les jeunes seront également très touchés par cet article 6, s’il devait être voté. En effet, beaucoup rencontrent aujourd’hui de grandes difficultés pour entrer dans la vie active. Sans diplôme ou formation qualifiante, ou, au contraire, en étant très diplômé et en ayant suivi des études de plus en plus longues, obtenir un emploi stable est parfois, ou plutôt souvent une gageure.

Plusieurs générations de jeunes ont déjà dû subir un parcours du combattant au cours duquel ils accumulent les stages, les petits boulots et les contrats à durée déterminée. Par définition, beaucoup d’entre eux n’auront pas, à 62 ans, le nombre de trimestres nécessaires à une retraite à taux plein.

À ces jeunes, particulièrement touchés par la crise et le chômage, malheureusement parfois désabusés, quel message d’avenir offrons-nous ? Quel message à ceux qui, usés par des métiers pénibles, entendent qu’ils n’auront droit à une retraite que s’ils sont déclarés « handicapés » – c’est peu ou prou ce que sous-tend ce texte – à 60 ans ?

Car avec la définition par ailleurs très restrictive que votre projet de loi prévoit en matière de pénibilité, et malgré les quelques aménagements qui pourraient encore être introduits dans la suite de nos discussions au Sénat, les personnes qui auront commencé de manière relativement tardive un travail les exposant à des risques pour leur santé n’auront d’autre choix que de continuer deux ans de plus, jusqu’à 67 ans, pour toucher leur retraite à taux plein.

Pour conclure, constatons encore une fois que, dans ce projet de loi, ce sont les retraites les plus faibles qui sont directement visées, que ce sont les plus précaires et ceux qui ont eu ou auront le plus de difficultés à entrer dans le monde du travail qui sont directement visés. Décidément, nous ne donnons pas aux mots justice et solidarité la même définition que vous. C’est pourquoi je ne voterai pas cet article 6.

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