Intervention de Dominique de Villepin

Réunion du 12 septembre 2006 à 16h00
Situation au proche-orient — Débat sur une déclaration du gouvernement

Dominique de Villepin, Premier ministre :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, quinze ans à peine après la fin de la guerre, les bombes se sont à nouveau abattues sur le Liban, faisant des centaines de victimes civiles et ébranlant un pays qui avait réussi le miracle de la réconciliation et un spectaculaire relèvement économique. Ces images du Liban dévasté ont touché nos compatriotes.

Car les liens qui unissent la France et le Liban sont anciens et profonds, nourris par l'histoire et la culture. Depuis la proclamation de l'indépendance du Liban par le général Catroux, au nom du général de Gaulle, en 1941, et l'adoption du « pacte national » en 1943, notre pays n'a cessé de croire à la possibilité d'une nation rassemblant plusieurs confessions et faisant une place à chaque communauté. La France a payé un lourd tribut à la défense de cette idée. Comment ne pas songer à cet instant à Louis Delamare, notre ambassadeur assassiné le 4 septembre 1981, ou encore aux cinquante-huit hommes qui ont perdu la vie dans l'attentat du Drakkar, le 23 octobre 1983 ?

Avec Israël aussi, nos relations sont vivantes et étroites, fondées sur l'histoire et les liens entre les hommes. Et c'est pourquoi nous avons partagé la peur et la colère des habitants de Haïfa frappés par les tirs de roquettes du Hezbollah.

C'est au nom non seulement de ces liens, mais aussi des convictions qu'elle défend depuis plusieurs années sur la scène internationale, qu'au plus fort de la crise la France a pris ses responsabilités. Elle a oeuvré avec la communauté internationale à la recherche d'un arrêt des affrontements et d'une issue politique. Elle l'a fait dans un esprit d'unité et de cohésion nationale pour lequel je tiens à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs.

Ensemble, nous devons tirer les leçons de cette crise, à la fois pour le Liban, pour le Proche-Orient et pour l'engagement de notre pays sur la scène internationale. Car nos compatriotes attendent que la France joue tout son rôle pour défendre leurs intérêts et leur sécurité. Mais ils veulent aussi qu'elle défende sa vision d'un ordre international juste fondé sur le respect du droit et de l'identité des peuples.

Sous la conduite du Président de la République, la France a fait au Liban le choix de l'initiative et de l'action.

Sur le plan politique, d'abord, notre pays a pris toutes ses responsabilités.

Dès les premiers jours de la crise, le Président de la République a exprimé le soutien de la France au peuple libanais. Je me suis rendu, à sa demande, à Beyrouth, le 17 juillet dernier, pour manifester la solidarité de notre pays et offrir notre assistance aux autorités libanaises. Le ministre des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, le ministre de la défense, Michèle Alliot-Marie, le ministre de la santé et des solidarités, Xavier Bertrand, ou, tout récemment, le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, Dominique Perben, sont également allés sur place ou dans la région à plusieurs reprises.

Nous avons aussi pris nos responsabilités pour venir en aide à la population civile, en organisant notamment l'évacuation de 11 000 Français et de 2 500 ressortissants d'autres nationalités. Je veux profiter de cette occasion pour rendre hommage aux personnels civils et militaires qui ont permis le succès de cette opération. Les autorités françaises sont également venues en aide à nos compatriotes présents dans le nord d'Israël. Philippe Douste-Blazy s'est rendu sur place pour être à leur écoute et répondre à leurs demandes.

Notre pays a joué un rôle majeur dans la recherche d'une solution politique à la crise, en maintenant constamment un dialogue étroit avec les deux parties.

Ce dialogue a été établi avec les autorités libanaises bien sûr, en particulier avec le premier ministre libanais, Fouad Siniora, dont je tiens à saluer le courage et l'engagement, lui qui a été à tout moment aux côtés de son peuple et a fait preuve d'un remarquable esprit de responsabilité pour contribuer à la paix. Je veux saluer en particulier sa décision de déployer l'armée libanaise dans le sud du pays le 7 août dernier, après presque quarante ans d'absence.

Nous avons également maintenu un dialogue constructif avec les autorités israéliennes. Je me suis entretenu avec le premier ministre, Ehoud Olmert, à la veille de mon départ pour Beyrouth, pour lui expliquer personnellement le sens de mon déplacement. Lors de mon entretien fin août avec Mme Livni, vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères, j'ai pu mesurer combien la relation entre la France et Israël demeurait solide et confiante.

Grâce à ce dialogue ainsi qu'au travail effectué avec ses partenaires européens et les pays membres du Conseil de sécurité des Nations unies, la France a joué un rôle majeur dans l'adoption à l'unanimité de la résolution 1701, le 14 août dernier. Outre l'indispensable cessation des hostilités, notre objectif a été, tout au long de ces négociations, de parvenir à un véritable cessez-le-feu et à une solution durable permettant de garantir la pleine souveraineté du Liban comme la sécurité d'Israël.

Sur le plan militaire, nous avons également assumé nos responsabilités. Face aux risques de la situation, nous avons obtenu des garanties précises, garanties quant à l'efficacité de la mission confiée à une Force intérimaire des Nations unies au Liban renforcée, sur son mandat et ses règles d'engagement, garanties aussi pour la sécurité de nos soldats. Compte tenu de ces assurances, le Président de la République a décidé le déploiement de deux bataillons au sein de la force des Nations unies. Au total, 2 000 militaires français serviront bientôt dans la FINUL renforcée.

Nous assumerons jusqu'en février 2007 le commandement de cette force, avec le général Pellegrini. Par ailleurs, 1700 hommes seront déployés au titre du dispositif aérien et naval Baliste, chargé de l'approvisionnement de la FINUL depuis le 12 juillet et qui participe, de façon temporaire, à la surveillance des côtes libanaises.

Nos forces agissent dans le cadre des Nations unies, en pleine conformité avec notre attachement au droit et à la sécurité collective. C'est également, il faut le rappeler, un engagement européen : à notre demande, les ministres des affaires étrangères des États membres de l'Union se sont réunis le 25 août en présence de Kofi Annan ; 7 300 militaires européens seront ainsi déployés sous casque bleu au Liban. La concertation avec nos partenaires européens se poursuit sur ce sujet. Le Président de la République s'en est entretenu à plusieurs reprises avec ses homologues. J'ai pour ma part évoqué ce sujet à Rome, le 1er septembre dernier, avec Romano Prodi.

Enfin, la France prend toutes ses responsabilités pour la reconstruction du Liban.

Afin de répondre aux besoins humanitaires de la population, nous avons apporté une aide de près de 20 millions d'euros en vivres, en médicaments et en équipements sanitaires. Nous avons contribué à l'effort humanitaire européen en apportant 7 millions d'euros supplémentaires. Nous mobilisons 200 militaires du génie pour rétablir les infrastructures et les voies de communication ; je pense en particulier à l'installation de quinze ponts métalliques de type Bailey. Nous sommes présents également pour lutter contre la marée noire qui affecte les côtes libanaises après le bombardement de la raffinerie de Jiyeh et qui constitue une catastrophe écologique sans précédent.

Enfin, et c'est une présence à laquelle nous sommes tous attachés, nous avons rouvert, y compris dans le sud du pays, notre important réseau scolaire. Plus de 45 000 élèves libanais pourront, cette semaine, faire leur rentrée dans ces écoles, collèges et lycées. C'est le meilleur exemple d'une francophonie synonyme de solidarité et de fraternité entre nos deux peuples.

Ce soutien doit maintenant s'ancrer dans la durée. Lors de la conférence de Stockholm, la ministre déléguée aux affaires européennes, Catherine Colonna, a annoncé une contribution française supérieure à 40 millions d'euros. La France tiendra également toute sa place lors de la conférence internationale de reconstruction proposée par le Président de la République. Nous attendons les conclusions de la mission interministérielle d'évaluation qui s'est rendue à Beyrouth la semaine dernière pour mesurer les besoins du pays.

Comme au Liban, la France se mobilise dans toute la région au service de la paix.

Le Proche-Orient est aujourd'hui le centre d'un arc de crises qui va de la Somalie à l'Afghanistan. Qu'il s'agisse du programme nucléaire iranien ou de l'Irak, qui semble s'enfoncer chaque jour davantage dans la violence, la situation devient plus dangereuse de jour en jour. Pour les peuples de la région, c'est toujours le même sentiment de frustration.

Au coeur de cet arc de crises, le conflit israélo-palestinien continue de nourrir la violence et l'inquiétude de toute la communauté internationale. En effet, malgré les efforts des hommes qui, de part et d'autre, s'engagent depuis des décennies pour que le dialogue l'emporte sur l'incompréhension, la paix semble aujourd'hui toujours aussi difficile à atteindre. La victoire du Hamas aux dernières élections législatives a ouvert une période d'incertitude, en même temps qu'elle a exprimé avec force le désespoir des Palestiniens. De l'autre côté, les Israéliens ont besoin de garanties supplémentaires pour leur sécurité.

Pour autant, aucun de ces échecs ne doit nous conduire au renoncement.

La France entend prendre toute sa part dans la recherche d'une solution politique. C'est le sens de l'appel lancé il y a deux semaines par le Président de la République en faveur d'une nouvelle réunion du Quartet. Seuls une solution politique et un règlement négocié permettront de parvenir à une paix juste et durable pour l'ensemble des peuples de la région, avec deux États vivant côte à côte en paix et en sécurité. Dans ce contexte, nous avons pris connaissance avec intérêt de l'annonce de la formation d'un gouvernement d'unité nationale en Palestine, sous l'égide du président Mahmoud Abbas.

Au-delà du risque que constitue le conflit israélo-palestinien, nous devons rester vigilants face aux nouvelles menaces qui se greffent sur les lignes de fracture de la région.

En ce qui concerne d'abord le risque terroriste, nous le savons, le discours qui sous-tend le terrorisme islamiste instrumentalise les crises et le sentiment d'injustice des peuples de la région. Cinq ans après la tragédie du 11 septembre 2001, nous le voyons : où qu'il frappe, son objectif est d'aviver l'incompréhension entre les peuples et les civilisations. Pour lutter contre le terrorisme, la priorité c'est, bien sûr, une vigilance de tous les instants et la coopération internationale entre les services de renseignement, mais, pour venir à bout de ce fléau, nous devons aussi trouver des réponses à l'injustice, aux frustrations et au ressentiment.

Ne baissons pas non plus la garde devant la menace de la prolifération. Eu égard aux inquiétudes légitimes que suscite le programme nucléaire iranien, la France, avec ses partenaires européens, a pris l'initiative du dialogue avec Téhéran. Là encore, notre conviction est qu'il nous faut privilégier la voie politique. Nous devons le faire avec fermeté et d'une même voix, notamment à New York, dans le cadre des travaux du Conseil de sécurité sur un nouveau projet de résolution. Nous devons le faire également dans le cadre des discussions en cours avec Téhéran, que nous appelons à prendre toutes ses responsabilités, s'agissant notamment de la nécessaire suspension de l'enrichissement. Après l'étape constructive de la réunion qui s'est tenue en fin de semaine dernière entre Javier Solana et M. Laridjani, nous espérons pouvoir poursuivre dans cette voie.

Alors oui, agir au Liban, agir au Proche-Orient, c'est défendre la paix, la stabilité de la région et notre sécurité à tous.

C'est pourquoi la France veut rester, avec l'Europe, pleinement mobilisée dans les mois qui viennent.

Au Liban, les violences peuvent reprendre à tout moment et compromettre le processus politique. Pour éviter un nouvel embrasement, nous avons besoin de l'implication des autres pays de la région. Chacun doit prendre ses responsabilités, en particulier la Syrie, qui doit contribuer à une application pleine et entière des résolutions 1559, 1595 et 1701. L'application de cette dernière résolution implique de veiller au retrait effectif des troupes israéliennes, parallèlement au déploiement de la FINUL renforcée, à la libération des soldats israéliens enlevés, au respect de l'embargo sur les armes, au désarmement des milices et, enfin, au règlement de la question des fermes de Chebaa.

Au Proche-Orient, la paix ne parviendra à s'installer durablement que si le dialogue et l'espoir l'emportent sur le sentiment d'injustice. Dans une région profondément marquée par l'histoire et fragilisée par les guerres, la force seule ne peut être la solution. Elle risque au contraire de raviver les plaies mal cicatrisées et les rancunes millénaires : nous le voyons aujourd'hui avec le risque de guerre civile qui se renforce en Irak.

Par les liens historiques et humains qui l'unissent au monde arabe, par sa proximité géographique avec l'autre rive de la Méditerranée, la France a un rôle essentiel à jouer contre toutes les tentations de repli sur soi et de confrontation des civilisations. L'Europe a payé un lourd tribut aux affrontements identitaires. Elle sait que la violence appelle toujours la violence.

Au Proche-Orient comme sur l'ensemble de la scène internationale, nous devons donc continuer à défendre notre conviction : seule une véritable volonté politique, fondée sur la défense du droit international et le respect des identités, peut mettre fin aux crises qui déstabilisent notre planète. Cette vision, nos compatriotes attendent que nous la défendions avec détermination, parce qu'elle est profondément liée à notre histoire et à notre pacte républicain.

Pour défendre cette vision, nous avons besoin d'un outil diplomatique fort, mobile et réactif ; je l'ai rappelé il y a quelques jours à nos ambassadeurs. Mais nous avons également besoin d'un outil de défense performant, capable de se projeter sur plusieurs théâtres de crise. C'est pourquoi, conformément aux orientations définies par le Président de la République, le Gouvernement veillera au respect des engagements pris dans la loi de programmation militaire que vous avez votée.

Enfin, nous avons besoin d'une Europe capable de faire entendre sa voix sur la scène internationale. Vous le savez, c'est l'un des principes défendus depuis longtemps par la France. Aujourd'hui, l'Europe est présente en Afrique, en Afghanistan et au Liban. C'est la preuve que nous pouvons, si nous savons rassembler nos forces, peser davantage sur la scène internationale. Telle est l'ambition que la France continuera à défendre auprès de ses partenaires européens dans les mois à venir.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, une nouvelle fois, dans la crise, nous avons assumé nos responsabilités, sous la conduite du Président de la République. Nous avons su faire entendre la voix de notre pays, dans le respect de nos principes et des convictions que nous défendons partout dans le monde.

Oui, la France a assumé ses responsabilités.

Cependant, devant la fragilité de la situation au Liban et dans la région, devant la menace de nouvelles violences, rien n'est encore acquis. L'exigence d'action et d'engagement reste entière. Soyez assurés que mon gouvernement restera pleinement mobilisé au service de la paix.

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