Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, certes, ce débat arrive après les moments les plus dramatiques de cette crise. Néanmoins, il était absolument nécessaire que le Parlement puisse exprimer ce que l'opinion française a si profondément et si intimement ressenti.
Jusqu'à présent, ce qui a été dit à cette tribune montre bien que le débat répond à ce besoin et que le Parlement est présent à ce rendez-vous. D'ailleurs, nombreux dans cet hémicycle - je devrais dire tous ! - sont ceux qui ont, pour le Liban, des sentiments particuliers. Pour ma part, je m'exprime comme membre du groupe UMP, mais je ne peux oublier que je préside depuis une quinzaine d'années le groupe d'amitié France-Liban du Sénat.
Pour définir le Liban, je voudrais citer les mots d'un grand poète libanais contemporain, grand écrivain et diplomate, je veux parler de Salah Stétié, que nous sommes quelques-uns a bien connaître : « le Liban est un étroit pays, certes, tout en hauteur, à qui il est arrivé la plus étonnante des histoires, celle d'avoir une histoire bien plus vaste que lui » ! Les événements que nous avons vécus le montrent de manière évidente.
Je l'avoue, c'est avec émotion que je suis monté à cette tribune, car j'ai conscience, comme nous tous, de l'extrême fragilité de ce pays que nous aimons.
Cette fragilité est intrinsèque, d'abord, puisque son identité profonde, c'est sa pluralité, qui repose sur un consensus parfois difficile à établir ; le passé récent l'a bien montré avec la guerre civile qui a ravagé pendant quinze ans ce petit pays, comme l'ont souligné les différents intervenants.
Cette fragilité, ensuite, est due à son environnement régional, car le Liban est - j'allais dire depuis toujours - le théâtre et la victime de conflits qui le dépassent. Depuis le 12 juillet, avant que le cessez-le-feu n'intervienne, nous avons tous vu des images qui nous ont ramenés vingt ans en arrière...
Dans les interventions qui viennent d'avoir lieu, malgré quelques différences de tonalité ou d'orientation, j'ai constaté que les orateurs éprouvaient tous au fond le même sentiment.
Ces images qui, je le répète, nous ont ramenés vingt ans en arrière ont beaucoup frappé l'opinion de notre pays et l'esprit de nos compatriotes. À cet égard, je voudrais évoquer un souvenir et je vous prie de me pardonner de personnaliser ainsi mon propos.
Je me rappelle avoir parcouru les rues ravagées de Beyrouth à la fin de la guerre civile, avec un collègue qui n'est plus des nôtres aujourd'hui et qui n'appartenait pas au même mouvement politique que moi. Je me souviens des carcasses calcinées des habitations. Amin Maalouf, qui m'accompagnait, me dit soudain en me montrant ce qu'il restait d'une maison : « voilà, c'est ici qu'habitait ma mère » !
Ce souvenir est resté profondément ancré en moi, et lorsque j'ai vu, comme vous tous, mes chers collègues, les images des bombardements intervenus au Liban, je me suis demandé si nous allions revivre cela ! Quand j'ai vu les images de ce petit enfant de quatre ou cinq ans qui découvrait en pleurs les ruine de son village, quand j'ai vu comme vous des petits enfants mutilés, quand j'ai vu ces cohortes de réfugiés gagner le nord du Liban, je me suis demandé où nous allions, ce qu'allait connaître ce pays et si cet embrasement n'entraînerait pas un embrasement régional. Nous avons donc tous été inquiets.
C'est une raison de plus pour apprécier - j'y reviendrai - les efforts qui ont été faits par la communauté internationale et en premier lieu, bien entendu, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, par notre pays dont on attendait beaucoup. L'attente n'a pas été déçue !
Il y a eu mille morts, peut-être davantage, et de nombreux blessés. Les dégâts directs ou indirects sont impressionnants puisqu'ils se chiffrent à 15 milliards de dollars, selon le programme des Nations unies pour le développement, le PNUD.
Cette épreuve a été terrible, et ce d'autant plus que nous nous étions pris à espérer. En effet, nous avions assisté à la reconstruction du Liban au fil des années.
Nous sommes d'ailleurs quelques-uns du groupe interparlementaire France-Liban du Sénat à avoir rencontré l'ancien Premier ministre Rafic Hariri. Ceux qui l'ont vu se souviennent de la conviction qu'il mettait à engager la reconstruction de son pays. Nous ne pouvons oublier qu'il en a été l'inspirateur, l'organisateur. J'ose même dire qu'il a largement mené à bien cette reconstruction, non seulement physique mais aussi politique !
Il ne faut pas oublier non plus que, après le terrible assassinat de Rafic Hariri, une majorité parlementaire a permis à un gouvernement emmené par Fouad Siniora d'engager un processus politique qui nous paraissait garantir la paix. Je veux parler de ce qui a été appelé par les Libanais eux-mêmes le « dialogue national ». Certes, ce dialogue était tâtonnant, hésitant.
Nous sommes quelques-uns à avoir assisté à la séance au cours de laquelle le président de l'assemblée libanaise a annoncé qu'il allait, à la demande de la majorité du pays, lancer le dialogue national. Nous avions de la peine à y croire ; pourtant, ce dialogue a été engagé. Il commençait à porter des fruits, certes modestes, mais le dialogue n'est-il pas déjà le plus beau des fruits ?
Or, voilà que tout cela s'est trouvé mis à terre ! Nous en avons d'abord soufferts, puis nous avons été très inquiets.
Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, mes chers collègues, ces dramatiques événements ont eu néanmoins quelques aspects positifs.
Ils ont permis à la solidarité intercommunautaire libanaise de s'exprimer, même si cela s'est fait avec un peu d'hésitation, il faut l'avouer. Quoi qu'il en soit, les cohortes d'habitants du Sud, des chiites, qui remontaient vers le Nord ont été, on le sait, accueillies par les autres communautés - les chrétiens, les druses, les sunnites. C'est en soi un événement très important, qui marquera l'avenir de ce pays.
J'ai dit à l'instant que le Liban se caractérisait par la diversité et la pluralité, ce qui fait à la fois son originalité et sa faiblesse. Néanmoins, comment ne pas voir que c'est tout simplement le sentiment national qui a commencé à s'exprimer de manière évidente dans ce petit pays, de manière plus évidente en tout cas que par le passé ?
Or, ce sentiment national, j'en suis convaincu, peut seul permettre de transcender les allégeances communautaires. Ce n'est que grâce à l'émergence du sentiment national et de la solidarité que le Liban se soudera. J'ose espérer que cette crise dramatique y contribuera.
Qu'il me soit permis ici, même si d'autres intervenants après moi, comme ma collègue Christiane Kammermann, ne manqueront pas de le faire, d'exprimer des remerciements extrêmement chaleureux à tous ceux qui ont contribué à apporter aide et assistance au Liban et à nos compatriotes dans ce pays.
Monsieur le Premier ministre, je veux bien entendu mentionner à cette tribune l'action extrêmement efficace menée par l'ambassade de France au Liban, sous la direction de M. Bernard Emié, qui a fait l'admiration de tous et a entraîné la reconnaissance de ceux qui en ont bénéficié.
Je veux mentionner également l'action de vos services, monsieur le ministre des affaires étrangères, qui ont dû se mobiliser très fortement, jour et nuit, pour que ces opérations soient pilotées.
Je veux mentionner enfin, madame la ministre de la défense, l'action de nos troupes, puisque les vaisseaux de la marine nationale ont contribué à l'évacuation de nombre de nos ressortissants.
Je souhaite, par ailleurs, rendre ici un hommage particulier à ceux que l'on ne cite pas toujours. Certains ont parlé des bénévoles, et ils ont bien fait. Bien entendu, ces derniers ont joué un rôle très important, s'exposant parfois à de grands périls.
Pour ma part, j'évoquerai particulièrement certains des fonctionnaires français en poste au Liban, notamment les chefs d'établissements.
Je pense, en l'occurrence, à Mme le proviseur du grand lycée franco-libanais de Beyrouth, qui a fait preuve d'un sens de l'organisation, d'un courage et d'une détermination qui ont forcé l'admiration de tous.
Je pense également à Mme le proviseur du lycée de Nabatie, tout au sud du pays, qui, elle aussi, a fait preuve pendant cette terrible crise d'un grand courage en ouvrant son établissement - d'ailleurs tout neuf - et en le mettant à la disposition de ceux qu'il fallait accueillir.
Cela dit, il faut maintenant regarder devant nous. Je le ferai non sans avoir, moi aussi, salué auparavant, comme je l'ai annoncé au début de mon propos, le rôle de notre pays, qui a une mission particulière au Liban.
La communauté internationale attendait la France, et notre pays a répondu très vite présent.
Tout le monde aujourd'hui rend hommage à l'action du Président de la République, à la vôtre, monsieur le Premier ministre, madame, monsieur le ministre.
Je veux rappeler, car on a tendance à l'oublier, que très tôt la France a fait entendre dans le concert des nations une voix originale.
Au début des bombardements, mes chers collègues, un journal titrait : « la diplomatie préfère attendre » tandis qu'un autre affirmait : « les Occidentaux ont décidé de laisser du temps à Israël ». Or dès les premiers jours, dès le G8 de Saint-Pétersbourg, le Président de la République a appelé à l'arrêt des hostilités et a mis en garde contre un laisser-faire qui, en l'occurrence, était un laisser-tuer !
Je veux rendre hommage ici au courage et à la lucidité du Président de la République, de notre gouvernement et de notre diplomatie. Il fallait, en effet, à l'époque un certain courage, car nous étions seuls ou presque. Ce point devait être rappelé.
Puis, lors de son interview du 27 juillet dernier, le Président de la République a appelé au cessez-le-feu, à un engagement politique et à la création d'une force internationale. Il traçait de la sorte le cadre de notre action diplomatique future.
Je terminerai en évoquant rapidement les conditions de la consolidation de la paix.
Bien entendu, je souhaite moi aussi aborder la question du désarmement des milices du Hezbollah ! À mon tour, je dirai que c'est une caricature, un abus de langage de ne parler du Hezbollah que comme d'une milice terroriste. Une action diplomatique réaliste ne peut oublier que le Hezbollah est une composante importante de la vie politique et de la société libanaises.
Certes, le désarmement du Hezbollah se fera avec toute la fermeté qui convient et la prudence nécessaire, mais il sera réalisé essentiellement grâce à la mise en oeuvre d'un consensus libanais, seul moyen d'aboutir à un résultat positif dans ce pays. Il faudra du temps sans doute et il y aura probablement, je le crains, des rebondissements, mais cette voie-là est la seule qui soit ouverte.
Quant aux autres conditions, je me contenterai simplement de les citer, puisqu'elles ont déjà été développées.
Une petite lueur d'espoir s'est allumée dans le conflit israélo-palestinien. Israël a droit à sa sécurité. La constitution d'un gouvernement d'union nationale, nous l'espérons, sera un élément important pour l'avènement d'une ère nouvelle.
Quant à l'Iran, je ne peux et je ne veux mieux faire que de citer le Président de la République qui a dit, lors de la conférence des ambassadeurs - vous avez d'ailleurs repris ses propos le lendemain, monsieur le ministre des affaires étrangères -, que ce pays « trouvera la sécurité non dans le développement de programmes clandestins, mais bien dans sa pleine insertion au sein de la communauté internationale ».
Une fois encore, pour créer les conditions de la confiance, Téhéran doit faire les gestes nécessaires. Plusieurs de mes collègues l'ont dit et je partage leur appréciation : seule une diplomatie faite de fermeté - on ne peut pas transiger sur la non-prolifération, monsieur Mauroy ! - et d'ouverture donnera des résultats.
J'ai entendu avec intérêt le Président de la République évoquer également le cas de la Syrie : elle doit « sortir de sa logique d'enfermement. Elle a vocation à reprendre sa place à la table des nations, en respectant la légalité internationale et la souveraineté de ses voisins ».
Tout est dit, mais que de difficultés en perspective pour les semaines et les mois à venir, qui ne seront pas exempts d'embûches !
Comme tout le monde ici, je souhaite que l'unanimité - le mot n'est pas trop fort - qui s'est manifestée dans notre pays à l'occasion de cette crise libanaise soit suffisamment durable pour que, à l'occasion de l'examen du budget de la défense, madame la ministre, on n'oublie pas qu'un grand pays comme le nôtre, lorsqu'il veut se défendre, remplir sa mission de paix et répondre à sa vocation universaliste, a besoin de moyens et que le rôle du Parlement est de les lui donner.
En conclusion, je n'ignore pas plus que les autres que nos soldats, là-bas, courent des risques. Je sais aussi qu'il a fallu surmonter des craintes, que même les garanties obtenues et voulues par le Président de la République et par vous-même, madame la ministre, ne peuvent faire oublier ce qui s'est passé voilà maintenant plus de vingt ans. Mais ces craintes, la France a su les surmonter.
Je souhaite donc, de tout mon coeur, que les appels du Président de la République à une conférence internationale de reconstruction soient entendus et que la réunion du « quartet » ait lieu, conformément au voeu qu'il a exprimé.
Je souhaite de tout mon coeur que le Liban trouve la voie de la paix. §